Décodage de l'image égyptienne - xiii. considérations sémiotiques a propos du fragment de linteau e 25681

Publié le 26 avril 2011 par Rl1948

    Le dernier mardi avant le congé de Printemps qui nous a, les 16, 19 et 23 avril, permis d'accompagner Michel Onfray lors d'un séjour en Égypte, nous avions, d'une manière générale, souvenez-vous amis lecteurs, fait connaissance avec un haut fonctionnaire de la fin de l'Ancien Empire, un certain Metchetchi, dont le mastaba avait vraisemblablement été aménagé proche de la pyramide du pharaon Ounas, dont il était un des hauts fonctionnaires.

   (Je rappelle au passage un point déjà souvent précisé : c'est par pur privilège régalien que ces serviteurs zélés purent disposer à Memphis d'une tombe dans le périmètre de celle de leur royal mentor.) 

   Aujourd'hui, je vous propose de nous pencher plus en détail sur le fragment de linteau (E 25681) exposé dans la première vitrine d'un ensemble de deux auxquelles le Conservateur de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre a bizarrement décidé d'attribuer le même numéro 4.

  

   L'emploi du terme sémiotique ressortissant au domaine de réflexion du philosophe américain Charles Sanders Peirce et du linguiste helvète Ferdinand de Saussure dans le titre de ma présente intervention n'est, vous me le concéderez bientôt, nullement fortuit. Il pourrait éventuellement paraître antinomique quand il s'agit d'évoquer un monument  ; mais le fait que celui-ci soit égyptien, qu'il comporte des notations hiéroglyphiques incisées qu'accompagne une iconographie également gravée, assoira sans conteste mon propos.

   Ce bloc de calcaire de 54,7 cm de longueur pour une hauteur de 43 cm et une épaisseur de 5,2 cm, présente, je l'ai dernièrement souligné, la particularité d'être incomplet dans la mesure où il a été privé de toute sa portion droite qui initialement comportait cinq lignes horizontales d'un texte soigneusement  inscrit en creux qui, outre qu'il proposait la traditionnelle formule d'offrandes semblable à celle que nous avions notamment rencontrée sur ce petit bassin de calcaire (E 653) que, parmi d'autres ustensiles de vaisselle funéraire, je vous avais présenté le 18 novembre 2008, nous donnait à lire certains titres du défunt se terminant d'ailleurs, dans la colonne verticale précédant les personnages de gauche, par son patronyme.

     A l'instar des statues de l'Ancien Empire, pour que ce linteau chapeautant la porte d'entrée du mastaba puisse pleinement jouer son rôle dans le domaine funéraire, il devait être personnalisé par une inscription : de sorte que le nom du défunt se terminait par un déterminatif, à savoir le signe hiéroglyphique d'un personnage, souvent assis, comme c'est le cas sur certains des autres monuments de Metchetchi : je pense notamment à sa stèle fausse porte exposée au Metropolitan Museum of Fine Arts de New York.

     Ici sur ce très beau fragment de calcaire devant nous, le nom propre qui met fin à la colonne est totalement dépourvu du déterminatif en question :

     (Pour l'explication de  ces signes, permettez-moi de vous suggérer la relecture de mon article introductif du 15 mars dernier.)

   En réalité, il s'agit une fois encore d'une parfaite application de ces jeux scripturaux dont souvent furent friands les artistes égyptiens : la figuration de Metchetchi en taille héroïque dans le registre de gauche du linteau fait office de grand déterminatif. De sorte qu'elle doit être comprise tout à la fois comme une image qui le représente et comme un signe d'écriture visant à compléter son identification qui précède.

     C'est exactement le même principe qui fut appliqué à l'un des personnages d'un célèbre groupe statuaire du Musée du Caire

   Si vous regardez attentivement l'inscription hiéroglyphique peinte à l'arrière-plan, sur le haut du siège, alors que pour la dame le déterminatif attendu d'une personne féminine assise termine, de part et d'autre de son visage, les quatre hiéroglyphes qui précèdent et donnent son nom Neferet, pour l'homme sur le siège à sa droite, les cinq hiéroglyphes définissant son identité, Rahotep, clôturant  à chaque fois la colonne de gauche en sont dépourvus : en réalité, l'imposante stature du personnage tout entier représente en ronde-bosse le petit signe déterminant qui eût dû être peint au-dessus de ses épaules. 

   (Par parenthèse, je ne comprends pas la raison pour laquelle l'artiste a procédé d'une manière différente pour l'épouse et pour son mari ...)

   Ce sur quoi il m'agréait ce matin d'attirer votre attention, amis lecteurs, en m'appuyant sur ces deux exemples parmi tant d'autres, le linteau de Metchetchi bien sûr et, en parallèle, le groupe statuaire du Caire, c'est que l'iconographie égyptienne eut indiscutablement valeur de syntaxe, l'image signifiant bien plus qu'elle ne décrivait.

   En d'autres termes, dans cette civilisation où une minorité seulement accéda au savoir, dessin et écriture furent parfaitement complémentaires et, in fine, indissociables.

   L'essentiel, pour l'ensemble de la population antique, n'était-il pas que l'image rencontrée au détour d'un monument leur parlât, fonctionnât tel un langage, tel un texte que les hommes n'avaient pas eu l'heur d'apprendre tous à lire ? 

(Fischer : 1986, 24-8Malaise 1992, 78-168)