Dettes souveraines, quelles solutions?

Publié le 27 mai 2011 par Copeau @Contrepoints

Il n’est plus possible d’essayer de cacher la crise européenne sous le tapis : la situation des dettes souveraines de la Grèce est désespérée, et celle de l’Irlande et du Portugal ne vaut guère mieux. Et certains acteurs de marché deviennent nerveux à l’évocation de l’Espagne et de l’Italie. Que devrait décider l’Europe lors de son tout prochain sommet, pour se sortir de ce bourbier ?

Quand le scénario du pire devient tout à coup très proche…

Quel serait le « scénario du pire » si un défaut grec « en désordre » venait à se produire ?

Cela laisse craindre un nouveau krach bancaire : faute de transparence suffisante des banques sur leur exposition à ces dettes soudainement devenues toxiques (montant, maturité), le crédit interbancaire risque à nouveau de se bloquer, les banques cessant de se faire confiance entre elles, menaçant les établissements les plus fragiles. Dans cette situation, les consommateurs repasseront en mode « ralenti », comme en octobre 2008, causant une véritable panique chez les petits industriels. Seul souci, et de taille : les inévitables annonces de plan de sauvetage des banques par les États ne seront plus crédibles, puisque la faillite proviendrait cette fois de l’incapacité de certains États à se refinancer, et poserait donc la question de la solvabilité des autres États. Une contagion péninsulaire (ibérique et transalpine) serait donc tout à fait envisageable. Et plus rien ne s’opposerait alors à ce que tout le système bancaire européen s’écroule.

Des « bank runs » en grande série seraient donc à craindre, avec blocage des cartes de crédit et autres joyeusetés. Je vous laisse imaginer le trouble à l’ordre public qui en résulterait dans les pays où les foules sont traditionnellement les plus enclines à perdre leur calme.

La seule nouvelle sinon rassurante, du moins pas trop angoissante, est que jamais les grandes entreprises, très prévoyantes, n’ont eu autant de trésorerie. Elles pourront faire le dos rond pendant 3 à 6 mois. Mais pour les PME, ce sera une autre paire de manches.

Enfin, et surtout, la grande nouveauté de cette année est que ce scénario du pire cesse d’être un mauvais roman de science fiction, mais devient l’un des plus probables, sauf décisions urgentes de nos dirigeants, suivies d’une mise en œuvre précise et sans faille.

Des décisions urgentes, mais pas n’importe lesquelles

La question n’est pas de savoir si la dette grecque sera « reprofilée », « rééchelonnée », « restructurée en douceur » ou « massacrée à la tronçonneuse », selon les humeurs sémantiques de Jean Claude Juncker. La dernière option est la seule viable, la Grèce ne pouvant tout simplement plus se financer aux taux de marché actuels. Il faudra réduire le principal de cette dette, quoiqu’il arrive, et sans doute pas qu’un petit peu. Or, de nombreuses grandes banques européennes sont assez exposées à la dette grecque. Pire encore, si un défaut grec produit une réaction en chaîne comme celle décrite précédemment, alors aucune banque européenne n’aura assez de fonds propres pour rester solvable.

La question est de savoir comment faire pour que ce défaut crée des dommages limités à l’environnement économique. Par analogie avec un accident nucléaire, les enceintes de confinement actuelles sont insuffisantes, peut-on les renforcer, et vite ?

L’objectif des mesures doit être de permettre que les particuliers et les entreprises « normales » qui possèdent des comptes en banque, et qui ne sont EN RIEN RESPONSABLES des turpitudes des banques et des États, puissent CONTINUER leurs opérations.

Processus de dégonflement ordonné de la bulle de dettes

Le mécanisme qui permettrait de parvenir à ce résultat, longuement défendu par de nombreux économistes (liste en fin d’article) et déjà développé ici, serait, en quelques mots, le suivant :

- (1) Les pertes sur obligations souveraines, et toute perte collatérale de portefeuille des banques, devraient faire l’objet d’une déclaration quasi-immédiate dans les comptes auprès des banques nationales, qui sont encore, par délégation de la BCE, régulatrices des secteurs bancaires des États de l’union. TOUT MANQUEMENT A CETTE OBLIGATION DE MARK TO MARKET entraînerait de facto la responsabilité des dirigeants des banques fautives sur leur patrimoine personnel pour toute perte ultérieure.

- (2) Toute impossibilité de coter une classe d’actif par excès d’incertitude (« crise de liquidité ») doit être traitée en Mark to Market de la même façon.

- (3) Dès que les pertes ainsi enregistrées entraînent une insolvabilité de la banque (actifs < Dettes), la banque serait mise en redressement, un mandataire judiciaire nommé, et un mécanisme automatique (en un week-end) de conversion des dettes financières en fonds propres serait mis en oeuvre, selon la progression suivante :

- (3a) Tout d’abord, conversion forcée des dettes dites « subordonnées », considérées comme du quasi capital par les législations en vigueur et par les ratios de Bâle,
- (3b) puis, si les pertes à l’actif sont trop élevées pour que cela suffise, conversion des dettes non subordonnées à plus de 5 ans,
- (3c, d, e…) puis, si cela ne suffit toujours pas, conversion des dettes de 2 à 5 ans, puis 1 à deux ans, etc.

