Zwischenwelt l’interview

Publié le 15 juin 2011 par Hartzine


La mystique qui entoure les innombrables projets de Gerald Donald/Heinrich Müller ne s’est pas effritée avec le temps. Ex-moitié de Drexciya, l’entité mythique de Détroit dont les turbulences électro-aquatiques résonnent encore dans une bonne partie de l’électro contemporaine, Müller s’est illustré à ses débuts dans un robot-funk lo-fi qui sera le point de départ musical d’Adult et autres Miss Kittin & The Hacker quelques années après, avant de virer radicalement dans une sorte d’électronica de science-fiction majestueuse, abyssale ou menaçante dont il a fait sa marque de fabrique. Coutumier des multi-identités comme d’autres artistes de Détroit dans la même veine, on compte parmi ses incarnations les plus cultes Dopplereffekt, Arpanet ou Der Zyklus, sous lesquelles il a commis une poignée de chefs-d’oeuvre aux thématiques scientifiques sur Rephlex, Clone ou Record Makers.

Plus intraçable que jamais ces dernières années, l’Américain s’est dissimulé derrière quelques remixes ou aux manettes de projets en collaboration avec plusieurs femmes ésotériques venues de nulle part, toujours sous couvert d’un concept plus ou moins hermétique en lien avec les sciences. Après l’obscure Black Replica et le délire tarkovskien Zerkalo, voilà Zwischenwelt, que l’on serait tenté d’approcher comme un girlsband dopplereffektien puisqu’il réunit trois jeunes filles des quatre coins du monde, dont Beta Evers, artiste électro issue de la scène Neue Deutsche Welle des ’80s (qui l’accompagne également sur le side-project Gedankenexperiment sortit sur WeMe Records). Si le Müller est toujours aussi intransigeant sur le concept (le paranormal – l’interview vous l’expliquera bien mieux), il se fait moins opaque, plus carré sur la production, et on retrouverait presque sur Paranormale Aktivität (paru récemment sur Rephlex, label d’Aphex Twin) quelques accents des vieilles sorties Dataphysix des débuts. Quant à l’omniprésence vocale de ces sirènes du monde parallèle, elle pourrait rebuter quelques fans puristes du Müller, mais se révèle au final un ajout rafraîchissant au vocabulaire du producteur.

Malgré un léger assouplissement dans sa stratégie de communication (aucune interview jusqu’en 2009 environ), Müller reste encore très distant dans ses réponses, ne dit presque rien sur son approche musicale (une ou deux questions touchant directement à son travail musical et à ses autres projets resteront sans réponse), et s’en tient à une attitude très conceptuelle, bien en accord avec le secret et l’identité de l’artiste.

Heinrich Müller se produira en tant que Dopplereffekt le 9 juillet à la Machine du Moulin Rouge.

Comment est-ce que la forme sert le fond dans Zwischenwelt (et d’autres projets) ?Heinrich Müller : Ce projet n’a de corrélation avec aucun de mes autres projets, c’est un circuit fermé indépendant. Tous les éléments ont été créés dans ce cadre conceptuel et ont nourri ce système. C’était une organisation autarcique, avec sa propre écologie musicale.

Comment vous êtes-vous tous rencontrés ?

Heinrich Müller : Internet était notre méthode principale de connexion et de communication.

Beta Evers : J’avais rencontré Heinrich pendant une mini-tournée avec Black Replica, nous sommes restés en contact après ça. Il a suggéré que l’on travaille ensemble et m’a fait rencontrer les deux autres membres potentiels du groupe (Penelope Martin et Susana Correia), qu’il connaissait auparavant, je suppose.

Beta, comment avez-vous découvert le travail d’Heinrich ?

BE : Il y avait une scène électro très vivante dans ma ville. Au milieu des années 90, un ami organisait une soirée mensuelle où on jouait du Dopplereffekt plutôt deux fois qu’une. Certains de mes amis étaient DJ à l’époque, ils avaient tous ses disques et je les ai vite achetés moi-même. On était avant tout fascinés par les sons et les atmosphères qu’Heinrich créait.

Comment définiriez-vous le concept de Zwischenwelt ?

HM : Comme son nom le sous-entend, c’est un royaume encastré dans un autre royaume, et, dans ce cas, il s’agit d’un univers de phénomènes inexplicables. Dans cet univers, nos sens vulnérables se révèlent incompétents et nous avons besoin d’instruments pour nous assister dans l’étude et l’explication de ces phénomènes. C’est un royaume dans lequel les évènements quantiques sont omniprésents.


