Gaz de schiste : la fuite … en avant

Publié le 27 avril 2011 par Delits

De nombreux intellectuels ont beau avoir rappelé les risques d’une « dictature de l’urgence » et d’une « accélération » sans fin de nos sociétés, le temps politique semble se réduire encore un peu plus à mesure que l’échéance de 2012 approche. Pourtant, on ne saurait tenir la réforme du quinquennat pour seule responsable de cette course effrénée qui tend à faire et défaire l’action politique comme pour mieux démontrer que les choses avancent… sans progresser.

L’exemple de la polémique sur le gaz de schiste est un cas d’école qui devrait peser lourd dans les mois à venir.

Le gaz de schiste est un gaz dit non-conventionnel que l’on trouve à des profondeurs de plus de 2500m. Présent de manière éparse dans la roche, sa récupération nécessite une fracturation de la roche (propulsion d’eau à haute pression, de sable et de produits chimiques) afin de récupérer le gaz. Cette technique, éprouvée aux Etats-Unis pour le gaz de schiste, a permis au pays de devenir non plus importateur mais exportateur de gaz, diminuant ainsi sa dépendance aux pétromonarchies et à la Russie notamment.

En France, l’ancien Ministère de l’Ecologie et du développement durable de Jean-Louis Borloo avait délivré au mois de mars 2010 trois permis de forage dans le sud de la France, un territoire réputé riche en gaz de schiste. Des permis octroyés par l’Etat Français car le sous-sol français est une propriété étatique.

Le lancement des opérations dans les départements de l’Aveyron ou de l’Ardèche (mais aussi en Ile-de-France pour l’huile de schiste) ont cependant très rapidement suscité la crainte des élus locaux, des écologistes et autres défenseurs de l’environnement emmenés par le député européen et trublion, José Bové. 

  

Précipitation n’est pas raison

Face aux nombreuses manifestations et à l’opposition grandissante, le Premier ministre décida d’un moratoire (février 2011) alors que les Ministres de l’Ecologie (Nathalie Kosciusko-Morizet) et de l’Industrie (Eric Besson) ont sollicité le CGIET (Conseil général de l’industrie de l’énergie et des technologies) et le CGEDD (Conseil général de l’environnement et du développement durable) afin de disposer d’un état des lieux précis de cette ressource, des techniques existantes pour l’extraire ainsi que des possibles impacts environnementaux. C’était le temps de l’information et de la pédagogie.

Puis, est venu le temps de la récupération politique. Alertées par les élus locaux et conscients de l’impact négatif de tels forages, l’ensemble des forces politiques ont entamé une course de vitesse contre ce nouveau gaz que le film Gasland (primé aux Oscars) présentait comme une vraie malédiction pour tous ceux qui s’en approchaient. Quelques mois après le drame pétrolier de BP aux Etats-Unis et quelques jours après la catastrophe de Fukushima, l’opinion publique semblait en effet particulièrement sensible à ces questions.

Ainsi, le groupe socialiste à l’Assemblée Nationale d’abord, puis son homologue UMP ensuite ont déposé une proposition de loi visant à s’opposer à ces permis. Comble de l’histoire, Jean-Louis Borloo lui-même déposa une proposition de loi contre l’exploration et l’exploitation. En un mois, le sujet a donc été confisqué par les politiques dont le seul objectif a été d’enterrer au plus vite le sujet afin de démontrer à l’opinion leur bonne volonté sur ce sujet. Sous la pression des députés, l’état d’urgence fut invoqué pour discuter en première lecture d’une proposition de loi unique dès le début du moi de mai. Dans sa hâte, le pouvoir politique a même entamé des négociations pour faire entériner le texte au Sénat avant l’été

   

Quand le coq devient  girouette

Quel est donc ce pays où la mobilisation de 5000 personnes sur 3 week-ends peut permettre d’enterrer un sujet en légiférant en toute hâte ?

Car c’est ici un sujet crucial dont il s’agit. Selon le pré-rapport transmis par le CGIET et le CGEDD, la France serait le pays le plus riche en Europe (avec la Pologne), ses réserves représentant un siècle d’alimentation en gaz à condition de conduire des explorations dans les mois à venir. Dans un contexte où le prix des matières premières, et en particulier du gaz, intéresse les Français (71% selon l’Ifop) et où la dette se creuse dangereusement, l’opportunité d’un vrai débat ou d’une consultation aurait sans doute été souhaitable. Nombreux sont les commentateurs qui en firent la demande.

Le temps s’accélère, les lois se font et se défont au gré des mouvements d’opinions que perçoivent nos dirigeants. Délits d’Opinion s’était déjà interrogé en avril 2010 lors d’une conférence intitulée : L’opinion à-t-elle pris le pouvoir ? Douze mois plus tard et à un an de l’échéance présidentielle il semble qu’elle fasse en tous cas déjà tourner les têtes.