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Publié le 14 mai 2011 par Lironjeremy

Carl André


Les artistes minimalistes voulaient sortir tout à fait du jeu d’illusions de la représentation, de toute suggestion, même minimale, d’espace (deux aplats de couleur qui sembleraient venir l’un devant l’autre), de toute psychologie ou narration afin d’arriver à la chose simple et nue ; la chose ne renvoyant à rien d’autre qu’à elle-même. Ils voulaient des objets remis à leur solitude. Que l’objet « spécifique », dans sa simplicité géométrique ne s’efface pas derrière un jeu référentiel ou expressif, un effet ou une émotion, mais se donne tout dans la tautologie de sa définition ou de sa description ; dégagé de tous ces réseaux de signes dans lequel il est pris, s’épuisant enfin en un simple regard (what you see is what you see). Et qu’alors on le voit vraiment. Le degré zéro du regard, le moins développé et peut-être le plus difficile : dans cette frontalité univoque s’exerce un paradoxal retrait : dans cette excédente évidence, échappant au réseau des pensées et des rêves, ou voulant les exclure, s’en dégager, les objets en deviennent vidés et impensables. L’évidence est une butée. Alors ils renvoient en toute extrémité au vertige de la présence. C’est comme si leur simplicité en effet épuisait le langage, leur compacité mutique en faisait un grain dur, et mystérieux bientôt. Cette extrémité essentielle défiant la langue pourrait passer alors pour une forme de mystique. L’objet ne peut être isolé, sinon théoriquement, et devient inéluctablement le sujet d’une relation entre lui, l’espace, le temps, et le spectateur. Il est toujours voué à porter au-delà de lui-même. (…)