En procédant ainsi, on limite le volume des disruptions de cash vers les créanciers impactés, ceux-ci devant évidemment, de façon itérative, reporter les pertes inhérentes à ces « échanges dette-capital » de façon immédiate, cf. étape 1.

De cette façon, la dette de la banque diminue et les sorties de cash liées au versement d’intérêts sont stoppées, permettant à la trésorerie de la banque de se redresser.

- (4) Ce n’est que si la situation de la banque est encore plus mauvaise que les comptes en banque commenceront à être touchés également, forçant la garantie publique à entrer en jeu (en son absence, la fraction des comptes non remboursable serait elle aussi convertie en parts du capital – question purement théorique en l’état actuel). Mais avant que les pertes à l’actif n’atteignent la somme des fonds propres et de l’ensemble des dettes financières des banques, il faudrait que les pertes sur actif soient considérables. Dans le dispositif proposé, la protection des comptes est effective sauf authentique cataclysme, que le mécanisme cherche justement à éviter.

- (5) Les créanciers devenant actionnaires, le mandataire réunirait d’urgence un nouveau conseil d’administration avec les représentants de la banque centrale. Ce conseil devrait très vite déterminer si la nouvelle structure de capital est viable, après application de l’étape 3.a, puis 3.b, etc.

- (6) Si la réponse à la question (5) est « non », les déposants doivent être informés que leurs comptes, qui sont garantis en partie par les États (situation regrettable, mais c’est comme ça, le temps n’est plus à la philosophie ou à la théorie…), seront gérés pendant 6 mois par la banque de France avec moyens de paiement minimaux (billets – virements simples) et que dans ce délai, ils devront indiquer un nouvel établissement vers lequel transférer leurs avoirs. La banque centrale sera quant à elle chargée de transférer les bons actifs correspondants vers les banques récipiendaires, et de liquider les plus mauvais en espérant limiter les pertes.

Cette solution a été notamment mise en œuvre par la Serbie au tournant du millénaire quand les plus grosses banques du pays, très mal gérées au sortir d’une crise très grave, sont tombées.

- (7) Si la réponse à la question (5) est « oui », les nouveaux actionnaires auront à coeur de gérer très rigoureusement la nouvelle banque restructurée, pour d’une part espérer récupérer leurs billes en revalorisant les actions de leur banque tombées au plus bas, et d’autre part pour éviter que, ne se retrouvant face aux étapes 1 et 2, la clause de responsabilité personnelle ne vienne s’appliquer à eux-mêmes.

Clause de sauvegarde
S’il s’avère que la clause numéro (2), dépréciation des actifs « par incapacité temporaire de procéder à leur cotation », ait été trop sévèrement appliquée, et que leur revente permette de récupérer une plus value qui aurait pu permettre d’éviter la restructuration (cela fait beaucoup de « si », rendant ce cas assez improbable), les anciens actionnaires lésés par la mise en faillite pourront récupérer la plus value ainsi réalisée à titre de dédommagement. Ces procédures, plus longues, seront gérées « à froid » par la justice, le calme étant revenu.

Cas des CDS et autres produits dérivés autour des dettes
Les emmetteurs de produits dérivés (qui ne sont rien d’autres que des contrats à terme, donc exécutables dans le cadre du droit) qui ne seraient pas en mesure d’honorer leurs contrats assurant les dettes souveraines seraient placés dans la même situation d’échanges de dettes contre capital. Là encore, il conviendrait de protéger les détenteurs de contrats d’assurance « lambda » de l’éventuelle faillite d’un assureur qui se serait lancé dans la vente spéculative de naked CDS. Les détails du fonctionnement des compagnies d’assurance m’étant étrangers, je laisse à d’autres le soin de décrire plus en détail comment ce principe de faillite ordonnée pourrait être appliquée à cette profession.

Justification légale

Les échanges de dette contre capital sont un outil normal de résolution des faillites ordinaires. Mais leur mise en œuvre prend du temps : il faut négocier entre actionnaires et créanciers. Or, en matière de faillite bancaire, le temps, généralement, manque, car l’on ne peut se permettre de geler les comptes… Ou de provoquer un « bank Run ». D’où les propositions de swap pré-packagés sous la conduite des régulateurs publics.

La proposition qui précède a un gros inconvénient : elle n’est pas prévue par les lois actuelles de la plupart des pays de l’union, et s’apparenterait à une législation d’exception, ce qui n’est ni très démocratique, ni très libéral, j’en conviens.

Mais d’une part, les États se sont placés en situation de garantir à concurrence de certains montants les comptes en banque des agents économiques. C’est économiquement tout à fait regrettable, mais c’est comme ça, et de ce fait, ils sont donc fondés à agir pour éviter que cette garantie ne s’exerce au détriment du contribuable.

