Un chateau, vide, en forêt

Publié le 22 mai 2011 par Tudry

Norman Mailer, un démon de toute petite envergure

« Le démoniaque contient toujours le vrai mais inversé. » S. Kierkegaard

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« Nous n'oserons pas proposer au lecteur la solution de ce que plus tard, on appela l'énigme du Reich; cependant, comment résister à la tentation de jeter un oeil sur un phénomène dont un élément, au moins, titille l'imagination ? Il s'agit de cette spécificité de l'Etat national-socialiste, de son atmosphère propre qui reproduisait d'une façon inattendue et originale l'univers d'un malade mental, ce sentiment de l'évanouissement du réel et de la présence de forces occultes, invisibles qui régissent ses pensées et ses actes. » Boris Khazanov, L'Heure du roi

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Critique critique


Norman Mailer a, dans ce texte, dépassé la littérature. Par l'écriture, par l'inervation intérieure enflammée de l'écriture il a, clairement, rencontré des influx énergétiques habituellement cachés sous la croûte de la construction fictivo-réelle qui nous est à la fois monde et mesure de ce monde. Voilà ce qui dérange et qui gène. Voyez tous ces laborieux critiques qui ne veulent pas même croire ce que DIT l'écrivain et qui ne veulent se fier, envers et contre « l'auteur » autrefois chéri, qu'à leur lecture « à eux », forcément inouïe et clairvoyante. Oui, comprenez bien, comment croire, une seule seconde qu'un « auteur » puisse être persuadé de l'existence de cette puérile invention : le démon ! Cette invention d'arriérés ! Tout juste peut-il vivre « réellement » dans un roman, une fiction. Oui, tout juste bon comme « symbole », comme « paradigme »... On peut écrire ce que Mailer a écrit, mais il faut ensuite que l'auteur avoue, qu'il confesse bien clairement que ceci n'est qu'un « procédé »...


Dur. Très dur, de s'avouer à soi-même que notre état normal, à tous, est dirigé par le malin... Plus encore pour des critiques admiratifs de « l'homme-auteur » qui menait pour eux, en leur nom, les « bons combat ». Difficile de devoir constater qu'avant le grand passage de l'extinction, le « grand auteur » se laisse aller à évoquer enfin, et avec style, une vérité qui ne leur sied pas...

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« Je ne sais pas ce qu'il en est des anges, mais les démons sont tenus de maîtriser l'expression littéraire. » (Un château en forêt, p. 81)


Comme Dante le rappelait dans son De l'éloquence en langue vulgaire, la première parole de l'homme fut, sans aucun doute El, Dieu... mais le premier dialogue fut à base de mensonge entre la femme et le serpent ! Première fiction mythogène fondant et infectant le langage dans le même mouvement-moment !

« Ce qui nous permet de survivre, nous les démons, c'est que nous avons assez de sagesse pour savoir qu'il n'y a pas de réponses mais seulement des questions... mais les bonnes questions sont faites pour résonner longtemps en nous. » (p. 447)

Le maître des démons est le questionneur, l'instigateur des dialogues vains, des pièges dialectiques. La science très particulières des Pères du désert fut démonologique (voire Evagre le Pontique). Ce fut une science des « pensées », car toutes nos pensées sont anges ou démons !


Ce livre est une trahison. Le démon de rang inférieur qui l'écrit, dont l'une des missions fut de veiller sur le destin de la famille incestueuse Hitler, trahit le secret de son existence même, et de celle de son maître, nommé Maestro. Il nous explique, dès le début qu'il préfère écrire le rapport de son expérience sous forme de roman afin de mieux passer inaperçu aux « yeux » du Maestro qui, au moment de cette rédaction, surveille beaucoup plus les « nouvelles technologies » (qui, évidemment, remplacent efficacement les noeuds de conjonction-disjonctive entre fiction-réel et vérité que furent les romans).

Cette oeuvre ressortit-elle de toutes celles mises en cause par Charlotte Lacoste dans son étude « La Séduction du bourreau » ? Etude entamée en réaction, semble-t-il, au succès de « Les Bienveillantes » de J. Littel. Selon l'analyse de « l'étudiante » la littérature aurait tendance à faire retour à la vieille thèse (toujours, si ce n'est réactionnaire, disons au moins « obscurantiste) du « péché originel », du mal universel, de l'homme naturellement mauvais, bref, lâchons le terme honni : une conception mystique. Conception qui ne saurait être le fait que de « mals-pensants » se revendiquant comme tel, des hommes « revenus des illusions philantropiques ». Conceptions qui, inévitablement, déboucherait sur un « académisme de l'abjection », une « séduction par l'horreur », un vision naturaliste des comportements violents. En outre, ces écrivains ajouteraient à leur vilenie en se défendant sur l'air du romancier fait ce qu'il veut dans le monde qu'il a créé, sans morale. Certains iraient jusqu'à invoquer une certaine supériorité de la création littéraire sur l'histoire pour appréhender le mal...

