La censure change de camp ?

Publié le 24 juin 2011 par Mils
Article paru sur le journal Tunis Hebdo - Rubrique Webdo
Un juge a ordonné à l'ATI de censurer les sites pornographiques en urgence. Un moindre mal a été choisi pour « protéger » nos enfants traumatisés sans chercher à savoir que ce n’est pas l’objet de la censure (site X) qui pose un problème mais la censure tout court et la façon subjective avec laquelle a été prise cette décision.


La jeunesse tunisienne est en danger !


Tout a commencé avec cette plainte déposée en mai par trois avocats contre l’ATI afin de bloquer l’accès aux sites pour adultes et qui « présentaient un danger pour la jeunesse et étaient contraires aux valeurs musulmanes ».


L'ATI avait alors fait appel du jugement. « Je ne veux plus filtrer les pages web et je ne veux plus avoir des équipements de censure chez moi », avait déclaré le PDG de l'ATI, Moez Chakchouk, lors d’une conférence de presse.


Cette décision de la justice s’apparente plus à une atteinte aux libertés individuelles et à la propriété intellectuelle. Les solutions techniques pour limiter l’accès au web par les enfants sont disponibles aussi bien en ligne que chez les fournisseurs de services Internet. Il fallait juste formuler une demande et faire un effort de sensibilisation chez les parents.


On se pose aussi la question de savoir comment le juge a pu rendre son jugement sans se baser sur une étude médicale qui montre, comme le veut faire croire la partie plaignante, que les sites X pouvaient avoir un effet néfaste sur l'état mental des enfants.


Et puis tout devient facile quand le jugement se fait par contumace et donc absence des arguments de la défense et que le juge se prend pour le défenseur suprême de la morale publique et de l’éthique sociale au lieu de se baser sur des fondements et des articles de loi.


Avocats mousquetaires et réelle hypocrisie


Partant du principe que c’est le web qui est libre et que c’est aux FSI de fournir des services de limitation d’accès à certains sites pornographiques ou autres, on se retrouve dans une situation invraisemblable. Encore plus bizarre après la révolution et le concept « Open Governance » qui sera appliqué par 3 ministères d’ici le 23 octobre et qui préconise une transparence totale quant à la publication des données et un accès à toute information.


Doit-on donc interdire les paraboles ? Refuser toute nouvelle demande de station radio ou chaîne télé qui pourrait présenter un danger pour la jeunesse et être contraire aux valeurs musulmanes décidées par 3 avocats et 1 juge ? Va-t-on interdire les pauses publicitaires interminables du mois de ramadan qui visent les enfants et leurs facultés à harceler leurs parents ?


Ne serait-il pas plus intéressant d’ouvrir le dossier ô combien important de l’éducation des jeunes et moins jeunes, dans les foyers mais aussi dans les écoles ?


Du tac au tac


Le 13 juin, le juge de la Cour d’appel refuse la demande de l’ATI concernant la suspension du jugement en référé du Tribunal de première instance de Tunis.


Le lendemain, l’ATI a publié un communiqué où elle exprimait son respect pour la décision de la justice 5 mois après l’ouverture de tous les sites web décidée par « Ben a fui », entendez donc par là la décision de la justice de reprendre avec une époque pas lointaine qui encourageait la censure.


L’ATI a tenu à prévenir que la réactivation des filtres aura un effet négatif sur la qualité de service et donc de la navigation web et qu’il faudra du temps pour que çela soit effectif vu que les équipements de filtrage n’ont pas été mis à jour depuis le 14 janvier.


Le 15 juin, l’Agence Tunisienne de l’Internet publie un deuxième communiqué pour insister sur le besoin en temps et en délai afin d’exécuter la décision de la justice (affaire n° 2011/99325 en date du 26 mai 2011)


A travers sa conférence de presse, ses différents communiqués et son envie de s’expliquer en toute transparence, l’Agence Tunisienne d’Internet tente de redorer son blason et de se positionner en tant que réel et futur prestataire de services web neutre ; pour se détacher ainsi de cette mauvaise image de censeur imposé par le régime déchu.


Et si cette décision venait à se confirmer lors de la première séance en appel le 4 juillet 2011, on assistera alors à un précédent juridique et à un retour en arrière en ce qui concerne la communauté web qui a milité durant des années contre toute forme de censure.


Un nouveau rôle pour l’ATI ?


L’Agence Tunisienne de l’Internet a voulu rompre toute relation la liant avec le passé de Ammar404, elle s’est définie comme un Point d’échange Internet (IXP), et s’est fixé pour principale mission d’assurer le développement d’Internet en Tunisie en toute transparence, une décision félicitée très récemment par le critique Reporters Sans Frontières.


Le PDG de l’agence avait aussi exprimé le souhait d’un dialogue national pour constituer un code de l’Internet Responsable et Sécurisé, un ensemble de mesures qui serviraient à redorer l’image de cet acteur majeur des TIC en Tunisie.


Mais seulement voilà ce rôle est aujourd’hui menacé, voire impossible à réaliser, avec cette décision d’une justice « Indépendante ». La Cour d'appel doit examiner la question sur le fond à partir du 4 juillet prochain. La bataille pour la consolidation des droits individuels pour l’accès à l’information ne fait que commencer.


Que peut donc faire l’ATI pour garder le bon cap de ses ambitions, tout en respectant la souveraineté de la justice ? Quels rôles pourrait jouer la mobilisation des internautes, bloggeurs, cyber activistes et fervents défenseurs de la liberté ? Cette jeunesse qui a contribué à faire tomber un dictateur, criera-t-elle encore halte à la censure ? Nous sommes tous concernés !


Et comme disait Léonard de Vinci « Louer ou censurer ce que tu ne comprends pas peut causer préjudice ».