Cannes : “Pas d’accréditation pour les viols et les nazis !”

Publié le 22 mai 2011 par Livmarlene

Vous rêvez devant les chroniques quotidiennes consacrées au Festival international du Film mais n’avez jamais mis les pieds sur la Croisette ? La Fleur de Cactus est allé s’y balader pour vous et vous livre en vrac tous les détails de ce qu’elle a vu. Mesdames et Messieurs, Ladies and Gentlemen, c’est par ici !

Trottoirs bondés.

Derrière la vitre d’un abri-bus une jeune mendiante assise, un enfant dans les bras, se fait marcher dessus... pour pas un rond. La circulation des véhicules comme celle des piétons est réglée par des policiers en uniformes, synchronisés par le sifflet de leur chef. Après quelques minutes d’attente, j’atteins enfin la prestigieuse promenade. En toile de fond, la mer d’un bleu irréel constellée d’une multitude de yachts. Le long des plages, des tentes pointues de plastique blanc dédiées aux journalistes et aux industriels du cinéma. Comme à Gattaca, à Cannes, on ne rentre nulle part sans accréditation. Dans ce qui reste de l’espace public, en grande partie piétonnisé pour la quinzaine, des artistes de rue assurent le show à grand renfort de tubes du King of Pop et de hits de hip hop. Ici, un sosie d’M.Pokora ondule de son torse (évidemment) nu, musclé et luisant de transpiration.

Bimbos.

Par-là, un amuseur déguisé en bimbo réalise des interviews factices et réussit à attirer l’attention de pas mal de caméramen et photographes.

A même la rue, un commercial vient à la rencontre des passants pour les entraîner vers un stand de propagande pour la “Dianetique”, une méthode soit-disant révolutionnaire pour se débarrasser du stress, des pensées négatives et des comportements irrationnels. Après un test pseudo-scientifique, on vous y propose l’achat d’un livre signé Ron Hubbard, le fondateur de la Scientologie. Ou comment profiter de la misère des gens qui viennent à Cannes pour rêver.

Et ils sont nombreux à venir en espérant un miracle. Un homme s’est installé sur la Promenade avec cette pancarte au texte accrocheur :

Devant lui passent des brochettes de dindes, le haut du string dépassant du slim, la crinière peroxydée, des bijoux en toc véritable partout et aspirant d’un air blasé dans la paille d’un verre de granité bourré de colorant.

Sous le soleil exactement !

Suivant tant bien que mal le sens de la marche, des balayeurs en tenues fluo ramassent les détritus balancés à longueurs de journées par la foule des touristes.

Près du plateau de Canal +, Madame et Monsieur Tout-Le-Monde se dorent la pilule sans complexes.

Un instant, je regarde en l’air pour m’aérer un peu les yeux, saturés de tout ce monde. Pendant un instant, je deviens miraculeusement sourde, comme happée par la beauté simple d’une vision intemporelle parmi ces paillettes éphémères : le ciel bleu voilé d’un petit nuage blanc, à gauche, le panache d’un grand palmier et à à la droite de celui-ci, la prestance d’un pin parasol.

Fuck Fukushima !

Le choc d’une épaule sur la mienne me ramène à la réalité de l’agitation environnante. Le responsable, un homme grand en chemise blanche, s’excuse sans même un regard avant de poursuivre sa route d’un pas pressé. Moi, je le regarde tandis qu’il s’éloigne. Autour de son cou, je distingue un ruban noir. Encore un qui a décroché son sésame pour accéder aux Festivités VIP.

Au bureau des accréditations tardives, un homme se plaint de n’avoir pas accès à autant d’endroits que l’an passé. En face de lui, un texte placardé en français et en anglais en appelle à la générosité des amateurs de cinéma, pour les victimes de Fukushima. Lui ne s’en émeut pas, le Japon c’est loin et ce qui l’intéresse, c’est son nombril, ici et maintenant. Le plus remarquable dans cette scène, c’est le calme et l’affabilité inébranlables du jeune homme au guichet.

Quand on n’a pas de badge, on ne voit que cela, des badges qui se balancent sur des poitrines fièrement gonflées. Être accrédité à Cannes est un plaisir en soi. Qu’on s’y amuse ou qu’on s’y ennuie ferme, rien ou presque ne peut gâcher le plaisir de trois mots magiques répétables à l’infini : “J’y étais !”

