Epilogue: Gloomy Bali

Publié le 29 avril 2011 par Saintleger


« Le livre commençait par une photo que je considère comme la plus réussie de toute ma carrière… C’était un agrandissement. La photo reproduisait un jeune Noir, on ne voyait que le buste ; un maillot de corps avec un texte publicitaire, sur le visage une expression d’effort intense, les mains levées dans un geste victorieux : il est de toute évidence en train de franchir la ligne d’arrivée, le cent mètres, par exemple. La deuxième photo, c’était la photo entière. A gauche, il y a un policier habillé comme un martien, avec un casque en plexiglas sur le visage, des bottes montantes, le fusil épaulé, des yeux féroces sous la visière. Il est en train de tirer sur le Noir. Et le Noir s’échappe, les bras levés, mais il est déjà mort : une seconde après avoir appuyé sur le déclic, il était déjà mort. Mon livre s’appelait Afrique du Sud et il y avait une seule légende sous la première photo, l’agrandissement. C’était ’méfiez-vous des morceaux choisis’ ».

Extrait de Nocturne indien d’Antonio Tabucchi

Bali, Bali, Bali. Cette incantation psalmodiée par les occidentaux depuis bientôt 40 ans (et bien plus encore dans la réalité) n’a pas laissé les balinais indifférents. Et on peut les comprendre aisément. Mais la résultante, bien entendu, a généré chez moi une pointe de déception. Depuis toutes ces années attendues afin de fouler le sol des Dieux, j’avais fantasmé à plein, imaginant des espaces vierges, des aventures non balisées, un peu comme dans ce vieux film Super 8 que mon père nous avait projeté à la fin des années 60, et qui hante toujours mon esprit. Alors voilà, le débat est cruel car on parle tout simplement d’un peuple qui accède à la modernité (et à la richesse). De l’autre côté, nous, occidentaux, espérons souvent échapper à cette fulgurante mondialisation pour vivre des moments en rupture pleine et entière avec nos codes, notre système. Pas simple aujourd’hui dans un monde hyper globalisé. Alors oui, Bali dispose encore de ces espaces un peu hors du temps. Alors oui, Bali offre des rencontres et des moments incroyables. Mais il ne s’agit plus que de petites bulles isolées les unes des autres, parfois légèrement biaisées par quelque chose de « supérieur ».

Prenez la photographie ci-dessus. J’ai eu beaucoup de commentaires émerveillés à son sujet. Ce morceau choisi est pour moi l’image absolue de ce que j’attendais de cette île. Dans la réalité, ce shoot n’a été rendu possible que parce qu’à un moment donné nous nous sommes retrouvés plongés en plein milieu du tournage d’un film. Cette image n’existe pas. Ou disons plus simplement qu’elle n’existe presque plus. Bali est en pleine explosion, où l’immobilier est une folie, où chaque rizière tend à se transformer en partie de Sim City, où des pans entiers de l’île sont sur la voie d’un désastre similaire à celui qui a détruit les côtes espagnoles (en beaucoup plus classe tout de même)… Bien sûr, l’idée n’est pas de détruire le rêve balinais, mais juste de corriger quelque peu sa perspective. Je dis ça au sujet de Bali, mais ça serait sans doute tout aussi vrai pour 90% des pays de la planète. Et je serais supris en remettant les pieds dans des endroits que j’ai visité il y a des dizaines d’années.

Alors retournerais-je un jour à Bali ? Pas certain. Disons que j’irais vraisemblablement un peu plus à l’Est. Vers Lombok, vers Sumbawa, vers Flores, vers les Célèbes…