Anthologie permanente : Emmanuel Hocquard

Par Florence Trocmé

Emmanuel Hocquard publie Les Coquelicots ( une Grammaire de Tanger III) dans la collection " Le Refuge en Méditerranée " du centre international de poésie de Marseille ( présentation de ce livre)
Les terrains vagues

[...]
J'ai souvent évoqué, ici et là, la place importante - au propre comme au figuré, que tenaient les terrains vagues dans l'ancien Tanger : enfant, j'ai quotidiennement fréquenté ces vastes espaces, ouverts, herbeux et fleuris, au cœur de la cité. Ils répondaient, par-dessus la ville construite, à l'ouverture du détroit.
" Omniprésents, les terrains vagues faisaient alors partie du paysage inaccompli de la ville. [...] Espaces vacants, terres vaines, territoires des lézards, des scarabées, des sauterelles et des abeilles, ils étaient tour à tour terrains de jeu, selon les heures, pour les enfants et pour les chiens, lieux de passage, postes d'observation, chemins de traverse entre les rues, les routes et les avenues. "
Je m'arrête ici sur le mot vague. Comme "miniature", vague se situe à la confluence de deux étymologies latines : vacuus et vagus. D'une part un état, d'autre part un type de mouvement. L'un ne va pas sans l'autre.
1°) Vacuus : inoccupé, sans emploi, vacant, vide [ per vacuum, à travers le vide (Lucrèce, à propos de la chute des atomes dans le vide)], sans préoccupation paisible, ouvert, accessible, vain, sans valeur...

Ædes vacivæ : la maison vide.

2°) Vagus : errant, flottant, inconstant, indéterminé, ondoyant, affranchi de toute loi, hasardeux, vagabond, que l'esprit a du mal à saisir en raison de son caractère variable ou de son sens mal défini, non établi...
Vagor : aller çà et là, errer, s'étendre au loin, circuler, partir à l'aventure [ vagantes fabulæ, récits flottants, contradictoires.]
Les mouvements portés par l'adjectif vagus comme par le verbe vagor ont ceci de singulier : ils ne s'exercent pas dans les terrains vagues, mais par eux. Ils sont leur fait. Autrement dit, de même que le détroit produit sa couleur, ses vents, ses vagues et ses courants, de même les terrains vagues contiennent et génèrent leurs propres mouvements. Il y a là un renversement : plutôt que de dire : " J'erre dans un terrain vague ", on devrait dire : " le terrain vague erre. " Et si je devais aller jusqu'au bout de ma pensée, je devrais dire : " le terrain vague m'erre. "
Les mouvements des pièces sur mon échiquier sont du type Les coquelicots sont vagabonds. Ils ne poussent pas, au hasard, dans les champs ou au bord des routes ; comme les chiens de nuit, ils engendrent un espace particulier, un "récit flottant" qui m'emporte.
Emmanuel Hocquard, Les Coquelicots (une Grammaire de Tanger III), collection " Le Refuge en Méditerranée ", centre international de poésie de Marseille (cipM), 2011, sans pagination.
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