IUFM : L’Empire des Cancres

Publié le 10 mai 2011 par Veille-Education

Rapport sur la correction d’un concours d’entrée à l’IUFM

Marc Sterling est enseignant. Littéralement dégoûté par l’effondrement du niveau de l’enseignement et des élèves, il nous adresse ses impressions à la suite de la correction d’un concours d’entrée à l’IUFM. Il va de soi que l’auteur écrit sous pseudonyme, la révélation de sa véritable identité lui vaudrait, à la différence des futurs professeurs dont il parle, les foudres de sa hiérarchie.

Rapport sur la correction d’un concours d’entrée à l’IUFM. Discipline : Histoire Géographie. Ce rapport porte sur 71 copies examinées. Niveau exigé : Licence (Bac+3)

SUJET
A) Questions : Répondez de façon concise :

1) Les principales caractéristiques du régime nazi.

2) Les enjeux de l’euro.

B) Etude de dossier : la colonisation en débat dans la France de la fin du XIXème siècle.

Documents à utiliser :

1) extrait d’un discours de Jules Ferry, et réponse de Clémenceau.

2) image de couverture d’un cahier scolaire vers 1900 : « Les colonies françaises », avec Marianne débarquant en armure, tenant un bouclier où sont inscrits les mots : civilisation, progrès, commerce.

3) paragraphes : éloge puis critique de la colonisation, respectivement par Galliéni et Jean Jaurès.

Présentez les enjeux scientifiques du sujet en analysant les documents. Proposez des pistes d’utilisation dans une classe de cycle 3 (8 à 11 ans). Mettez en évidence les objectifs transversaux (maîtrise de la langue, éducation civique) et les liens possibles avec d’autres disciplines.

A la lecture du sujet, je sursaute en découvrant le choix d’avoir associé régime nazi et colonisation dans le même devoir. J’émets l’hypothèse qu’il y a une intention précise : elle est confirmée par la correction type proposée concernant l’éducation civique : « faire le lien avec les Droits de l’Homme, les crimes contre l’humanité, le racisme », alors que le sujet précise bien qu’il s’agit de la France de la fin du XIXème siècle. L’esclavage ayant été aboli en 1848, on ne peut plus parler de crime contre l’humanité. Aucun candidat ne l’a remarqué. Un seul est tombé explicitement dans le piège en exposant « les profits tirés du commerce triangulaire »…

Tous, ou presque, se sont contentés, en guise d’analyse des enjeux scientifiques, de diluer de longs propos généraux sur le racisme, (mais aucun n’a parlé des pertes ni des évolutions des cultures des colonisés) et d’évoquer brièvement les intérêts économiques de la France. Très peu de candidats ont parlé du contexte historique de compétition internationale, notamment avec l’Angleterre. L’ensemble des devoirs paraphrase les documents. Un nombre significatif d’entre eux réussit à combler une demie page, voire une page entière, en reformulant le sujet et la description des documents…

Après la correction, je maintiens qu’il ne fallait pas associer les deux questions dans un même devoir de concours, car la médiocrité des candidats, tant au niveau des connaissances que de la méthodologie, ne le permet pas : comment s’exprimer sur ce que l’on ignore, comment l’enseigner, quand de surcroît on maîtrise mal la langue française ? Etait-il légitime, déontologiquement, de proposer, en pleine période d’élection présidentielle, un sujet dont l’actualité brûlante venait à peine de refroidir ? (Polémique sur « les effets positifs de la colonisation »). Ceci est confirmé par le constat que l’ensemble des jurys a effectué avec consternation :

Aucun recul chez les candidats, aucun positionnement d’enseignant, aucune aptitude à l’analyse contradictoire, aucune aptitude à enseigner dans un esprit de faire accéder les élèves à la connaissance. Tous, sauf deux ou trois, défendent leur point de vue personnel de citoyen : bien entendu, comme on pouvait le redouter, c’est pour ou contre la colonisation, comme si celle-ci était un projet ! Ainsi, un candidat dit : « Faut-il ou non être pro-colonialiste? ». D’une part, il trahit par là son ignorance, la question du débat n’étant pas celle-ci, mais celle de la nécessité (ou non) d’une reconnaissance officielle par la République Française de la contradiction qui a existé entre ses paroles (Droits de L’Homme) et ses actes (le colonialisme). D’autre part, dans le sujet, il ne s’agit pas de ce débat, qui commence aujourd’hui avec le 21ème siècle, mais de la « colonisation en débat à la fin du 19ème siècle ».

Un autre dit : « On voit donc que le nazisme existait bien avant Hitler », et encore un autre, après avoir précisé que « la colonisation a été subite (pour subie) »… dit : « elle fait néanmoins partie de l’Histoire de France ». A l’opposé un candidat dit : « Le but de la leçon sera de faire comprendre aux élèves que la colonisation a apporté la civilisation, le progrès technique, la culture… » ! Il développe son propos mais s’en tient à ce seul point de vue !!! Un autre, dans les liens avec les autres disciplines, propose en arts visuels de « faire étudier les différents faciès » !!!

On voit donc que la médiocrité des candidats, associée à une orientation intrinsèque donnée par la composition du sujet, produit exactement l’effet inverse de celui escompté : on peut renvoyer dos à dos les pour et les contre, les uns comme les autres étant prêts à embrigader leurs élèves, pour les derniers d’entre eux à la manière de ceux qu’ils dénoncent, au lieu de les instruire de l’Histoire de la colonisation, de celle du nazisme, de celle des Droits de l’Homme, et de toute l’Histoire en général, afin qu’ils puissent y réfléchir et en débattre, au collège ou au lycée, un tel débat n’étant pas à la portée d’élèves de primaire : certes, le sujet précise qu’il s’agit du débat dans la France du XIXème siècle, mais proposer le sujet revient à en faire débattre les élèves.

Je reconnais que la correction proposée attendait des candidats qu’ils jugent les documents trop difficiles pour ces élèves, mais pas qu’ils jugent le débat prématuré : ainsi, si quelques candidats ont bien repéré le niveau inadapté des documents, seuls deux ou trois ont mis en cause implicitement le second aspect en précisant bien que des « connaissances préalables sont requises avant de mettre en place cette séance », sans en dire davantage. Un seul a proposé une évaluation finale portant sur des connaissances qu’il détaille.

Je remarque qu’en éducation civique, aucun n’a proposé le traitement opérationnel du racisme dans la classe, dans l’école, pourtant induit par les questions du sujet (nazisme, colonisation) le mot débat renforçant l’incitation à le faire. On sait que même là où il n’y a pas d’élèves d’origine étrangère, celui-ci est constaté dans les propos, les allusions, les conduites, les réactions… Ceci correspond au constat fait dans les écoles, pointé dans le dernier rapport sur les ZEP : pour avoir la paix scolaire, on baisse l’exigence et on reste dans ce qui est virtuel dans les représentations des élèves : après avoir rempli des fiches photocopiées sur le racisme ou l’hygiène alimentaire, on sort en récréation pour manger des sucreries sous l’œil des professeurs qui parfois en font autant, ou on lance « bamboula » à un camarade métissé : dans ce cas on s’indigne d’être puni, quand on ne lance pas des menaces, montrant par là que les « apprentissages » sont perçus comme des produits proposés au choix des élèves et de leurs parents consommateurs, et non comme des connaissances modifiant les personnes en les élevant.
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