Le FN prend les français pour des cons

Publié le 01 juin 2011 par Mister Gdec

Merci une fois de plus à raannemari de m’avoir mis sur la voie de cet intéressant interview de Caroline Fourest :

« Le FN prend les gens pour des idiots »

JOELLE MESKENS Paris

.Entretien Caroline Fourest et Fiammetta Venner ont décrypté le phénomène Marine Le Pen

ENTRETIEN

Caroline Fourest et Fiammetta Venner ont décrypté le phénomène Marine Le Pen. Face à sa démagogie, disent-elles, il faut se livrer à un véritable journalisme d’analyse.

Votre livre est sous-titré « Biographie », mais il s’agit de bien plus que ça…

Caroline Fourest (C. F.) On s’est rendu compte que malgré sa percée médiatique, personne au fond ne connaissait vraiment Marine Le Pen. Quelles sont ses références profondes ? Quelle est sa personnalité ? Son moteur ? Son entourage ? Jusqu’où va son droit d’inventaire sur le FN ? C’est ça que nous avons cherché à savoir en plongeant dans son enfance (c’est alors que se construit sa posture victimaire) et en analysant en profondeur son discours.

Vous parlez d’un droit d’inventaire. Le changement porte sur les questions économiques, la république, la laïcité ?

C. F. Il y a un repositionnement indéniable. Marine Le Pen veut promouvoir un Etat fort face à la mondialisation. Elle prospère dans le contexte de l’après-crise 2008. Mais c’est un positionnement purement stratégique, électoral. Elle sait que c’est sur le thème du protectionnisme qu’elle peut fonder son succès. Mais elle oublie de dire que le FN a été pendant trente ans le parti le plus ultralibéral qui soit ! C’est pareil sur la laïcité. Marine Le Pen prétend que le FN a toujours été un parti laïque. C’est complètement faux. Il a toujours abrité des royalistes, des intégristes catholiques, des ennemis de la république. C’est de la pure escroquerie intellectuelle ! Le FN cherche simplement à récupérer des thèmes porteurs et à faire croire qu’il est le seul parti à les défendre.

La « dédiabolisation » s’est aussi opérée sur la Seconde Guerre mondiale…

C. F. Là, c’est surtout une question d’époque. Marine Le Pen appartient à une autre génération pour qui la Seconde Guerre mondiale n’est pas une priorité. Elle sait très bien qu’il s’agit là d’un boulet électoral. Mais on ne peut pas parler de véritable rupture avec Jean-Marie Le Pen. Son père reste son modèle. Elle a un contrat moral avec lui. Même s’il y a eu des élections internes, elle a en quelque sorte hérité de son parti.

Votre livre révèle le grand écart permanent du FN : entre la dénonciation de « l’islamisation » et l’antisémitisme, entre la laïcité et la défense des valeurs chrétiennes, entre l’Etat et l’ultralibéralisme. Comment a-t-il pu prospérer en défendant tout et son contraire ?

Fiammetta Venner (F. V.) Parce qu’il n’a jamais gouverné ! Le parti n’a donc jamais été mis en face de ses contradictions. Maintenant que le FN fait une telle percée qu’il pourrait être au second tour de la présidentielle, on commence à décortiquer son programme. Ses invraisemblances apparaissent.

C. F. C’est le principe même des partis démagogiques. Ils font entendre aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre. Ils vendent le « produit » à la mode.

Vous décrivez de véritables « techniques de vente ». Ahurissant !

C. F. Oui, nous reproduisons des enregistrements de séminaires à destination des élus. C’est saisissant. Ce parti prend ses électeurs pour des idiots, des clients à qui il faut à tout prix vendre une marchandise.

Le FN prétend sortir de l’euro et ramener la retraite à soixante ans avec une immigration zéro. Intenable ?

