La Reine de Niort

Publié le 11 février 2008 par Philippe Thomas

Election, piège à mirlitons, 2 

(…) Un charpentier niortais s’appelait Jean Le Roi ;
Et sa fille, à son tour, reçut le nom de Reine.
Belle femme, aux grands airs, d’humeur un peu hautaine,
Ce nom qui, par hasard, sur elle retombait,
Semblait peut-être assez convenir à Babet.
A la voir fièrement étaler, le dimanche,
L’édifice pompeux de sa coiffure blanche,
Où s’unissait la gaze à l’organdi flottant,,,,,
A voir son corset rouge au reflet éclatant,
Son élégant fichu de riche mousseline,
Et le crucifix d’or fixé sur sa poitrine,
Et surtout ses yeux vifs comme un rayon du jour,
Qui n’eût dit : « Oui, c’est bien la Reine du faubourg ! »
Cependant, à cet âge où reines et grisettes
Eprouvent de l’amour les atteintes secrètes,
Le vieux Jean lui fit faire un serment solennel
D’épouser à vingt ans son cousin paternel.
Jean mourut, et Babet, son unique héritière,
De galants empressés vit une fourmilière
Lui prodiguer des soins : mais l’objet de son choix,
Henri, dans Echiré, notable villageois,
Parmi les artisans qui briguaient sa conquête,
Etait digne, en tous points, que Babet lui fît fête.
Honnête et beau jeune homme, excellent menuisier,
Tel qu’un maître accompli pratiquant son métier ;
Quel meilleur mariage aurait-elle pu faire ?
Aussi, prompte à répondre au dernier vœu d’un père,
Avec plaisir, d’abord, elle accueille Henri,
Comme une fille accueille un aspirant-mari.
Mais son affection, légère et vacillante
Plus que l’herbe des prés au moindre vent tremblante,
Périt bientôt, pareille au germe infortuné,
Qu’aucun solide appui n’aurait enraciné.
Candides jouvenceaux, qui, dans un trouble extrême,
Pensez que c’est pour vous qu’une femme vous aime,
Cessez de vous nourrir d’un espoir si flatteur,
Qui, la plupart du temps, n’est qu’un leurre imposteur.
L’histoire de Babet en fournit une preuve.
Son vain attachement ne fut pas à l’épreuve
Du spectacle fâcheux d’un globe un peu trop gros
Qui du pauvre Henri vint surcharger le dos.
Pourquoi taire le mot ? Une chute fatale
A ses épaules fit une part inégale,
Et le terrible choc qu’il en avait reçu
L’ébranla tellement, qu’il en resta bossu.
(…)

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Théodore Arnauldet (Niort, 1801 – Fontenay-le-Comte, 1860), La Reine de Niort, Septième Niortéide, in Niortéides ou études historico-poétiques sur la Ville de Niort et sur quelques-uns de ses environs, Niort, librairie de A. Couquaux, rue Saint-Jean, n° 6, 1858.

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On pourrait sans doute aujourd’hui être tenté de lire « l’arène de Niort », tant cette paisible cité semble à chaque corrida municipale se muer en creuset des passions humaines… Mais cette  tranche de mirlitonade est en fait une bagatelle qui n’a évidemment aucun rapport avec les élections en cours. Je vous résume la suite : cette belle garce de Babet méprise ostensiblement le bossu et elle lui préfère un bellâtre nommé Lindor, militaire de son état. L’amoureux bossu voit son cœur déchiré (!) et son âme est à ce point tourmentée qu’il songe au pire : provoquer Lindor en duel… Arnauldet, austère parpaillot et juge d’instruction raconte la suite :

Ce meurtre eut-il sauvé sa pauvre âme obscurcie ?
Pour oublier Babet son recours fut sa scie.
En se recommandant au
han de Saint-Joseph,
Cet antique patron des bons ouvriers ; bref,
En poussant le rabot et la varlope,
Il guérit son chagrin mieux que n’eût fait Esope.

Malheureux en amour donc, à défaut de pouvoir besogner Babet, Henri d’Echiré travailla vertueusement le bois… Voilà une issue bien dans le goût stoïcien, sustine et abstine, mais Arnauldet concède sans s’y attarder que le bossu trouva tout de même quelque consolation charnelle auprès d’une certaine Alix…

Mais Babet ? Se pouvait-il après cela qu’elle vécût impunément comblée des hommages de son Lindor ? Par un étonnant retour des choses, elle essuya du sort un rude contre-coup. Elle se chopa une vérole carabinée qui lui ruina la beauté… Le bellâtre Lindor s’en alla butiner loin de Niort et Babet dut voiler son visage atrocement affligé. Pendant ce temps, en son atelier Henri d’Echiré bossait, bossait, bossait sans relâche… Et la « bagatelle » se conclut sur un tour très moral :

La jeunesse niortaise, autour d’elle attroupée,
L’apercevant, toujours d’un voile enveloppée,
Lui jetait en tous lieux ce refrain mérité :
« C’est la Reine de Niort, malheureuse en beauté ! »

Arnauldet, comme à chaque Niortéide, donne les sources du fait réel qui l’a inspiré : ici, Briquet, Histoire de Niort, tome 2, page 315.  C’est un chroniqueur qui se plaît à manier l’alexandrin avec parfois des effets réussis comme cette rime insolite varlope / Esope ou dans ce quatrain bien balancé où se lit l’une des précieuses morales de cette histoire :

Candides jouvenceaux, qui, dans un trouble extrême,
Pensez que c’est pour vous qu’une femme vous aime,
Cessez de vous nourrir d’un espoir si flatteur,
Qui, la plupart du temps, n’est qu’un leurre imposteur.

Ces vers volontiers épiques, anecdotiques et souvent moraux étaient pour lui un divertissement à visée édifiante. Arnauldet naquit à Niort le 25 avril 1801, devint juge à Fontenay-le-Comte et à Napoléon-Vendée où il se fit connaître par son « austère probité » et exerça la magistrature « comme un sacerdoce ». Une notice nécrologique du temps (il mourut de maladie à Fontenay, atténuant ses souffrances par le baume de ces poésies consacrées à sa ville natale) ajoute qu’il savait « manier avec mansuétude le glaive si redoutable de la loi ». Et c’est à peu près tout ce qu’on sait de lui, et ses Niortéides sont la seule œuvre qu’il laisse.

J’ignore si Théodore Arnauldet (que j’aurais peut-être l’occasion de citer encore…) a sa rue à Niort, sinon la commission de dénomination des rues du prochain conseil municipal tient avec lui un excellent client !