L’éthique de la liberté

Publié le 13 mai 2011 par Copeau @Contrepoints

L’éthique de la liberté, ouvrage majeur de Murray Rothbard, sera réédité et disponible en librairie à partir du 15 mai prochain, dans la collection Bibliothèque classique de la liberté des Belles Lettres. A cette occasion, nous vous proposons de (re)découvrir le texte que Lucilio consacrait il y a quelques mois à ce livre sans concession. Cette réédition est précédée d’une préface inédite de Jérémie Rostan, jeune agrégé de philosophie.

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La norme fondamentale de toute société devrait être l’interdiction pour quiconque de porter atteinte à la propriété juste ou légitime d’autrui. Dès lors, toute personne agressée a le droit de se défendre avec tous les moyens à sa disposition.

La croissance du secteur public est un des plus grands dangers auquel se trouvent confrontées les sociétés. Les crises financières causées par les banques centrales contrôlées par les États se traduisent toujours par une augmentation du pouvoir des politiciens et des pratiques liberticides qui réduisent chaque fois plus la faible marge de manœuvre dont disposent les gens pour agir comme ils l’entendent. Dans ce contexte, des ouvrages comme L’éthique de la liberté de Murray N. Rothbard (1926-1995) sont indispensables pour cerner correctement les dangers inhérents à l’augmentation du pouvoir politique et s’opposer à la pensée unique que ce dernier tente d’inscrire dans l’imaginaire collectif afin de pouvoir dominer plus sûrement.

L’éthique de la liberté est un livre radical, au caractère résolument révolutionnaire, qui expose un modèle de société très distinct de celui que nous connaissons. Rothbard y soutient que l’économie peut contribuer à la défense de la liberté individuelle, mais qu’elle ne peut, à elle seule, fonder une philosophie politique digne de ce nom. Pour émettre des jugements politiques, il faut des jugements de valeurs et, partant, la philosophie politique doit être nécessairement de nature éthique. Il faut donc élaborer un système éthique positif pour pouvoir défendre la cause de la liberté avec de solides arguments.

Pour ce faire, Rothbard prend comme base le droit naturel – qui conçoit la loi non comme une expression de la volonté humaine, mais comme quelque chose de propre à la nature de l’homme – et s’attaque aux conceptions positivistes du droit. Sa vision, dérivée de l’enseignement d’Aristote, de Saint Thomas d’Aquin et des scolastiques de l’École de Salamanque, ne se fonde pas sur un quelconque concept divin mais bien sur l’assurance que l’esprit humain est capable d’accéder à la connaissance de la nature en général et de la nature humaine en particulier.

La clé de la théorie éthique de Rothbard se trouve dans le droit de propriété, plus précisément dans le droit que possède toute personne de disposer de sa personne et de tout ce sur quoi il imprime le sceau de son action. Sur cette base, il analyse les problèmes éthiques fondamentaux comme les droits des enfants, la corruption, la théorie des contrats comme transfert de titre de propriété, les délits et les peines, etc. Loin de fuir le concret, il propose chaque fois un grand nombre d’exemples illustrant ses hypothèses.

Ainsi, en ce qui concerne la liberté d’expression, Rothbard considère qu’il s’agit là d’une simple extension du droit de propriété et nie l’existence d’un droit absolu à la libre expression en tant que tel. Les gens ne possèdent aucun « droit à la libre expression », mais bien le droit de louer un local et de s’adresser aux personnes qui y entrent. Comme il n’existe pas un « droit à la liberté de la presse », mais bien le droit d’écrire ou de publier un journal et de le vendre (ou le donner) librement aux gens. La base donc se situe bien dans le droit de propriété, qui inclut la liberté de contracter et de transférer sa propriété. Il n’existe pas de « droit d’expression » ou de « droit de la presse » au-delà des droits de propriété que possède concrètement une personne.

Pour Rothbard, la norme fondamentale de toute société devrait être l’interdiction pour quiconque de porter atteinte à la propriété juste ou légitime d’autrui. Dès lors, toute personne agressée a le droit de se défendre avec tous les moyens à sa disposition, y compris les plus violents. Dans cette optique, le droit à la vie ne serait également qu’une extension du droit de propriété et de la libre disposition de son propre corps. Bien sûr, il est nécessaire de déterminer si la propriété est légitime ou juste au moment de déterminer si une personne commet un délit ou exerce simplement son droit à la légitime défense.

La théorie de Rothbard est particulièrement intéressante quand elle critique l’État comme l’ennemi inné de la liberté et donc du droit. Après une analyse de théories libérales alternatives comme celles d’Isaiah Berlin, de Friedrich von Hayek et de Robert Nozick, il conclut que la solution ne passe pas par le classique État minimal (« veilleur de nuit ») défendus par un grand nombre de libéraux, mais bien par l’organisation de la vie en société sur des bases libertaires totalement neuves qui partent du rejet de toute justification éthique de l’État comme pouvoir coercitif et monopolistique. Pour ce faire, les fonctions de l’État pourraient se diviser en deux catégories : celles qu’il faudrait éliminer et celles qu’il faudrait rendre aux gens.

Dans Outrage à chefs d’État, Lysander Spooner l’énonçait déjà : l’État n’est rien d’autre qu’une organisation criminelle qui s’appuie sur un système de spoliation à grande échelle grâce à l’appui gagné auprès des gens en faisant miroiter à tout le monde la fiction de pouvoir vivre aux dépens de tout le monde comme l’expliquait Frédéric Bastiat. Les impôts ne sont donc rien d’autre qu’un vol qui portent atteinte aux droits de propriété des individus n’ayant pour principale finalité que de maintenir une caste de parasites vivant aux crochets des administrés. Et un vol à main armé puisque l’État impose le monopole de la violence afin de pouvoir soumettre plus aisément la population. Pour Rothbard, il ne faut pas s’y tromper : le régime démocratique n’est rien d’autre qu’une illusion entretenue par les pouvoirs publics qui laissent les gens jouer au simulacre du choix des gouvernants selon des majorités qui ne le sont presque jamais.

Ceux qui se lanceront dans la lecture de ce livre sans trop connaître le monde libéral verront très certainement nombre de leurs conceptions violemment choquées. En revanche, les autres pourront tirer un grand profit de ces pages, même sans souscrire à l’entièreté des propositions de Rothbard, et y trouveront une bonne réserve de munitions pour lutter contrer les liberticides qui prétendent rétablir les sociétés esclavagistes.

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