Avec Lagarde l’Europe a tout faux sur le Fonds

Publié le 22 mai 2011 par Letombe

Une sorte de plébiscite politico-médiatique cherche à présenter la ministre de l’économie française comme la candidate « naturelle » des Européens pour succéder à Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI. Attention danger !

( wikimedia commons - MEDEF - cc )

C’était il y a deux semaines à peine : le Journal du Dimanche publiait un article bien  informé de Nicolas Prissette sur le « blues » de Christine Lagarde. Nombre de ses collègues du gouvernement la décrivaient comme fatiguée, à bout de souffle, ou encore  lassée des mœurs trop rudes des milieux politiques. La ministre avait démenti, mais ça sentait un peu le sapin pour la grande Christine,  apparemment pressée de terminer le G20  (dont la préparation lui impose un rythme d’enfer).  Après le dernier rendez-vous de novembre elle se serait mise en campagne pour l’élection législative pour le siège de député des Français  des Etats-Unis, et aurait trouvé un job sans aucun problème.  "Back to USA", en somme. Et voici que le Sofitelgate dégagerait justement une voie accélérée vers Washington, et la direction générale du Fonds. La reine Christine (deuxième du nom) serait la championne des Européens unanimes, eux-mêmes propriétaires du plus grand nombre de voix au conseil d’administration du FMI, et tous intéressés à garder le poste dans la famille (lire ici ).   La presse elle, a déjà voté : Le Monde, les Echo s, Le Financial Times (qui après avoir porté DSK aux nues pendant des années publie ce matin une  photo de lui, trash et volée en prison. Au fait comment dit-on « ignominie » en anglais ?) l’ont élue au poste en moins de temps qu’il n’en faut pour réunir le board du FMI.  Bel ensemble moutonnier. Car si Christine Lagarde réunit les soutiens des gouvernants européens, encore faut-il se demander pourquoi.
Celui de Silvio Berlusconi est un simple renvoi d’ascenseur à Nicolas Sarkozy pour avoir accepté Mario Draghi à la BCE, en remplacement de Jean-Claude Trichet. Rien de sincère dans les éloges du matamore italien. Mais on peut se demander ce qui justifie les éloges, d’Herman Van Rompuy président permanent du conseil européen,  du luxembourgeois Jean-Claude Juncker, du commissaire Olli Rehn ?  On ne sache pas que notre ministre, toute intelligente qu’elle est, soit une as de la technique monétaire, ou une théoricienne des équilibres mondiaux. Non. Tout simplement Christine Lagarde est à leur image,  eux qui sont des conservateurs gèrant en bons pères de famille une économie européenne fatiguée. Et sans aller jusqu’à prétendre comme nos confrères de Mediapart que notre ministre n’a pas sa place au FMI faute de disposer d’un doctorat en économie (qui se souvient du désastre provoqué par Michel Camdessus en Asie à la fin des années 90?), on peut parier que  Lagarde au FMI, ce serait la projection du manque d’audace de la zone euro au niveau planétaire. I suffit d'écouter ses dernières déclarations sur la Grèce, appelée par elle à éviter "la faillite" par des privatisations massives! Le FMI, au contraire, a besoin de continuer la bien timide révolution entamée sous Dominique Strauss-Kahn. De réhabiliter l’investissement social, la dépense publique, de bousculer Washington et Pékin pour trouver une nouvel équilibre, d’inventer des instruments monétaires  nouveaux, de rompre avec la trouille irraisonnée de l’inflation, etc, alors que les mille économiste qui peuplent le Fonds sont encore loin d’avoir admis les évolutions imposées à leur maison par le haut. Franchement, Christine Lagarde ne paraît pas à la hauteur de l’enjeu et rien ne serait plus contre productif que d’envoyer là-bas un simple gardien du coffre-fort mondial avec l’espoir qu’il (elle) gardera les pépettes des Européens.

Reste à savoir si cet emballement politico-médiatico-économique pour Christine Lagarde sera de longue durée. D’ici la fin du mois de juin, la commission des requêtes de la cour de justice de la République devrait dire si oui ou non, il faut entamer une procédure contre la ministre de l’économie et des finances pour « abus d’autorité » dans l’affaire Tapie, pour avoir, en 2007, forcé à l’arbitrage qui a enrichi Bernard Tapie de 210 millions d’euros aux frais des contribuables français. Si les juges concluaient par l’affirmative, ouvrant une longue procédure, l’avenir international de Christine Lagarde serait ipso facto barré. Les prétendants de rechange sont, hélas, presque pire:  Gordon Brown aurait fait l’affaire, mais David Cameron ne veut faire aucun cadeau à un travailliste. Resteraient Axel Weber, l’inflexible allemand, ou son copain Jean-Claude Trichet. Au secours !
Version corrigée à 22 heures, à la demande -justifiée- des lecteurs. Mes excuses pour avoir travaillé trop vite. Bon  week-end à tous. HN

PS: une lectrice très sympathique m'indique qu'en anglais, "ignominie" s'écrit "ignominy". Nous ne pouvons plus l'ignorer... Merci.

Hervé Nathan

http://www.marianne2.fr/