Kung Fu Panda et le libéralisme à toutes les sauces

Publié le 17 juin 2011 par Copeau @Contrepoints

Kung Fu Panda et le libéralisme à toutes les sauces

Slavoj Zizek. Vous ne le connaissez pas. Il ne vous connait pas non plus. Et vous n’allez pas en entendre parler. Ou si, un peu, ici, parce que c’est rigolo et que je n’ai pas envie de parler de la déconfiture grecque ou des chamailleries ridicules chez les Verts. Eh bien Zizek nous parle de Kung Fu Panda. Oui oui, le dessin animé. Cash. Il est comme ça, le Zizek.

Avant d’aller plus loin, il est bon de rappeler un peu qui est notre ami Zizek. Ce n’est pas un footballeur maudit qui serait aussi nul que Zizou serait bon. En fait, ça s’écrit Žižek, ça se prononce avec des patates chaudes dans la bouche, et c’est, officiellement, le philosophe le plus dangereux d’occident d’après Flammarion qui doit croquer du space-cake sur une base bi-quotidienne pour sortir un truc pareil.

Eh bien cette machine à tuer de la philosophie contemporaine, ce ninja de la métaphysique, je n’en avais jamais entendu parler. Bon. Il est vrai qu’en dehors de mangas douteux, je ne lis pas grand chose.

Je me suis précipité sur sa page Wikipedia, en français. On y apprend qu’il a été influencé notamment par Lacan, Deleuze et Badiou, ce qui est indispensable si on veut bien comprendre ce qui va débouler ensuite, avec la légèreté d’une division de panzer en ballerines de satin.

Et ce qui déboule ensuite, c’est cet article qui résume donc un essai de l’illustre penseur dans lequel il nous expose que Kung Fu Panda, le petit dessin animé avec un gros panda qui fait du kung-fu comme son titre l’indique très subtilement, est en fait une allégorie « tellement empreint(e) d’idéologie que cela en devient embarrassant. »

Quand j’ai pris connaissance de l’article, j’avoue effectivement avoir été embarrassé : c’est tout de même consternant qu’on puisse en arriver à ce niveau de pensée. Si c’était une masturbation, elle serait vigoureusement menée avec un microscope à effet tunnel.

L’article introduit son étalon du neurone en liberté avec cette phrase :

Entre psychanalyse et philosophie, l’histoire de Po apparait comme l’illustration de notre capacité à nier la dimension fantasmatique de nos propres fantasmes, qu’ils soient intimes ou politiques.

Ouch. Des chatons sont morts pour moins que ça.

Un peu plus loin, après un bref rappel de l’histoire de Po, le panda qui fait du Kung-Fu, on en vient aux vraies questions qui tarabustent l’homme entre son rasage et sa première tartine, le matin, avant d’aller bosser :

Lorsque Po déroule le manuscrit du Dragon et n’y voit rien – rien qu’une surface vide –, cela ne vient-il pas confirmer la thèse lacanienne selon laquelle l’ « objet a » est un leurre, un substitut du vide au cœur même de l’ordre symbolique, sans aucune consistance ontologique positive ?

Ici, on pourrait citer quasiment chaque paragraphe qui est du même acabit. Perdu dans l’immensité du vide intersidéral que remue avec beaucoup d’agitation le petit Slavoj pour continuer d’exister, le lecteur est baladé d’objet-cause en notions proto-lacaniennes, saupoudré d’objet a, bidule mousseux que Lacan avait introduit pour éviter de pomper trop violemment sur Freud qui était déjà un fumiste de compèt.

Vers la fin de l’article, épuisant à lire il faut bien le dire, on apprend que « dans l’univers de « Kung Fu Panda », seuls existent les objets et besoins quotidiens », et qu’en conséquence, « cet univers est asexuel : le film ne comporte aucune scène ou allusion d’ordre sexuel. »

Le fait que le métrage ait été destiné, dès le départ, à des gamins ne vient guère effleurer l’auteur. Ok, soit, il existe des films pour mouflets dans lesquels la charge sexuelle est claire, mais voilà, il faut se résoudre à l’évidence : si c’est une motivation essentielle, pour ne pas dire unique, du philosophe freudo-lacano-branlouseur, il en va autrement des enfants prépubères que le sexe ne préoccupe qu’assez vaguement et qui ne voient dans les représentations de mariages et d’amourettes qu’une projection à l’écran de ce qu’ils peuvent voir partout autour d’eux.

Mais non. Pour le philosophe, c’est décidé, Kung Fu Panda « participe d’une économie orale-anale préœdipienne. » Quand un Zizek parle du cucul, c’est tout de suite limpide.

Quant à l’estocade finale, elle est grandiose.

Pour Zizek, le message fondamental du film est donc « Je sais fort bien qu’il n’y a nul ingrédient spécial, mais néanmoins j’y crois (et j’agis en conséquence). » , autrement dit, on place la croyance au dessus du savoir rationnel, et vas-y mamie, c’est donc une caractérisation du fonctionnement de l’idéologie actuelle.

Et c’est là, entre la dent et la gencive, que la Pignouferie de Presse attaque.

Car partant de là, avec un article qui, finalement, ne fait pas de mal à une mouche, zouf, le traducteur, ou l’auteur de l’article, ou le pigiste sous tranxène, ou je ne sais pas, en déduit que Kung Fu Panda, c’est du libéralisme brut, que Zizek l’a bien percé à jour, et titre même l’ensemble de l’ouvrage monumental par un flamboyant « «Kung-Fu Panda»: le libéralisme à visage mignon » : ici, la paluche atteint le rang d’acrobatie aérienne sans parachute. Le journalisme, c’est aussi ça, finalement : trouver des titres idiots sur des articles consternants.

Franchement, soyons clair : tout ceci n’a aucun sens. Quelque part, il semble nécessaire qu’une frange de l’humanité se pignole dur sur des interprétations ahurissantes d’oeuvres mineures, pour qu’une autre frange d’humanité s’amuse ensuite à lire les inepties sur-pensées ainsi produites.

Eh bien je dis : à pignole, pignole et demie.

Et puis, ça change des cacas nerveux des Grecs.
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