En un sens, le livre de Mailer serait bien, en effet, « condamnable » suivants ces critères... Néanmoins, soulignons l'hypocrisie de l'analyse suivie qui vise très clairement le christianisme (enfin, nous pourrions dire simplement le catholicisme, mais je doute que l'auteur(e) puisse seulement envisager une quelconque différence...) sans jamais le dire...

Que cela soit très « net »... Je suis tout à fait d'accord avec une partie de la thèse, précisément, celle que semble nier l'analyste : la supériorité de la littérature pour appréhender le mal, puisque celui-ci est son essence. Il s'ensuit qu'en effet les ouvrages et les écrivains qu'elle critique sont, en vérité, parfaitement fondé à écrire selon cette inclination. Et, ce qui prouve bien l'inanité de l'accusation (alors même que l'analyse étendue à l'ensemble de la littérature est pertinente) c'est que la mise au pinacle d'autre forme de « déviances » qui ne trouvent à faire place dans la société que par le biais quasi exclusif de la littérature n'est à aucun moment mise en cause... Nul doute que si elle l'était la brillante accusatrice dénoncerait, précisément « l'obscurantisme » de telles assertions...

Or, l'univocité paradoxale du langage est également au coeur du texte de Mailer. Le Waldschloss (le château en forêt) est le nom dont fut ironiquement affublé un camps par ceux qui y était forclos. Cette ironie était, selon notre démon-conteur, fort prisée des berlinois, qui luttait ainsi contre le parler doucereux (très maternel, selon « l'auteur ») qui lui-même masquait la dureté des origines de la langue allemande (voire la déconstruction radicale par Novarina de la « langue matièrenelle »). Manière de faire qui rejoint, parfaitement, les observations et critiques de Karl Kraus sur la Vienne de la même période, et le langage en général lorsqu'il est controuvé en masque, en parade de camouflage. Comme dans le cas de notre universitaire-délatrice il s'agit de la terreur petite-bourgeoise face au rejeton qui « assume » ce qui toujours fut là-masqué...

Mailer aura vu ceci ! Et, en cela, son ouvrage est meilleur que tous ceux du même genre qui refusent d'aller jusqu'à la racine du mal... et provoquent donc une fascination déviée. Il a débusqué dans le fait littéraire la signature du démon. Loin de vouloir déresponsabiliser le « coupable » par un « nous-portons-tous-la-même-potentialité », il a repoussé la culpabilité de la littérature quasiment jusqu'à son origine... En effet, seul un texte littéraire peut se permettre cette intrusion, cette refonte de l'histoire historique et de l'histoire personnelle « fictivisée » ! Seul le démon peut le faire, et la responsabilité de l'homme n'est pas dégagée, au contraire...

L'augustinisme radical qui est à la base de ce pessimisme littéraire catholique (et qui à infusé toute la littérature occidentale à de rares exceptions...) a oublié la leçon d'Evagre le Pontique pour qui le mal est une puissance étrangère qui, de l'extérieur, tente de s'insinuer au creux de la personnalité.

« Le démon n'est pas mauvais par nature. »

Evagre, Kephalaia Gnostika, IV. 59

(Sur l'optimisme ascétique et créatif d'Evarge et des premiers Pères, cf. Gabriel Bunge, Akédia, la doctrine spirituelle d'Evagre le Pontique sur l'acédie, Spritualité orientale n°52, Abbaye de Bellefontaine).

A tous ceux qui ont eu possibilité de connaître la révélation du Verbe de Dieu la responsabilité est entière...

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« Le Maestro parlait toujours favorablement de la Trinité, comme s'il savait une chose que les autres ignoraient. » (p.234)

Malheureusement, la percée « gnostique » et démonologique, la véritable généalogie de l'incarnation du mal dans l'histoire et la littérature par Mailer, se heurte très rapidement aux limitations de la connaissance théologique à sa disposition :

« Puisque le Saint-Spectre (sic) est l'incarnation (sic) de l'amour du Père pour le Fils et du Fils pour le père (sic), c'est toujours le point précis où le Maestro dirigeait ses attaques pour affaiblir la quintessence de cette intégrité. » (p. 234)

L'aporie des littérateurs qui veulent vraiment contempler ce en quoi ils sont pris, est toujours, en occident d'ordre pneumatologique...