Le photographe

Par Francois Moussirou @LESALONIVRE

Le Photographe


-Ok, ma belle ! Tu veux de la lumière dans ta vie. Je suis l’homme qu’il te faut. On pose un rendez-vous pour la semaine prochaine. Lundi. A quinze heures dans mon Labo. Métro Bastille.


-J’y serai sans faute Juicy.


Ils se font la bise avec toutes les manières dignes de personnalités du show business. Elle s’en va avec sa dégaine de pétasse au rabais. Un modèle bon marché. En sachet. Emballé. Formaté. Du packaging pour faire un paquet de fric. Un sourire conçu pour les multinationales, les ménagères et le baby-boom. Sa vie est simple. Les portes lui sont ouvertes. Du moins c’est ce qu’on fait croire à toutes celles qui rêvent de faire la couverture. Être le désir unique et égoïste de toute la planète. Les hommes m’appartiennent même si je suis une pute qui baise mal et peu. Ma vie est pleine de déboires. Je suis seule. Les mecs ont peur de moi donc je baise des femmes. Avec elles je peux me venger. Plus de liberté. ça ne m’engage à rien. Et puis ces mecs ne pensent qu’à leur bite. Des couilles molles abruties par les scènes de Rocco Silfredi.


Les projecteurs j’aime ça. Ça me valorise alors que mon père me battait pendant mon enfance. Ma mère s’en fout. Elle est comme moi. Toute sa vie elle a été belle comme moi. Maintenant elle s’empoisonne l’existence avec du botox. Je sais que je finirais par épouser un milliardaire. Quoiqu’il arrive. Un milliardaire c’est tout. Peu importe qu’il soit noire, arabe, asiatique, caca ou cailloux. L’argent n’a pas d’odeur.


J’ai commencé tôt à faire la catin. De toute façon depuis mon enfance je suis la plus belle. Personne ne me résiste. Je vends mon corps depuis l’âge de deux ans. Ça ne me dérange pas. Au contraire, je retire plein d’avantages que des hommes se donnent du mal à m’offrir. Le féminisme est une arnaque mais ça reste un secret de femme.


Lundi je pourrai enfin présenter ce book à Massimo grâce Juicy. Il m’a l’air d’être un bon professionnel. J’espère qu’il est gai parce que si je dois me mettre à poil devant un hétéro c’est gênant. J’ai peur qu’il bande comme un taureau et que je sois obligé de prendre un rail de coke pour le sucer. Enfin. Je ne pense pas qu’il soit hétéro. C’est Lisa qui me l’a présenté. Donc confiance.


Elle s’engouffre dans la station de métro la tête pleine de rêves. La vie facile. La belle vie. Les boîtes de nuits. Le sexe sous alcool. On ne sent rien. C’est même souvent très décevant. Bon, avec ce prochain book, j’espère que je pourrai me vendre auprès de l’agence Massimo.Enfin un contrat qui permettra d’avoir du pouvoir. La beauté est cynique. Un pied diabolique. Les hommes tueraient pour ça. De vrais idiots ces mecs. Je n’ai rien mérité pour avoir ces jambes de rêves. Mon vagin est à peu près le même que celui de toutes les femmes. J’ai un vieux cul de merde. Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir me baiser. Moi tout ce que je veux c’est du pouvoir. Ecraser mon prochain avec des sacs qui valent trois mois de salaires. Partir en vacances sur des yachts avec des russes qui mettront des diamants sur ma poitrine.


Le sexe est ridicule quand on a du pouvoir. C’est bidon.Rien qu’en marchant je fais bander plus d’un homme au bord du divorce. A quoi bon m’emmerder avec une patrie d’éjaculateurs précoces. Je vis le rêve de toutes les femmes et je les rendstoutes jalouses. La beauté c’est cynique. J’en tire tous les bénéfices. Vivement Lundi se dit Véda dans sa cervelle de moineau.


De l’autre côté de Paris- Juicy, le photographe recommandé- monte affaires sur affaires. Dix rendez-vous dans la journée qu’il facture minimum 150 euros quand il est de bonne humeur. Toutes ces petites pétassesparfois même sans beauté veulent se faire tirer le portrait. Photographe, moi ! C’est l’arnaque du siècle. Avec l’arrivée du numérique j’ai vite compris qu’il y avait une affaire dans l’air. J’ai l’air d’un homo alors que j’aime le sexe et les femmes. J’étais un peu hésitant au départ mais j’ai très vite pris la confiance. Elles sont comme des gamines devant l’objectif. Je pourrais éjaculer à chaque prise. Je vois chacun de leur vice dans le viseur. De la petite prude qui masque sa nymphomanie par des vêtements discrets à la fausse salope qui n’aime pas les grosses bites. Je n’ai aucune pitié. Elles paient mon loyer et moi je leur donne du rêve. Elles s’ennuient toutes en majorité. Entre celles qui me proposent de faire des clichés nus pour que leur mec puisse se branler au bureau, et celles qui veulent être filmer avec leur mec. J’ai parfois envie de les trucider. Mais bon, j’ai fini par jouer le jeu. Je feins de croire dur comme fer à leur beauté illusoire qui a oublié le charme de la discrétion. Il me faut des amphétamines. J’ai trop d’images de femmes à poils dans ma tête. Petites putes. Dieu merci elles paient mon loyer !


