Les préfectures sabotent-elles la primaire du PS ?

Publié le 29 mai 2011 par Letombe
Extrait de la circulaire envoyé par Brice Hortefeux, alors ministre de l'Intérieur, demandant aux préfectures de faciliter le recueil des listes électorales par le PS (montage). Le PS reproche à certaines préfectures d’être réticentes à lui transmettre les listes électorales pour l’organisation de la primaire. Dans les préfectures, on dément toute mauvaise volonté. Au PS, on s’interroge et on parle de «zèle encouragé» et de «blocage» pour «empêcher la primaire»…Enquête.

La bataille des primaires fait rage. Pas celle entre Martine Aubry, François Hollande et Ségolène Royal. Mais celle, plus discrète, entre le PS et les préfectures pour récupérer les listes électorales. Le PS organise le scrutin en octobre et le temps presse. Devant les difficultés que rencontrent les fédérations socialistes, Solférino a décidé de mettre la pression cette semaine.

« Le ministère de l’Intérieur s’était engagé à nous aider et à faire (en sorte) que les préfectures nous communiquent les listes électorales », déclare mercredi François Lamy, conseiller politique d’Aubry, « on constate qu’actuellement, (…) il y a quelques préfectures dont nous n’avons toujours pas les listes ». Benoît Hamon insiste le lendemain. Ségolène Royal dénonce elle les préfets « réticents » à communiquer ces listes. Prenant exemple sur le Pas-de-Calais, elle demande au ministre de l’Intérieur Claude  Guéant de mettre « un peu d’ordre ».

Circulaire d’Hortefeux

Selon la direction du PS, les départements concernés sont l’Ardèche, les Ardennes, l’Aude, le Calvados, le Cher, la Dordogne, l’Eure, le Lot, le Pas-de-Calais, la Haute-Marne, le Bas-Rhin, la Seine-Maritime, la Vendée, le Vaucluse et l’Yonne. « Dans l’Ardèche, l’Eure, on n’arrive pas à avoir les choses. Dans l’Yonne, on n’a rien. En Vendée on n’a rien. En Dordogne, ils disent qu’ils n’ont pas de listes », s’agace Christophe Borgel, secrétaire national du PS aux élections et aux fédérations, interrogé par publicsenat.fr.

Solférino avait pourtant reçu des assurances de Beauvau. Le PS s’appuie sur une circulaire de fin 2010 de Brice Hortefeux, alors ministre de l'Intérieur (voir extrait ci-dessus). Elle demande aux préfectures de communiquer les listes électorales au PS. Tout citoyen, association ou parti a le droit de les consulter. « Vous êtes donc tenus de communiquer la totalité, ou un extrait de la liste électorale de chaque commune suivant la demande », précise la circulaire, « soit sur support papier, soit sur support informatique », s’il existe, ce qui n’est pas toujours le cas.

« Copé a donné le signal »

Devant les difficultés que rencontre le PS auprès de certaines préfectures, Christophe Borgel se pose des questions. Et hausse le ton. « Il semble que des blocages administratifs visent à empêcher la primaire de se tenir. C’est inacceptable », lance-t-il. « Je ne veux pas apparaitre paranoïaque, mais quand on met en parallèle les préfectures où ça bloque et le travail de Jean-François Copé, qui avec une cellule de parlementaires cherche à décrédibiliser la primaire… Il a déclaré qu’avec les fichiers de la primaire, les maires socialistes pourraient faire pression sur leurs employés municipaux, c’est honteux ! Le secrétaire général de l’UMP a donné le signal » Il ajoute : « Ça plus ça… On finit par se demander si il n’y a pas un zèle encouragé dans les préfectures, et pas simplement un blocage administratif »…

« Pas de la mauvaise volonté »

A la préfecture du Pas-de-Calais, que Ségolène Royal qualifie de réticente, on dément tout blocage. « C’est une affirmation erronée. Ce n’est pas de la mauvaise volonté. Nous ne refusons nullement de transmettre les listes électorales. Nous les transmettons dans l’état que nous les recevons. Arras par exemple, n’a pas encore numérisé  ses listes mais les a sur papier. C’est le choix de la commune », explique-t-on à la préfecture. Elle propose donc aux responsables socialistes locaux de venir photocopier les listes. « C’est une démarche titanesque et difficile à réaliser dans la mesure où nous avons 865 communes. J’ai donc pris la décision d’écrire à tous les maires du département pour qu’ils nous les envoient », explique Catherine Génisson, première fédérale PS du Pas-de-Calais. Pour elle, « il n’y a pas d’obstacle de la préfecture… si ce n’est un obstacle technique ». Christophe Borgel ajoute : « Vous imaginez, on met 30 cm dans le monnayeur et on photocopie page par page… Soyons sérieux ! »

