Une Journée en Taxi Inoubliable.

Par Jocelynechoquette

Il y a 20 ans, j’étais chauffeur de taxi. Un jour, j’arrive au milieu de la nuit afin de répondre à l’appel d’un client. Je m’arrête alors devant un édifice sombre, sauf pour une petite lumière qui provient d’une fenêtre du sous-sol. Souvent, un chauffeur va simplement klaxonner une fois, deux fois puis s’en aller sans demander son reste.   Mais au cours de mon travail, j’avais vu trop de pauvres gens dont la seule mobilité était le taxi.   Sauf si je ressens un danger immédiat je vais toujours sonner à la porte car la personne qui a appelé a peut-être besoin de mon assistance. Donc, je cogne à la porte.

- Un instant, réponds une voix fragile et âgée.

J’entends comme si on raclait un objet sur le plancher puis après une longue pause, la porte s’ouvre. Une petite femme dans les 80 ans se tient debout face à moi. Elle est vêtue d’une robe droite et d’un chapeau rond dans lequel elle a planté une épingle. Elle semble sortir d’un film des années quarante avec sa petite valise en nylon rose.

Son appartement montre un lieu inhabité depuis plusieurs années. Tous les meubles sont recouverts de draps blancs.   Sur les murs, aucun images, aucun tableaux, ni horloge, ni ustensiles et ni vaisselles sur le comptoir de la cuisine. Dans un coin, une boîte de carton rempli de photos et de d’objet de verre.

- Pourriez-vous porter ma valise à la voiture ? me demande-t-elle.

Je dépose son sac dans la valise de mon taxi puis je reviens pour assister la dame, en la prenant par le bras afin qu’elle puisse s’asseoir facilement sur le siège arrière. Elle me remercie alors de ma gentillesse et de ma courtoisie.  

Elle me donne alors l’adresse de sa destination puis me demande ;

- Pourrions-nous passer par le centre-ville ?

- Ce n’est pas l’itinéraire le plus court, que je lui réponds.

- Çe n’est pas important. Je ne suis pas pressée. Je me rends à l’hospice.

Je vois alors son regard dans mon rétroviseur. Ces yeux sont humides.

- Je n’ai plus personne, me confie-t-elle, et d’après mon médecin, je n’en ai plus pour longtemps.

Après quelques secondes de réflexion, je ferme le compteur et je lui demande :

- Quel itinéraire aimeriez-vous prendre ?

Durant plus de deux heures, nous avons visité la ville. Elle me montra l’édifice où elle avait travaillé la première fois. Nous avons traversé le quartier ou son mari et elle s’étaient établis lors de leur première année de mariage. Elle me fit arrêter devant un entrepôt de meubles qui avait été autrefois une salle de danse où elle venait s’amuser jeune fille. Quelques fois, elle me demandait de ralentir devant une maison ou le coin d’une rue et la dame restait assise dans le noir, silencieuse pendant plusieurs minutes…

Aux premiers rayons du soleil qui traversent l’aube, elle me dit :

- Je suis fatiguée. Allons-y maintenant.

En silence, je la conduis à l’adresse qu’elle m’avait donnée.

C’est un édifice d’un seul étage, avec un portique grisâtre et exigu.   Deux aide-infirmières s’approchent aussitôt notre arrivée et avec sollicitude et attention, surveillent chacun de ses mouvements. L’une d’elles prend la petite valise puis ils l’installent dans une chaise roulante.  

- Combien vous dois-je ? Me demande-t-elle tout en ouvrant son sac à main.

- Rien, que je lui réponds.

- Mais, vous devez vivre !

- Il y a d’autres passagers.

Sans réfléchir je la serre dans mes bras. Alors elle me dit :

- Vous avez donné un peu de joie à une vieille femme aujourd’hui. Merci.

Je lui serre la main puis je marche dans la lumière naissante de cette nouvelle journée. Derrière moi la porte se referme. Comme la fin d’une vie.

Je ne pris aucun client cette journée-là. Perdu dans mes pensées, je songeais, je pouvais à peine parler. Tant d’émotions me bouleversaient le cœur.

Si cette femme avait rencontré un chauffeur de taxi hargneux ou impatient. Si ce dernier avait refusé de lui montrer une dernière ces endroits chers à son cœur. Si j’avais seulement klaxonné et puis être partie sans attendre.

Je ne crois pas que j’ai accomplie quelque chose de plus important dans ma vie que d’avoir respecté, si on peut dire, les dernières volontés de cette dame. Nous sommes conditionnés à croire que c’est seulement les événements extraordinaires qui peuvent nous aider à évoluer ou à changer notre attitude face à la vie. Mais des moments merveilleux peuvent nous surprendre dans les petits gestes et c’est ce qui rend la vie si privilégiée à mes yeux.

Traduction libre et adaptée d’une histoire vécue de Kent Nerburn.

Jocelyne Choquette

Conférencière, auteure et coach

Développement personnel, entrepreneuriat et motivation

www.jocelynechoquette.net