C. F. C’est un programme fait pour séduire, pas pour gouverner. Si le FN arrivait au pouvoir et appliquait son programme, ce serait tout simplement la fin de la France ! Un euro deviendrait un franc, soit six fois moins ! La dette serait multipliée par six. Les prix exploseraient. Les acquis sociaux seraient équivalents à ceux de la Chine, les salaires seraient comparables à ceux de la Roumanie. La politique étrangère serait complètement isolationniste. Le FN, c’est la négation des Nations unies. Chaque pays, en vertu du principe de souveraineté, serait maître chez lui. Marine Le Pen a soutenu Gbagbo en Côte d’Ivoire, elle condamne l’intervention contre Kadhafi en Libye. Elle veut défendre tous les tyrans de la planète.

Dans ses discours, Nicolas Sarkozy lève des tabous…

C. F. Ce n’est pas un hasard. L’un des conseillers de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson, est un ancien journaliste de Minute, qui a été très proche de Jean-Marie Le Pen. C’est lui qui truffe ses discours de mots qui appartiennent à la sémantique du FN. Marine Le Pen le dit elle-même : « Buisson a donné à Nicolas Sarkozy les clés du coffre. »

La gauche a-t-elle aussi sa part de responsabilité dans la montée du FN ? Elle a laissé certains thèmes en friche, comme la laïcité ?

F. V. C’est vrai qu’il y a une tentation en France de ne plus toucher à un sujet dès que ce parti s’en est emparé. Mais c’est en train de changer…

Sur les prières de rue par exemple ?

C. F. C’est typiquement le genre de sujet sur lequel le côté dévastateur du FN se révèle. Car il ne s’agit plus d’un simple fantasme, comme quand Jean-Marie Le Pen disait « 3 millions de chômeurs = 3 millions d’immigrés ». Les prières dans la rue, c’est un vrai problème. C’est une violation du principe de laïcité mais aussi du principe d’égalité. N’importe quelle autre association qui ne serait pas religieuse serait délogée pour trouble à l’ordre public. La mairie de Paris s’est attelée au problème. S’il n’est pas réglé avant un an, on offrira 5 % à Marine Le Pen.

Les sondages la donnent souvent au second tour de la présidentielle…

F. V. On est encore loin de l’élection. Et ces sondages datent du moment où DSK était le candidat pressenti au parti socialiste. C’est alors que Marine Le Pen était créditée de son meilleur score. Les cartes vont être rebattues. Mais elle peut faire des scores impressionnants non seulement dans l’électorat populaire, mais aussi auprès des étudiants, des agriculteurs, des femmes.

Quelle est sa stratégie ? Veut-elle vraiment arriver au pouvoir ? Ou cherche-t-elle à créer un parti de droite populiste avec les plus radicaux de l’UMP ?

C. F. Sa stratégie, ce n’est certainement pas d’accepter un maroquin dans un gouvernement Sarkozy. Ce serait une régression par rapport au pouvoir qu’elle a en tant que présidente du FN. Elle est à la tête d’un parti qui est en difficulté financière, mais qui aspire à trouver des fonds pour faire marcher cette petite entreprise. Pour comprendre le moteur profond de la famille Le Pen, il faut comprendre son rapport à l’argent. Le FN est autant un parti qu’une entreprise. Son objectif, c’est de faire un très bon score à la présidentielle, mais aussi aux législatives parce que c’est de ce scrutin que dépend le financement public.

L’ambition politique n’est pas le premier moteur de Marine Le Pen ?

C. F. Cette ambition existe mais elle la dépasse presque. Elle a tout fait pour la nourrir, en s’employant à dédiaboliser le parti. Mais le contexte est tellement porteur qu’elle a presque été dépassée par son succès. Tout la porte. La crise financière est terrible, la mondialisation est porteuse de défis très difficiles à relever, le multiculturalisme est en crise, la montée de l’intégrisme n’est pas un fantasme. Elle se rêve un destin de premier plan, mais elle n’a pas les clés de cette stratégie. Ce qu’elle cherche, c’est un bon score aux législatives pour faire prospérer le parti et attirer à lui une partie de la droite.

En Belgique, Marine Le Pen s’est distanciée du Front national, mais pas du Vlaams Belang. Pourquoi ?

C. F. Elle ne se détermine pas en fonction du caractère plus ou moins sulfureux de l’un ou l’autre parti. Elle cherche à se rapprocher de ceux qui ont le vent en poupe. Tout simplement.

(source : le soir)