Le son que vous créez pour vos divers projets, y compris celui-ci, semble exprimer une certaine menace, une peur, est-ce le sentiment que vous inspirent les thèmes abordés ?
The sound you create for your various projects, including this one, seems to express an omen, a threat, a sense of fear, is it the feeling inspired by the themes you’re exploring?

HM : C’est exact. Le thème dicte automatiquement l’atmosphère de la musique. C’est une réaction musicale involontaire.


Contrairement à la plupart des thèmes précédents qui étaient fondés sur des théories scientifiques, le paranormal n’a rien d’empirique et demeure controversé. Cela fait-il une différence dans votre approche ?

HM : En effet, et je vais essayer d’en élucider ici les raisons et de déployer un éventail scientifique. D’abord, les gens ont une image erronée du paranormal. La fonction d’onde et le principe d’incertitude peuvent démystifier tout ça. Le paranormal n’est pas un ensemble de phénomènes surnaturels mais bel et bien des fluctuations quantiques qui forment l’univers, existent sur de très courtes périodes avant de disparaître et culminent dans des anomalies mésoscopiques et macroscopiques. Pour chaque révélation paranormale, il existe une explication scientifique qui réfutera tout soit-disant témoignage. Le Fata Morgana est un bon exemple. En d’autres termes, la nature peut jouer des tours à nos sens mais tout peut s’expliquer scientifiquement. Ce projet est ainsi sur des manifestations de phénomènes quantiques.

Avez-vous déjà vécu personnellement des expériences parapsychologiques ?

HM : Non, car de telles choses n’existent pas et je n’y crois pas.

BE : Pas personnellement, mais c’est arrivé à un autre membre du groupe. J’ai passé quelques années à étudier la sociologie à l’université, je faisais un peu de psychologie dans ce cursus et j’avais ainsi assisté à un séminaire sur la parapsychologie qui traitait le sujet de manière très sérieuse et scientifique.

Vous avez été quatre sur ce projet. Quelle était la contribution respective de chacun ?

BE : Susana, Penelope et moi avons amené certains sons ou motifs. La plupart des paroles et des voix sont de moi, sauf deux morceaux qui sont de Susana et un sur lequel elle chante. Penelope et Susana ont fait quelque background vocals. De nombreux sons viennent de Heinrich et il les a réorganisés, montés et a finalisé tous nos apports. Sa direction s’est faite en accord avec moi.

Bien qu’une poignée de morceaux soient des instrumentaux, les vocaux n’ont jamais été aussi présents dans vos productions, comment les avez-vous inclus dans votre son ?

HM : La voix est présente pour expliquer et communiquer le concept que nous essayons de présenter. C’est le moyen de communication du projet.

À quel point votre approche change-t-elle selon le projet que vous abordez ? les autres membres avaient-ils des requêtes ou vous avez travaillé comme à votre habitude ?

HM : C’est un travail d’équipe, chacun a contribué avec ses idées et ses éléments. La seule différence est qu’il fallait synthétiser harmonieusement nos différentes perspectives musicales.

N’était-ce pas compliqué de travailler uniquement à travers Internet ?

HM : C’était un mélange de travail en temps réel et travail en décalé. C’était finalement très efficace.

BE : Au début ça l’était. Je n’avais pas l’habitude de travailler comme ça et j’ai mis du temps à m’adapter. C’est devenu plus facile au fur et à mesure. On a quand même pu organiser un réunion de travail chez Heinrich.

Qui est cette Nina Kulagina qui est mentionnée sur le disque ?

BE : Elle venait de Russie. Elle prétendait avoir des facultés psychiques, notamment la psychokinésie. Elle a été étudiée par des scientifiques russes pendant des années. Alors que certains étaient convaincus que ses pouvoirs psychiques étaient réels, de nombreux scientifiques sceptiques considéraient que ses démonstrations laissaient une grande marge pour toutes sortes de tricheries.

Quelle est l’idée derrière le projet Gedankenexperiment ?

HM : L’importance des conjectures qui ont de véritables corrélations avec la nature. C’est là où votre intellect abstrait devient un laboratoire (sic).

BE : C’était un projet spontané qui a pris place sur la dernière phase de travail pour Zwischenwelt. L’idée d’un exercice mental nous fascine et nous voulions le traiter musicalement.

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