Anglophones et Francophones au Cameroun

Publié le 05 mai 2011 par 237online @237online

Augustin Simo Bobda, UY1* & Innocent Fassé Mbouya, UD*. Comment ils se definissent et se percoivent les uns les autres.

L’un des héritages les plus frappants de la colonisation pour le Cameroun demeure ses langues officielles : le français et l’anglais.

Autour de ces deux langues, véhicules de deux cultures occidentales (anglaise et française), les camerounais qui dans leur quotidien se servaient déjà de 286 langues nationales ont construit deux

sous-identités, deux sous-peuples, deux supra-cultures (anglophone et francophone) qui ne font pas toujours bon ménage. Aujourd’hui, à l’ère des cinquantenaires de l’indépendance et 50 ans après la réunification des parties anglophone et francophone, il est apparu intéressant de se pencher avec un esprit scientifique sur la perception et l’attitude que chacun de ces sous-groupes de la communauté a  vis-à-vis de l’autre. Pour ce faire, deux enseignants chercheurs ont mené une enquête socio-linguistique auprès de plus de deux cent Camerounais adultes anglophones et francophones, étudiants des universités de Yaoundé I et de Douala. Les résultats obtenus qui  sont d’un intérêt multiforme sont assez frappants surtout en ce qui concerne la perception que chaque groupe a des membres de l’autre.

Objectifs et méthode de l’étude
L’étude visait à trouver, de manière scientifique, des réponses à plusieurs préoccupations dont les principales étaient de relever l’appréciation que chaque communauté a de l’autre ; de voir comment chacune d’elle définit ceux qu’elle considère comme ses membres ; ensuite déterminer laquelle est plus attachée ou loyale à elle-même de même que laquelle est plus tolérante de l’autre.
Pour ce faire, un questionnaire de 22 items a été distribué à environs 240 camerounais étudiants des universités de Douala et de Yaoundé 1, précisément des écoles normales supérieures des deux universités d’Etat. Et au final, 209 enquêtés ont effectivement rempli et  retourné leurs questionnaires et, selon le genre et le groupe.
Il ressort de ce tableau qu’il y a eu d’une part plus de répondants francophones qu’anglophones mais d’autre part il y a  plus de femmes que d’hommes chez les anglophones et plus d’hommes que de femmes chez les francophones. Cela s’explique  par le fait que non seulement les francophones sont au plan général plus nombreux que les anglophones, mais en plus l’enquête s’est faite dans deux villes francophones du pays (Douala et Yaoundé). La répartition hommes/femmes dans les deux groupes tient d’une pure coïncidence. L’enquête n’ayant aucune préoccupation d’approche genre au départ, le déséquilibre que l’on peut noter dans chaque groupe n’a pas de signification majeure.

