Les bébés médicament...

Publié le 10 mai 2011 par Yann Frat / Un Infirmier Dans La Ville

En février dernier est né en france le premier bébé médicament. Si comme moi vous n'avez pas tout pigé, quelques lignes pour en parler... Le bébé médicament/ bébé Docteur / bébé de la deuxième chance c'est quoi?

Une famille A est porteur d'une maladie génétique Z (les maladies génétiques ne s'expriment pas toujours, on peut la porter sans le savoir). Donc ici Papa A et maman A sont sains.

La famille A a un premier enfant A1 qui est atteint de la maladie Z.

Pour guérir, A1 a besoin d'une greffe de moelle : techniquement on lui supprime d'abord sa moelle osseuse par chimiothérapie ( ça s'appelle mettre en "aplasie médullaire") puis on lui injecte une moelle "propre et saine" qui va prendre la place laisée libre. La nouvelle moelle fonctionne alors parfaitement et donc A1 est guéri (en gros).

Seulement pour que la greffe se passe bien, il faut que la nouvelle moelle osseuse soit la plus proche possible génétiquement du donneur (en effet chacun de nos organes sont marqués très précisément comme "notre" par des gènes. Si le corps reconnaît du "non soi" (avec un code génétique diffèrent) il va le rejeter immédiatement comme un corps étranger ; donc en prenant une moelle la plus proche possible du code du receveur on diminue ce risque de rejet).

C'est pour cela (compatibilité gééntique) que le plus souvent les greffes de moelle osseuse se font entre frères et soeurs quand c'est possible (avec les deux mêmes parents les codes génétiques sont souvent trés proches et donc le risque de rejet diminué).

Mais pour la famille A ce n'était pas possible(soit A1 n'avait pas de frère ou de soeur, soit ils n'étaient pas compatibles, soit ils étaient eux aussi touchés par Z).

Les parents A ont alors eu l'idée du "bébé medicament", c'est à dire de faire volontairement un enfant A2 dont on vérifiera qu'il ne sera pas porteur de Z et dont la moelle sera compatible et qui pourra donc donner sa moelle à A1 pour le guérir.

Techniquement la fécondation se fait alors in vitro, on trie les gamètes (pour virer celles porteuses de Z) puis on lance des embryons , puis on les trie encore pour ne garder que celui qui correspond exactement à ce que l'on veut (la meilleure compatibilité génétique possible avec A1). On réimplante enfin l'embryon choisit et 9 mois après on a un bébé A2 tout prêt à donner sa moelle à A1.

Pour le premier cas en France la maladie Z était une béta thalassemie et la greffe s'est faite à partir de sang de cordon donc sans prélèvement de moelle (pour faire vite, le sang de cordon est un sang extrêmement particulier qui à la capacité de se transformer en cellule de ce qu'on veut (ici de la moelle osseuse) (j'irais pas plus loin vous comprendrez))... Donc à peine A2 né et le sang de cordon récupéré son rôle de médicament était donc accompli.

Voilà donc pour le principe technique... Mais pour moi, même si le code de bioéthique l'a permise en 2004, il me semble que cette technique pose plusieurs questions :

- Quel statut va avoir l'enfant A2 dans la famille?

- Comment vérifier que A2 malgré tout était bien désiré par la famille? (et pas fait uniquement pour sauver A1?)

- Ethiquement peut-on à ce point instrumentaliser une naissance, le début d'une vie?

- Le donneur ne peut donner son consentement par définition, est-ce que ça ne pose pas de problème?

- Quelles sont sensuite les limites de ces dons? (ici c'est de la moelle mais pourrait-on faire pareil un jour pour un rein? Un bout de foie?), comment envisager alors cet enfant A2 à la pleine sacrifiée d'office? Où pose-t-on alors la limite?

Évidemment on parle ici du sujet tabou de l'enfance et de celui encore plus tabou de la maladie mortelle des enfants et je comprends que les réactions rationnelles ne sont pas aisées... Je ne porte donc aucun jugement moral sur cette pratique... Reste que ça vaut le coup de s'interroger je trouve... Jusqu''où est-on prêts à aller pour sauver la vie d'un enfant?  A en sacrifier un autre?