D’autre part, l’alternative, à savoir le scénario catastrophe du début de cet article, nécessiterait sans doute d’autres mesures d’exception bien moins désirables que celles-là, avec retour des bruits de bottes et couvre-feux.

Il faut donc qu’une telle mesure, prise au plan européen, fasse l’objet d’une procédure d’approbation parlementaire très rapide et d’une transcription quasi immédiate en droit local. Après quoi, une restructuration de la dette grecque pourra être envisagée bien plus sereinement.

Dans un deuxième temps, il conviendra, à froid, de réfléchir aux évolutions législatives plus pérennes afin de parfaire les angles d’une législation prise dans la précipitation par excès d’imprévoyance, et de repenser certaines lois directement à l’origine du désastre actuel, j’y reviendrai dans un article ultérieur.

Les oppositions

Les actionnaires actuels des banques, et leurs créanciers, dont les actionnaires sont souvent d’autres entreprises du monde financier, voient d’un très mauvais œil une telle disposition légale qui porte en germe leur ruine par « wipe out » en cascade. Ils préfèreraient que les contribuables continuent de renflouer les trous que leur imprévoyance a creusés. Seul problème : la fiction de la solvabilité éternelle des États ne peut être maintenue, et le rôle d’un État « normal » devrait être de limiter la charge pesant sur les contribuables, pas de permettre leur spoliation infinie (et insoutenable) au profit des banquiers. Ils doivent payer pour leur impéritie, quitte à réclamer certaines compensations ultérieures par voie de justice si la « correction précipitée » va trop loin.

Le second point dur est la BCE, qui s’oppose à toute restructuration, si on en croit la presse. Pourquoi ? Elle a semble-t-il pris en pension tellement de dette grecque, en violation de ses statuts fondateurs, qu’elle est devenue une « bad bank » de fait. La conséquence d’une faillite grecque sur le bilan de la BCE est difficilement conceptualisable : cataclysme sur l’euro ? Ou monétisation à outrance des pertes menant à une explosion des taux d’intérêt par pression inflationniste ? Quelle que soit la voie choisie, elle est risquée. Cela méritera des développements ultérieurs.

Effets vertueux

Une fois le mécanisme en vigueur, les prêteurs considèreront que prêter aux grandes banques sera plus risqué, puisque le parapluie public aura disparu, et augmenteront leur prime de risque en conséquence. Cela équilibrera les coûts des ressources financières entre petites et grandes banques (aujourd’hui, l’avantage du parapluie public des Too Big To Fail est estimé à 0.5% minimum) et cela rééquilibrera les incitations des grandes banques vers des ratios de levier plus faibles, donc moins risqués.

L’on me répondra que cela forcera les banques à augmenter les taux d’intérêt qu’elles consentent à leurs clients. Mais ce serait une excellente chose, puisque cela supprimerait une subvention insidieuse (le parapluie public) à l’argent prêté et donc rendrait plus difficile le financement des investissements les plus médiocres, ceux qui, aujourd’hui, faute d’être remboursables, nous plongent dans la crise financière.

Vouloir cacher le vrai prix de l’argent aux investisseurs est le plus sûr chemin vers la ruine, rétablir la vérité des prix la condition essentielle de la guérison.

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Lire également :

Pas vraiment trouvé de bons articles sur la restructuration des passifs bancaires en Europe, mais plusieurs liens traitant du sujet soit pour les USA, soit en général, et un article évoquant l’Irlande.

Sur Objectif Eco :

La BCE détient une énorme quantité de Dette Grecque (O. Crottaz)

Exposition des banques françaises et allemandes aux dettes souveraines (O. Crottaz)

Les TBTF, la plaie de l’économie américaine (V.B.)


Sur Ob’Lib’

Echanges dette contre capital : sauver les banques sans spolier les contribuables

La faillite, meilleur moyen de régulation de la finance

Sur la nocivité des garanties bancaires publiques : mon analyse de l’affaire IceSave


Ailleurs, articles traitant des debt for equity swaps :

Prof. K. Whelan, Dublin U. : « a massive debt-for-equity swap to stave off crisis »

Joseph Stiglitz (on ne présente plus) : « Firms often get into trouble–accumulating more debt than they can repay. There is a time-honored way of resolving the problem, called “financial reorganization,” or bankruptcy. Bankruptcy scares many people, but it shouldn’t. All that happens is that the financial claims on the firm get restructured. When the firm is in very bad trouble, the shareholders get wiped out, and the bondholders become the new shareholders. When things are less serious, some of the debt is converted into equity »

Luigi Zingales : « Since we do not have time for a Chapter 11 and we do not want to bail out all the creditors, the lesser evil is to do what judges do in contentious and overextended bankruptcy processes. They force a restructuring plan on creditors, where part of the debt is forgiven in exchange for some equity or some warrants »

Prof. Garett Jones, George Mason U. : « Speed bankruptcy as an alternative to bank bailouts »

Renaud de Planta, Financial Times :« Debt-equity swaps : a capitalist solution to the crisis »

Article repris avec l’aimable autorisation de son auteur.