Résultats
L’analyse des réponses obtenues a révélé un certain nombre de faits marquants dont la quintessence vous sera présentée ici. Pour plus de lisibilité, nous allons les présenter concomitamment : ainsi, pour chaque aspect, nous aurons les avis et attitudes des deux groupes présentés l’un après l’autre suivis éventuellement des analyses et/ou commentaires des chercheurs.
• Comment les anglophones et les francophones se définissent-ils eux-mêmes ?
• Qui est anglophone au Cameroun selon les anglophones ?
• Une personne dont les parents sont originaires du Nord-ouest et du Sud-ouest (82,3% sont d’accord, 13,8% pas d’accord et 3,4% n’ont pas répondu) ;
• Une personne qui a étudié dans le système éducatif anglophone mais dont les parents ne sont ni du Sud-ouest ni du Nord-ouest (47,1% sont d’accord, 50,6%, pas d’accord et 2,3% n’ont pas répondu) ;
• Une personne qui est originaire du Nord-ouest ou du Sud-ouest même si elle ne parle pas bien anglais (66,7 % sont d’accord, 31,0%, pas d’accord et 2,3% n’ont pas répondu) ;
• Une personne qui est originaire du Nord-ouest ou du Sud-ouest même si elle  a étudié dans le système francophone (52,9% sont d’accord, 43,7%, pas d’accord et 3,4% n’ont pas répondu) ;
• Une personne qui connaît et utilise l’anglais comme sa principale langue de travail même si elle n’est pas du Nord-ouest ou du Sud-ouest (32,2% sont d’accord, 62,1%, pas d’accord et 5,7% n’ont pas répondu) ;
II - Qui est francophone au Cameroun selon les francophones ?
• Une personne dont les parents sont originaires d’une région autre que le Nord-ouest et le Sud-ouest (71,3% sont d’accord, 26,21%, pas d’accord et 2,5% n’ont pas répondu) ;
• Une personne qui a étudié dans le système éducatif francophone même si les parents sont originaires du Nord-Ouest ou du Sud-Ouest (66,4% sont d’accord, 32,8%, pas d’accord et 0,8% n’ont pas répondu) ;
• Une personne qui est originaire du Nord-ouest ou du Sud-ouest mais qui connaît et utilise le français comme sa langue de travail (37,9% sont d’accord, 52,9%, pas d’accord et 9,2% n’ont pas répondu) ;
• Une personne originaire d’une région francophone mais qui ne parle pas bien français (51,7% sont d’accord, 36,8%, pas d’accord et 11,5% n’ont pas répondu).
Au regard de ce qui précède, il apparaît que bien que l’on puisse conclure qu’il existe plusieurs définitions de la notion d’anglophone et de francophone dans chaque groupe, il est clair que celle qui domine c’est celle basée sur l’origine ethnique suivie de celle qui s’appuie sur le fait que provenant d’une région opposée, l’on ait été éduqué dans le système éducatif du sous-groupe d’accueil, puis vient seulement en troisième position le fait de savoir parler le français ou l’anglais selon le cas. Pour ce qui est des personnes dont les origines ethniques les lient à un groupe mais qui ont été ou sont éduqués dans l’autre groupe, Eric Anchimbe, un linguiste camerounais, a cherché à savoir comment ceux-ci se définissaient eux-mêmes. Ces camerounais atypiques que l’on a souvent appelés « camerounais de la onzième province » et qu’Anchimbe considère comme des linguabrides, un terme qu’il a lui-même créé, se sont révélés avoir une perception plutôt opportuniste de leur identité : tantôt anglophone, tantôt francophone selon l’enjeu de l’heure. L’on peut donc conclure que la notion d’anglophone et de francophone est diversement perçue et que l’on pourrait parler de degré d’anglophonie ou de francophonie qu’on ne devrait surtout pas définir à partir d’un dictionnaire, à moins que ce soit un dictionnaire adapté aux réalités rcamerounaises.
Cela étant, comment chaque groupe apprécie-t-il le caractère des membres de l’autre groupe ?
B. Comment les  Anglophones et les Francophones se jugent-ils les uns les autres ?
Pour apprécier ceci, une grille de qualificatifs sous forme d’échelle d’appréciation a été fournie dans le questionnaire pour faciliter la tâche aux répondants. Par exemple pour la notion « bonne éducation/bonnes manières », les répondants devaient choisir parmi les possibilités suivantes : « très bien éduqué », « bien éduqué », « mal éduqué » et « très mal éduqué ».
• A propos du critère « élégance »
Ce critère a été choisi du fait d’une expression courante chez les francophones au Cameroun : « les anglophones sont toujours à gauches ou sont toujours gauches ». Dans cette expression, l’on fait le plus souvent référence à la manière de se comporter en général, de raisonner et même de s’habiller. Comme cela apparaît clairement dans ce tableau,  les anglophones pensent pareil de leurs compatriotes francophones car environ 60% des membres de chaque communauté perçoit l’autre comme manquant d’élégance.
•A propos du critère « ardeur au travail »
Une différence frappante ressort cette fois-ci: tandis que la grande majorité des francophones (69.7%) trouve les anglophones travailleurs et jusqu’à 12,3% les jugent très travailleurs, seuls 23.0% d’anglophones trouvent les francophones « travailleurs » et seulement 1,1% « très travailleurs ». Il faut noter que l’étude, du fait qu’elle cherchait essentiellement à répertorier les stéréotypes, ne s’est pas intéressée particulièrement aux justifications des opinions des répondants.
•    A propos du critère « corruption »
Les résultats se rapportant à ce critère suivent la même tendance que les précédents, à savoir une forte tendance de perception positive de l’anglophone par le francophone contre une perception très négative du francophone par l’anglophone. Ici encore, une différence remarquable apparaît à la faveur des anglophones. En effet, tandis que la très grande majorité des anglophones (87.4%) trouvent les francophones « corrompus », 59.8 % « très corrompus » et 27.6 % « corrompus », plus de la moitié des francophones ayant répondu à cette question (54 répondants sur 91) trouvent les anglophones « honnêtes ».   
•    A propos du critère « compétence»
Les deux communautés se sont aussi jugées par rapport à la compétence.  Les résultats sont un indicateur supplémentaire de la perception négative que les anglophones ont des francophones, le contraire demeurant vrai pour les francophones.
En effet, comme les chiffres le soulignent, tandis que plus de la moitié des francophones trouvent les anglophones compétents (53.3%), jusqu’à 70.1% d’anglophones trouvent les francophones incompétents.