Même réponse de la préfecture de L’Yonne : « Nous ne possédons pas de fichier informatique départemental et nous ne possédons pas toutes les listes électorales sur papier. Matériellement, nous ne pouvons pas répondre à la demande du PS. Ce n’est pas délibéré », explique-t-on à pubicsenat.fr. Selon un préfet, le PS serait un peu coupé des réalités de terrain et ne se rendrait pas compte des difficultés pour récupérer les listes : « Une mairie de 53 habitants, le maire est aux champs, la mairie est ouverte une demi-journée par semaine… L’équipe qui travaille sur la primaire au PS ne se rend pas compte de ça ».

En Dordogne, là encore même son de cloche. Dès le 3 novembre 2010, la préfète Béatrice Abollivier souligne dans un courrier au responsable socialiste local « l’impossibilité de répondre à la demande du PS » d’avoir les listes sous forme informatique. « Les listes électorales des communes de Dordogne font, pour leur quasi-totalité, l’objet d’un envoi dans mes services sous format papier », peut-on lire dans le courrier. Béatrice Abollivier nous explique aujourd’hui que le PS doit « récupérer chaque fichier en mairie ».

Fichiers numériques en mairie ?

Mais Christophe Borgel n’en démord pas. « Les listes existent toujours au format numérique dans les communes. Si des étiquettes sont imprimées pour l’envoi des professions de fois lors des élections, il y a forcément un fichier. A un moment donné, on fait face à un blocage ». La préfète de Dordogne reconnaît l’existence de fichiers informatiques en mairie pour ces fameuses étiquettes : « Pour la propagande électorale, nous empilons les fichiers ». A charge de la préfecture d’envoyer ensuite le courrier aux électeurs. L’occasion de constituer un fichier des listes électorales ? Pas vraiment. « Nous ne les conservons pas. C’est juste one shot », assure Béatrice Abollivierqui explique que ses services « ne gardent pas les éléments d’une fois sur l’autre ».

« Il n’y a pas d’obligation de demander aux communes de nous fournir les listes électorales », ajoute même la préfète de Dordogne. Pourtant, la circulaire envoyée par Hortefeux à toutes les préfectures fin 2010 rappelle cette obligation. L’article R. 16 du code électoral « indique expressément (…) qu’une copie de la liste électorale générale de la commune doit être adressée à la préfecture à l’issue de chaque révision des listes électorales »…

Voir l’extrait de la circulaire de l’Intérieur :

« On ne peut pas modifier les règles si on est maire UMP »

Autre complication pour le PS : Solférino comptait sur l’Insee pour récupérer les listes électorales des communes de moins de 5000 habitants. Et finalement… « Le premier contact avec la direction de l’Insee date de fin octobre. On nous avait laissé entendre qu’il n’y aurait pas de problème. Or on apprend il y a 3 semaines que pour d’obscures raisons juridiques, il ne sera pas possible de nous transmettre ces données. On ne peut pas s’empêcher de penser que ce qui est évident sur le plan juridique aujourd’hui l’était aussi en novembre. Pourquoi ne pas nous l’avoir dit à ce moment ?», demande Christophe Borgel.

Pour compléter le tableau, certains maires UMP trainent des pieds pour fournir les salles qui serviront de bureau de vote. « Une ou deux mairies prennent des dispositions spécifiques pour la primaire. Ce sont de grosses villes. On ne peut pas modifier les règles si on est maire UMP. S’il le faut on posera le problème devant les tribunaux administratifs », menace Borgel. Or là aussi, la circulaire de l’Intérieur rappelle la règle : « Des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande ». Vrais impossibilités techniques ou bâtons dans les roues de la primaire socialiste ? Les dirigeants de Solférino ont leur idée. Et se seraient bien passés de ce qu’ils perçoivent comme un traitement de faveur particulier…

La circulaire du ministère de l'Intérieur dans son intégralité :

François Vignal

http://www.publicsenat.fr/