Rencontre avec Christophe Fillatre

Publié le 14 juin 2011 par Jeanne Walton

Quand on parle design en France, on pense d’abord à Carré Noir ou Dragon Rouge. Ces deux agences ont fait le marché français depuis 30 ans et continuent d’accompagner les plus belles marques. Christophe Fillatre est depuis 5 ans le président de Carré Noir. Ancien publicitaire, c’est d’abord un praticien de l’identité et de la stratégie de marque.  Pour lui, le design musical est un besoin aussi évident que le design graphique, mais son efficacité dépend de quelques facteurs qui feront à terme la maturité du secteur.

Votre agence Carré Noir, travaille depuis de longues années à la valorisation et à la différenciation des marques par le biais de leur identité visuelle. A votre sens, peut-on en attendre autant d’une identité sonore pour enrichir le dispositif de communication d’une entreprise ?

On ne devrait pas parler d’identité visuelle ou d’identité sonore mais bien d’identité des marques.  Tout le monde devrait s’accorder à dire que certains sons, quelques jingles comme on disait à l’époque, ont largement contribué au succès de certaines entreprises. Bien sur, on pense en particulier à des campagnes historiques comme celles de Publicis sur DIM. Le paradoxe, c’est que tout le monde connait l’importance du son mais  la dimension sonore de l’identité d’une marque n’est que très rarement abordée et, le temps et les budgets  qui y sont consacré sont trop insuffisants. Alors que cette dimension créé énormément de valeur pour les marques, et  qu’à ce titre elle devrait être traitée avec le plus grand soin, il y a trop d’amateurisme et d’approximation.

Cela signifie-t-il qu’il ne faudrait plus aborder la question de l’identité de la marque sans mettre sur un pied d’égalité identité visuelle et identité sonore ?

Il est évident que, dans un monde idéal, nous devrions systématiquement et sur tous les sujets de remise à plat d’une identité de marque travailler de concert avec une agence de design musical. Pour construire une expression pertinente de la marque, les designers graphiques et musicaux doivent mener un travail commun sur l’interprétation d’une plateforme de marque qui doit ensuite se traduire par un vocabulaire et une grammaire visuelle et sonore adaptés en fonction des usages et des lieux. La cohérence entre identité sonore et visuelle traduit la force du point de vue de la marque. C’est ce que nous avons parfaitement réussi par exemple sur la SNCF avec Sixième Son.

Peu de marques ont une ligne budgétaire consacrée au travail sur leur identité sonore. Or, sans budget, difficile de faire un travail de qualité. Quels sont selon vous, les conditions essentielles qui permettent à une identité sonore de devenir un investissement rentable et qui apporte une  valeur ajoutée durable pour la marque ?

Il faut effectivement penser l’identité sonore comme un investissement et donc le début d’une histoire. Lorsque les fondements sont solides, les générations suivantes en profiteront tout en la faisant évoluer et fructifier. Il faut donc envisager cette dépense comme quelques choses de bien plus vaste qu’une simple création ponctuelle. Si le travail est bien fait, réalisé par des experts, il présage des résultats à long terme et d’excellentes bases pour de futurs évolutions. Car une identité sonore connaît au fil des années des relifts. L’important est donc surtout d’investir dans d’excellents fondements avec des partenaires fiables sur la durée. A ces conditions, l’identité sonore est un investissement clairement rentable.

Quels sont pour vous les véritables succès en design musical ? Plus particulièrement, pouvez-vous nous citer quelques très bons dialogues entre identité visuelle et identité sonore ?

La cohérence entre l’identité visuelle de la SNCF et son identité sonore, évidemment est un exemple majeur de réussite. Ce n’est pas un hasard si cette réalisation rend tant de marques jalouses. Plus récemment le travail réalisé sur Michelin est aussi très intéressant. La marque s’inscrit clairement dans le mouvement de la modernité et devient internationale, avec une force et une cohérence unique. Elle semble dynamique et sereine, sûre, qualitative et innovante.

En tant que professionnel du branding, si une de vos marques venait à vous interroger sur la meilleure tactique à adopter dans l’élaboration d’un marketing musical, que lui conseillerez-vous ?

D’abord je ne lui parlerai pas de tactique mais bien de stratégie, pas de marketing musical mais de l’articulation de son identité sonore. Le premier travail à faire se trouve dans la compréhension de la plateforme de la marque. Si elle n’existe pas encore,il est impératif de la co-construire. C’est ce qui va nous servir de brief mais surtout de guide pour donner des critères d’appréciation objectifs. Car on sait à quel point dans la musique comme dans le dessin on sait dire j’aime/j’aime pas, mais l’argumentation par rapport au sens recherché est souvent inexistante.

Quelle image avez-vous des nouvelles structures, souvent issues des labels musicaux, ayant pour cœur de métier la gestion des rapports entre marques et artistes ?

C’est la même problématique que dans le design de marque et encore plus dans le design produit : les artistes (aussi talentueux soient-ils) devraient être là pour servir les marques et non l’inverse. Notre métier est de construire ou entretenir des personnalités de marque. J’observe  malheureusement qu’elles disparaissent souvent au profit de la personnalité des artistes. C’est triste, c’est contre-productif et cela s’explique souvent par la peur de prendre des risques. Il est plus facile de justifier devant sa direction des choix connus donc supposés sûrs. Ceci est vrai en musique mais c’est aussi vrai en design. En prenant des hits ou des stars, le vrai risque est que la marque s’efface à leurs profits.

Mettez-vous l’image et le son sur un même pied d’égalité dans la perception émotive du consommateur ?

Sur le registre de l’émotion: Oui !

Pensez-vous qu’aujourd’hui le marketing musical est un luxe pour une marque ?

Non!  C’est surtout un luxe de se dire que l’on peut s’en passer !

On parle de plus en plus d’une saturation de la communication visuelle. Qu’en pensez-vous ? Cela sous-entend-il que la communication sonore pourrait prendre le relais ?

Non, une fois de plus elles sont complémentaires. Imaginez une rue commerçante ou toutes les enseignes seraient remplacées par des identités sonores: Impossible ! Ensemble, visuel et son permettent un savant équilibre  qui veille à ne jamais rendre l’un des deux nocif ou inefficace. Finalement, en plus de se compléter, design musical et design visuel assurent mutuellement leur juste-mesure.

Il y a t-il des créations sonores qui vous choquent ou qui vous interpellent actuellement dans le paysage publicitaire actuel ?

J’aimerais être choqué ! J’aimerai entendre davantage d’audace et de créativité. Encore aujourd’hui, le sujet n’est pas ou mal traité. On sent bien que certaines marques veulent rester dans des codes, connus, entendus. C’est sans doute aussi l’héritage de certaines politiques de tests et qui nous mettent dans des conventions un peu molles. Une identité sonore n’est pas juste un jingle qui fait pschitt à la fin d’un film. C’est une personnalité qui doit être simple et riche à la foi, apprendre sur la marque en quoi elle est différente des autres et pourquoi on devrait s’y attacher.