Avec la terre, au bout, de Georges Guillain (par Bruno Fern)

Par Florence Trocmé

En écho à la citation de R. Barthes mise en exergue (« Quoi donc au bout ? Eh bien la vie, la sensation de la vie, le sentiment d’existence. »), le titre propose d’être « avec la terre », tout l’enjeu (classique mais difficilement évitable) étant de l’habiter au mieux. Quant à le faire en poète(1) la tentative s’effectue ici en cinq parties qui marquent autant d’étapes entre une dispersion originelle – « n’être plus dans son élément // se maintenir //brouillé / terreux // uniquement par des mensonges » – et une forme de réconciliation finale avec un monde où l’écriture ne serait plus un passage obligé, ce qui permettrait d’accroître le sentiment d’une présence immédiatement sensible :  
 
tu fuis 
l’étroite nomenclature des choses du passé 
dont tu ne cherches pas à fixer les lignes chiffonnées 
 
rapetasser 
tout l’être épars 
 
pour en sentir juste l’approche 
impalpable sans mots
 
 
 
Au fil du livre, on approuve la lucidité de plusieurs affirmations (telles que « quand même // il n’y a pas de poésie descriptive // rien ne se représente ou rien n’est jamais là // totalement ») et on mesure l’efficacité discrète de certains effets formels, comme celui utilisé dans la 2ème partie, lorsque le lecteur (du moins celui que je suis) ne peut pas s’empêcher de relier les deux fragments en italique qui encadrent le centre du poème, créant du coup des collisions fructueuses – ainsi : 
 
éclat mais qu’on n’en finit pas 
 
de perdre de ressaisir jusque dans ces façons 
d’être là ombres gommées vacillantes puis 
s’embrasant d’un gros bouquet de chrysanthèmes 
en vieux morts assagis pleins d’obscur 
 
par la terre comblés 
 
En outre, ici ou là, on peut apprécier les traits d’un humour à la fois amer et pudique : 
 
[…]  
persuadés que cette vie ne rime à rien passant 
  le sel la mayonnaise pour quelque bout de vache 
  rêvant par-dessus tout de tout envoyer paître 
 
Le monde rural(2) évoqué à travers sa rudesse et sa sensualité (c’est-à-dire dans les deux cas éprouvant le corps « lourdement allégé d’avoir été mais sans parole »), constitue le plus souvent le lieu des scènes d’où le poème semble être issu – et l’on pense parfois à Follain ou à Guillevic (3), ce qui, au-delà de ces référents communs, suppose également une attention portée aux détails (y compris ceux de la langue) et une juste retenue (aucune surcharge symbolique car G. Guillain sait que l’on reste toujours « dans la brouille incertaine des choses »), soit deux qualités suffisamment rares pour mériter le détour. 
 
[Bruno Fern] 
 
 
Georges Guillain, Avec la terre, au bout, Atelier la Feugraie, 2011, 13 €  
 
 
1. « Plein de mérites, mais en poète, l’homme habite sur cette terre » (F. Hölderlin). 
2. À cet égard, il est significatif que l’un des poèmes soit dédié à Pascal Commère. 
3. Qui sont respectivement les auteurs d’ouvrages justement intitulés Exister et Avec.