The Domestication Show: Pigeons

Par Taupo


Cette nouvelle rubrique, The Domestication Show, existe en réalité en filigrane sur SSAFT mais j’ai décidé aujourd’hui de lui donner ses lettres de noblesse. Ce n’est pas en effet la première fois qu’on va parler de la domestication et de ces effets incroyables sur la nature qui nous entoure: Vran a déjà abordé le sujet dans son excellent billet sur les renards domestiqués mais également dans son billet sur la banane, et j’en avais moi-même touché un mot en parlant de l’origine du Maïs.
Mais pourquoi diable s’intéresser à la domestication? Et bien d’une part, parce que ces effets trouent l’cul, et d’autre part, parce que pour tout bon biologiste qui se respecte, c’est en abordant le thème de la domestication qu’on est à même de mieux comprendre les mécanismes de l’évolution. Pourquoi? Parce que c’est tout simplement la manière qu’a choisi Charles Darwin, dans son ouvrage l’Origine des Espèces, pour nous faciliter la compréhension des mécanismes de la sélection naturelle. C’est tout de même plus facile de comprendre les mécanismes aveugles de la sélection naturelle en observant les méthodes de sélections strictes employées par les éleveurs pour obtenir les variétés de leurs choix. Mais il n’est pas toujours facile d’envisager le potentiel de la domestication…

Donc commençons par le commencement, avec cette nouvelle rubrique, en faisant honneur à l’animal domestiqué préféré de Darwin… les pigeons…

Et ouais tout de suite ça calme… Pour bon nombre d’entre vous, Pigeons égale usine à guano:


Pourtant rappelez-vous que chaque pigeon est un dinosaure à plumes! Vous êts peut-être surpris que mon premier choix se porte sur ces piafs: niveau variabilité, ça laisse un peu à désirer, non? Oh mais que nenni messires (et mes mies)! Comme cette rubrique se dédiera à vous le démontrer à maintes reprises, on ne soupçonne guère l’incroyable variabilité des animaux et plantes domestiquées qui nous entourent. Car si la variété suivante vous sera familière:


Gageons que celle-ci vous est plus méconnue:


Et ouaip! Les pigeons sont une espèce domestique du même acabit que les chiens, les chats ou les choux: avec une variété de dingue!

Darwin, dans son tout premier chapitre de l’Origine des Espèces sur la variation des espèces à l’état domestique, nous dit:

La diversité des races de pigeons est vraiment étonnante. Si l’on compare le Messager anglais avec le Culbutant courte-face, on est frappé de l’énorme différence de leur bec, entraînant des différences correspondantes dans le crâne.



Le Messager, et plus particulièrement le mâle, présente un remarquable développement de la membrane caronculeuse de la tête, accompagné d’un grand allongement des paupières, de larges orifices nasaux et d’une grande ouverture du bec. Le bec du Culbutant courte-face ressemble à celui d’un passereau ; le Culbutant ordinaire hérite de la singulière habitude de s’élever à une grande hauteur en troupe serrée, puis de faire en l’air une culbute complète.

Le Runt (pigeon romain) est un gros oiseau, au bec long et massif et aux grands pieds ; quelques sous-races ont le cou très long, d’autres de très longues ailes et une longue queue, d’autres enfin ont la queue extrêmement courte.



Le Barbe est allié au Messager ; mais son bec, au lieu d’être long, est large et très court.


Le Grosse-gorge a le corps, les ailes et les pattes allongés ; son énorme jabot, qu’il enfle avec orgueil, lui donne un aspect bizarre et comique.


Le Turbit, ou pigeon à cravate, a le bec court et conique et une rangée de plumes retroussées sur la poitrine ; il a l’habitude de dilater légèrement la partie supérieure de son œsophage.


Le Jacobin a les plumes tellement retroussées sur l’arrière du cou, qu’elles forment une espèce de capuchon ; proportionnellement à sa taille, il a les plumes des ailes et du cou fort allongées.

Le Trompette, ou pigeon Tambour, et le Rieur, font entendre, ainsi que l’indique leur nom, un roucoulement très différent de celui des autres races.

Le pigeon Paon porte trente ou même quarante plumes à la queue, au lieu de douze ou de quatorze, nombre normal chez tous les membres de la famille des pigeons ; il porte ces plumes si étalées et si redressées, que, chez les oiseaux de race pure, la tête et la queue se touchent ; mais la glande oléifère est complètement atrophiée.


Après ce passage descriptif, Darwin passe ensuite un long moment à donner des arguments (très convaincants et confirmés à l’heure actuelle) pour démontrer que toutes ces races de pigeons descendent d’une unique espèce qu’on peut trouver à l’état sauvage: Columba livia.

Ces arguments (absence des espèces sauvages correspondantes à chaque variété, résurgence de caractères sauvages lors de croisements, caractères anormaux par rapport aux espèces sauvages, etc…)  sont cruciaux car lui même avoua que

quand je commençai à élever des pigeons et à en observer les différentes espèces, j'étais tout aussi peu disposé à admettre, sachant avec quelle fidélité les diverses races se reproduisent, qu'elles descendent toutes d'une même espèce mère et qu'elles se sont formées depuis qu'elles sont réduites en domesticité

Et c’est difficile de lui en vouloir vue la tronche que se paie la plupart de ces volatiles par rapport à l’espèce mère. C’est le même problème sur lequel on bute  quand on se met à comparer les espèces domestiques de chien comme un cocker ou un chihuahua et l’espèce mère… le loup gris.
Mais en observant les méthodes de sélection des éleveurs, Darwin a déterminé que les mécanismes de sélection qui, graduellement et à force de nombreux croisements, ont permis la sélection des variétés incroyables qu’on obtient aujourd’hui. Ce qui se passe chez l’éleveur, c’est qu’il va tout d’abord sélectionner des individus avec des variations qui l’intéressent et qu’il va ensuite croiser  exclusivement entre eux. Comme le dit si bien le Big Boss:

La nature fournit les variations successives, l'homme les accumule dans certaines directions qui lui sont utiles. Dans ce sens, on peut dire que l'homme crée à son profit des races utiles.


Et quand Darwin parle de races utiles, je pense qu’il utilisait le terme de manière assez flexible, vu les délires de sélection que des centaines d’années ont permis de produire chez les pigeons. Voici par exemple un petit panel des lauréats de la compétition de la National Pigeon Association de 2010:

















Que de formes utiles à l’homme! Mais si vous pensez que la nature est en reste, regardez un peu comment elle, à travers la sélection naturelle, peut faire émerger des formes somptueuses de beauté, chez cette fois-ci différentes espèces de pigeons et colombes:








Le pouvoir de la sélection naturelle, illustré par les spécimens ci-dessus, est résumé par une remarque sublime qui clôt l’Origine des Espèces et que je ne me permettrai pas de traduire:

Thus, from the war of nature, from famine and death, the most exalted object which we are capable of conceiving, namely, the production of the higher animals, directly follows. There is grandeur in this view of life, with its several powers, having been originally breathed into a few forms or into one; and that, whilst this planet has gone cycling on according to the fixed law of gravity, from so simple a beginning endless forms most beautiful and most wonderful have been, and are being, evolved.


Liens:
Article Laughing Squid

National Pigeon Association


Référence qui en jette:
Darwin, Charles (1859), On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life (1st ed.), London: John Murray,