Poubelle géante.

Ils sont à Cannes, tous ces détenteurs de badges et à côté d’eux, en plein après-midi, des camions bennes s’affairent. Durant la folle quinzaine, Cannes devient une immense usine à déchets (et pas seulement humains après certaines soirées). Avant de se lancer en politique, Hulot le documentariste aurait été bien inspiré de rappeler au Cinéma qu’en matière d’environnement, il ne suffit pas de balayer devant sa porte.

“Heureusement, y a pas d’accréditations pour les vols, les crimes et les viols !” s’écrie une petite femme en pantacourt et tongs, visiblement très vexée de s’être vue refuser l’accès à une plage privée.

"Encore une photo, Lili, please !"

Non loin de là, un photographe s’est entiché de deux jolies petites filles. Il demande l’autorisation à la maman, puis commence à mitrailler les deux fillettes, leur demandant de prendre telle ou telle pause. Avec la spontanéité de leur âge, elles jouent les starlettes et rient à gorge déployée.

Les vrais Cannois, on les reconnaît à la canne justement, voire au déambulateur. Mais quand on leur parle, ils sont agréables et nostalgiques. Une jolie dame (âgée) m’explique : “D’ordinaire, je me balade en jean et liquette. Là, je me suis pomponnée pour venir sentir un peu l’ambiance du Festival. Mais ce n’est plus comme avant. Avant, les stars avaient conscience de venir gêner les Cannois et se faisaient pardonner en se montrant accessibles. Maintenant, elles restent bien cachées dans leurs palaces et se déplacent derrière des vitres fumées.”

Pénélope Cruz...

L’entrée du Carlton est entourée de barrières et d’un impressionnant service de sécurité. Quant aux façades, elles sont couvertes d’énormes images des héros du dernier volet de Pirates des Caraïbes.

Je commence à rebrousser chemin vers son modeste véhicule de fille du peuple, quand mes oreilles sont agressées par un boucan émanant d’une plage privée.

... et des cuissots de dinde.

Entre les pans de plastique blanc, on distingue des fragments de ce qui semble être un concert privé. Encore une fois, la dinde est à l’honneur. Au court-bouillon cette fois, bridées dans de tout petits maillots de bain, elles sont plusieurs à se débattre en rythme dans un jacuzzi.

Un peu plus loin sur la promenade, un grand paralysé dans un fauteuil automatique slalome entre les promeneurs, escorté par une dame pleine d’attentions à son égard. Est-il venu de loin pour se payer une tranche de rêve ? Ou est-il pris en charge dans un établissement voisin et souffre-t-il de cette agitation excessive ? Quelques mètres derrière lui, un vendeur à la sauvette hurle dans le téléphone portable qu’il tient dans une main, l’autre débordant de lunettes de soleil de pacotille.

Ma cabane au fond du jardin.

Tiens, mais c’est Laurent Gerra ! Il arpente la promenade sans éveiller la moindre curiosité chez les badauds. Pas assez entouré pour se faire remarquer sans doute. En tout cas, en vrai, il est plus rondouillet que la télé ne le laisserait croire. De l’autre côté de la rue, deux policiers à cheval avancent vers le palais des Festivals. Manque plus que des flics à monocycles ! Mais non, Cannes n’en a pas déployé dans ses rues cette année.

A l’ombre d’un jardin, un artiste peintre a installé ses toiles contre les troncs des palmiers et travaille sur un paysage.

Le coeur du Septième art.

A 400 mètres du tourbillon, des personnes âgées discutent paisiblement, abritées sous une pergola. Cannes est une ville fleurie, avec de superbes gingko biloba.

Mais à coup sûr, une bonne partie de son charme et de son aura tient à ces quelques jours par an où elle devient le coeur palpitant du Septième Art. Qui n’y est jamais allée rêve de s’y rendre un jour. Qui s’y est promené sans badge espère obtenir un sésame l’an prochain.

Crash down.

Finalement, les plus à plaindre, ce sont les stars, car elles, tout ce qui peut encore leur arriver, c’est de rejoindre brutalement le plancher des vaches, calcinées comme de vulgaires débris célestes. Un certain Lars vient de l’apprendre à ses dépends.