La presse écarquille enfin les yeux sur les prix de l’immobilier

Publié le 11 mai 2011 par Copeau @Contrepoints

La presse écarquille enfin les yeux sur les prix de l’immobilier

Tiens, ça y est, une petite partie de la presse semble se réveiller après un grand sommeil cotonneux de plus de dix ans. Oh, pas sur tous les problèmes, je vous rassure. Ici, il ne s’agit « que » de la bulle immobilière. Quelques articles apparaissent relatant l’effroyable découverte : il semblerait que les prix de l’accession à la propriété se soient lentement décorrélés des salaires. Noooon ? Si.

Il aura donc fallu de longues années pour qu’enfin la presse nationale et tout ce qu’elle compte d’experts immobiliers, de journalistes enquêteurs et d’analystes pointus admettent ce qu’on trouvait dans quelques blogs lucides et quelques forums depuis tout ce temps : la France subit bel et bien une bulle immobilière carabinée qui va éclater, parce que – tout simplement – toutes les bulles (immobilières et autres) ont fini par éclater un jour.

Les lecteurs réguliers de ce blog ne seront en revanche pas surpris de trouver ce genre de révélations. On trouvera assez facilement des articles évoquant l’explosion, plus ou moins imminente, de cette bulle ; ainsi, en 2007, je prévoyais que les prix allaient chuter un jour ou l’autre.

Je n’avais pas imaginé que le gouvernement serait assez fou, compte-tenu de la crise financière qu’on allait se taper, pour injecter encore plus de liquidités et de facilité de crédit (amis du prêts à taux zéro, bonjour) dans le système pour regonfler la bulle qui commença à percer en 2008. C’est pourtant ce qui s’est passé : après un petit dégonflement, les prix de l’immobilier en France ont bien vite recommencé à grimper, communication éhontée du gouvernement aidant.

Comme le voulait le candidat Sarkozy en pleine campagne, il fallait une France qui s’endette plus, qui fait construire au-delà de sa capacité d’absorption, qui se gave de maisons en carton, qui emménage et paye des frais de mutation et de la bonne grosse taxe foncière.

Mais voilà : les arbres ne grimpent pas jusqu’au ciel et il en va de même pour les prix du m². Les finances des ménages ne sont pas extensibles à l’infini, et même si l’inflation permet, dans une certaine mesure, de camoufler les prix tout simplement obscènes de certaines « réalisations » immobilières, le décalage croissant entre les montants à débourser et la qualité douteuse de ce qui est parfois produit finit par ne plus laisser de doute : l’immobilier, en France, est devenu beaucoup plus qu’un toit, bien plus qu’un investissement ; il s’est transformé, pour certains, en véritable tiroir caisse qu’on ne se gêne pas pour piller dès qu’on le peut.

Evidemment, dans ces « certains » là, le politicien, soucieux de ne pas se mettre dans la ligne de mire, désignera les habituels trois Z pour expliquer la montée en flèche déraisonnable des prix de l’immobilier : les Zagences véreuses, les Zacheteurs zétrangers, et bien sûr, les Zignobles spéculateurs sans lesquels tout groupe de coupables désigné à la vindicte populaire serait incomplet.

Nous en sommes maintenant au point où la nouvelle va donc se savoir au-delà du cercle restreint des informés et des gens de bon sens qui sentaient bien que tout ceci ne pouvait pas tenir des siècles (et en tout cas, moins longtemps qu’un prêt immobilier standard) : la presse nous présente donc des articles où elle va nous décrire par le menu pourquoi il y a bien une bulle, comment l’éviter, qui sont les responsables et comment s’en sortir dans cette jungle néo-ultralibérale sans le moindre frein, mais que fait l’État ?

Dans cette catégorie, on trouve les habituels pisse-copies de Marianne qui nous infligent ce genre d’articles où l’on nous explique que « au total, sur 10 ans (2000-2010), les prix ont augmenté de 126%. Dans certains arrondissements de Paris, la hausse dépasse les 200% » mais où l’on aura bien du mal à trouver une référence d’un précédent article du même Marianne pour nous avertir, en 2007, en 2008, en 2009 ou en 2010 que la hausse des prix, déjà conséquente, est malsaine.

À ce moment là, ça roupillait ferme dans les rédactions.

Maintenant, il est plus que temps de faire des « dossiers sur la bulle », comme on commence à en voir fleurir dans quelques papelards en mal de lecteurs. Certes, on a beau jeu de noter que la France du Tous Propriétaires n’était qu’un leurre, mais l’analyse qui expliquerait pourquoi l’endettement immobilier est passé de 32 à 57% en dix ans manque singulièrement dans ce tableau.

Peut-être que la viscosité historique du marché de l’immobilier en France, couplée à une « cornucopie » de bidouillages fiscaux pour avantager l’accession à la propriété, la délivrance de prêts dans des conditions très favorables et les rengaines publicitaires étatiques, peut-être ces éléments auront vaguement poussé à la roue, ou plutôt, jeté de l’huile sur un feu déjà bien vivace ?

Mais non : ce sont, soyons en sûr, les méchants spéculateurs et les étrangers qui font monter les prix ! C’est évident : la France manque de logements, voyons ! C’est la pénurie ! Et même si une proportion toujours plus grandes de biens ne trouvent pas de locataires, ou sont disponibles mais à des conditions rocambolesques ou des tarifs indécents, c’est tout simplement parce que leurs propriétaires sont méchants ! Ça n’a aucun rapport avec l’avalanche de lois ultra-protectrices pour le locataire !

Les Français, coincés entre d’un côté l’absolue désir de devenir proprios, désir attisé pour des raisons de basse politique, et de l’autre, ne voulant entendre que les bons sentiments dégoulinant d’associations de protection des gentils locataires, se retrouvent à acheter du m² surgonflé et surtaxé, croyant faire une bonne affaire fiscale, mais qu’ils laisseront vides soit de peur de retrouver leur bien saccagé, soit parce qu’inlouable, trop loin de tout et de piètre qualité…

Effectivement, la presse a raison d’écarquiller les yeux sur le constat, mais elle se fait mal aux pupilles à ne pas chercher les raisons évidentes de la catastrophe qui nous attend.

Bah. Elle n’est plus à une pignouferie près.
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