Elles s’imaginent en centre de l’univers. Il faut les voir ! Il n’y a rien de plus laid qu’une femme qui pose devant un objectif. On truque tous vos désirs. On les invente. Les simule, les retouche comme on ajoute du poivre à donf’ dans un plat pour masquer son mauvais goût. J’ai du génie je crois pour profiter de la femme ainsi. La majorité des mecs se font brimer. Des gosses, la voiture, la belle famille et toute la salade habituelle. J’ai rien de tout ça moi. J’appartiens à la caste des toubibs modernes. J’agis pour l’immédiat, l’instantané et l’inutile par-dessus tout.On me demande des conseils pour séduire comme si moi-même je n’avais pas de problèmes. Hein ! Putain ! c’est pas vrai… ça fait cinq mois que j’ai des problèmes d’érection suite à une fellation décevante. Zéro sur l’échelle de Richter. Banale. Écœurante. Une suceuse pour lépreux. Un cadavre buccal.Ma virilité s’est évanouie. Et toutes ces femmes viennent me demander des conseils. Conseils de beauté, astuces pour le sexe, problèmes de cœur. Si ça continue je vais lancer un magazine à 1euros pour tous ceux qui ne savent pas lire et se contentent de misérables photos pour voyager dans leur tête. Un monde de cons. Il faut tout leur donner. Cru dans la gueule. Comme un tartare sorti de cuisine. Tout est tertiaire. L’amitié, la vie, la réussite, le sport. Des assurances partout. Même pour ta prochaine éjac il faudra un gynéco affilié à axa. Vraiment je sais pas ce qu’elles ont avec la photo.


Faire la couverture. Mais de quoi ? Du papier trié et recyclé…Y a pas de quoi s’extasier. J’en ai vu des canons mais elles n’obéissaient à aucun canon que je suis passé au Panasonic grande panique. Des tétons je peux te lesmontrer en cartes postales, en peinture en ultra-violets, au laser, au Flash de dinosaures sur Leica grand angle. Mon métier improvisé perd tout son charme pour des squelettes de vanité.Certains jours j’ai l’impression qu’elles sont en plastique. J’aimerai être de verre et éclater quand elles sont comme ça. La vie la vraie, le réel sont transformés en autodafé de la beauté pour quelques pages à peine lues dans les magazines. Les forêts entières sont pulvérisées pour que des petits bouts de chairs puissent faire jouir la planète à l’unisson.


Ça c’était du grand Juicy quand son métier de toubib moderne lui tape sur le système. Lundi quand Véda s’est pointée dans son labo photo, il a sorti son sourire de tapette. L’éclairage était déjà réglé. Pas de coiffeuse pour le maquillage. Les modèles se débrouillent comme des grandes. On évite des frais comme ça tout le monde trouve son compte.


Veda avait un de ces sacs chics que portent toutes les prédatrices immolées parisiennes. Habillée comme un viol avec le consentement de l’ordre public, de la publicité, de l’école et des marques de sous-vêtements et de la féminité entière qui crie aux portes la brutalité du désir. Des grandes jambes rasées. Elles brillent. La peau soyeuse. Des Talons comme un crime à Place à Clichy àquatre heures du matin. Un parfum sobre pour éveiller tous les sens. Des yeux maquillés comme l’attaque d’un pervers. Toujours penser à la place du prédateur. Lui suggérer ce qui est devant ses yeux. Un collier gothique de créateur. Elle se touche les cheveux. Les rattache comme une adolescente. Elle a vingt-cinq ans.Juicy en a vingt-huit. Peu importe.


Il se tâte entre ses différents appareils. Il choisit finalement son modèle préféré un Leica M8 qu’il n’utilise que pour des clichés artistiques. Véda est prête. Elle se détend, tourne sur elle-même avec une grâce théâtrale. Ses pas se rejoignent entre le visible et l’invisible. Elle s’arrête. Regarde Juicy. Il transpire. Ce n'est pas dans son habitude. Il prend une première photo pour annoncer le début de la séance. Elle sourit. Dans son viseur, il la poursuit du regard. Elle s’en doute. Véda joue à l’intimidée mais qu’on ne s’y trompe pas. Elle joue à merveille. Juicy lui recommande de relâcher encore plus ses épaules.Elle se tient libre et droite. Le buste envoûtant et plongeant. Elle tourne. Les flashs explosent. Des clics, des claques, quelques prises de vues en rafales. Elle bouge à la vitesse des clics. Le sourire d’une danseuse étoile. Elle s’oublie. Se rapproche. Juicy augmente son jet de photos. Ça va être bon pour ton book lui dit-il. Elle s’excite. Se caresse le cou. Ignore l’existence de Juicy. C’est bien continue comme ça ! lui dit-il. Ensuite il enchaîne, maintenant regarde-moi, sois vive, insolente et débordante d’énergie. Elle l’exécute au pied de la lettre.


Juicy se rapproche d’elle. Les rideaux tombent. Védabalance sa tête vers l’arrière avec une lenteur qui relève d’une prouesse de trapéziste. La poitrine devant l’objectif. Grand angle. Erotique et véridique. L’érection de Juicy est de retour. Les mains sur les fesses de Véda : y’a pas photos !