Condorman

Par Madwill
Aujourd'hui une petite critique de Condorman, film signé par Charles Jarrott et produit par Walt Disney. Le film met en scène Woody, un auteur de bande dessinée qui devient le super-héros qu'il a créé et se trouve mêlé à une affaire d'espionnage dans un pays de l'Est.
La vie d’un cinéphile n’est pas une route dorée composée de chefs-d’œuvres impérissables menant au magicien d'Oz. Comment pourrait-on considérer les œuvres de références si nous n’avions pas en comparaison certains films simplement ratés et volontairement mercantiles ? Je vous propose de continuer notre radiographie des productions Disney des années 80 avec le film Condorman, un erzatz de James Bond produit par la firme de Mickey qui cartonna essentiellement dans un seul pays sur notre douce planète bleue : la France. Peut-être que la présence de Jean-Pierre Kalfon en Jaws sous naphtaline ou l’ouverture du film tournée dans notre belle capitale a aidé au succès de ce métrage dans la contrée du camembert. Pour rappel, le Disney des années 80 se cherche, c’est l’époque où la firme se lance dans les projets atypiques flirtant avec le cinéma d’horreur avec La foire des ténèbres ou Les yeux de la forêt, le film technologique avec Tron ou le film d’espionnage et de super-héros avec le film Condorman.
La firme Disney à cette époque, c’était un peu comme Madame Bettancourt. Imaginez une veille dame encore assez riche dont le cerveau se gélifie qui voit des producteurs peu scrupuleux demander des commissions assez garnies (peut-être sous la forme d’enveloppe kraft !) pour produire des films qui le plus souvent n’ont aucun succès au box-office. Concernant le film Condorman, je vois très bien comment la décision a été prise au sein de la firme du grand Walt. 
Extrait d’une discussion captée au sein des studios :
UN PRODUCTEUR (veste rouge, le catogan, les manches retroussées)Il faut que je trouve une idée de film qui marche !
UN 2EME PRODUCTEUR (veste grise, le catogan, les manches retroussées)Attends, je vais prendre mon Variety. Regarde, Superman est le plus gros succès de la décennie passée ! Juste devant James Bond !
UN PRODUCTEUR (veste rouge, le catogan, les manches retroussées)J’ai une super idée, c’est normal car je suis producteur. On va faire un film de super-héros comme Superman.
UN 2EME PRODUCTEUR (veste grise, le catogan, les manches retroussées)Comme je suis producteur, j’ai aussi une bonne idée. On va faire un film à la James Bond, en le vendant aussi comme un film de super-héros. En plus, ça tombe bien on a un contrat avec Rémy Julienne !
UN PRODUCTEUR (veste rouge, le catogan, les manches retroussées)T’es vraiment un génie mec !

Une jeune femme entre dans le bureau, avec un carton et un 45 tours sous le bras.
LA JEUNE FEMME J’ai vidé le bureau de Don Bluth ! *(*Pour info, ancien de Disney, qui a quitté l’entreprise pour réaliser Brisby et le secret de Nimh) II avait laissé ça. (Elle lui tend le 45 tours.) Je l’envoie à son bureau chez Spielberg ?
UN 2EME PRODUCTEUR (veste grise, le catogan, les manches retroussées)(Il attrape le vinyl.) Il ne l’aura pas ce traître ! (Il regarde la pochette, c’est « El condor pasa » de Simon and Garfunkel). Je crois que j’ai encore une super idée. Notre super-héros, on l’appellera Condorman. (L’homme souffle) Je crois que je vais me prendre un petit rail de coke, je l’ai bien mérité !
UN PRODUCTEUR (veste rouge, le catogan, les manches retroussées)T’as raison. Je commence à fatiguer. On est vraiment trop intelligents, la direction ne peut pas nous dire non ! »
Condorman est donc un improbable mélange des genres, une recette de producteurs assez incroyable surtout quand la firme de Mickey essaye de faire tenir sa recette avec l’ingrédient préféré de la maison : les bons sentiments. Pourtant malgré la lourdeur du résultat qui peut parfois friser l’indigestion, le film me rappelle le McDo et son 280 bourratif, mauvais pour la santé, mais qui au final offre sa dose de plaisir régressif. Le film se révèle alors un film fichtrement sympathique et vraiment dispensable, nous faisant passer une heure et demie de plaisir avec ses cascades nous rappelant les heures dorées des «Deux films sinon rien» des dimanche soirs de notre enfance.

Pour Condorman on peut se demander pourquoi Disney à choisi le réalisateur britannique Charles Jarrott dont la filmographie se résumait à des films en costumes assez traditionnels. N’ayant pas eu le plaisir de voir ses autres réalisations (la plupart TV), je me limiterai à ce que le dieu du cinéma me laisse observer dans Condorman, dans lequel il ne se signale pas vraiment par son talent. Difficile en effet de lui pardonner ses péchés de mise en scène, la réalisation du film oscillant entre un Derrick et un Julie Lescaut, la plupart du temps.
À ce titre, il est évident que le film a été tourné en partie par la seconde équipe et les cascadeurs du film. Les scènes d’action en véhicules motorisés se révèlent d’un point de vue technique plus réussies que les scènes dialoguées ou les bagarres entre les personnages, nous rappelant l’époque dorée des Bud Spender et Terence Hill. Il est clair que malgré la bonne volonté des acteurs, ils semblent perdus dans chaque plan. Ainsi, Michael Crawford le protagoniste principal donne parfois l'impression de chercher sa feuille de dialogues qui serait placardée quelque part dans le décor. Concernant Oliver Reed il est en surchauffe permanente. Seule la magnifique Barbara Carrera semble à l’aise. Il faut dire que la jeune femme est absolument magnifique en espionne russe, son visage étant capable de faire fondre n’importe quel glacier ou stalagbite (pas ma blague la plus fine) de Sibérie. La jeune femme deviendra quelques années plus tard une James Bond Girl au côté d’un Sean Connery vieillissant pour Jamais plus jamais.

Ce portrait de l’œuvre vous semble assez chargé ? C’est alors qu’intervient le cinéphile masqué alias le Mad Will, cette incarnation d’une certaine mauvaise foi mélangée à une passion dévorante ! 
Le Mad Will va défendre ce film !
On peut aimer Condorman tout simplement pour ce qu’il est, c'est-à-dire un divertissement pensé pour les plus jeunes, bardé de gadgets et contant les aventures fantaisistes d’un auteur de BD dans diverses contrées. À ce titre, je vous signale que le film nous balade dans toute l’Europe et j’imagine la facture salée due à ces nombreux décors. De l’Italie en passant par la Yougoslavie ou Paris, Disney, comme toute dame âgée, a sorti sa carte vermeille en plus de la carte bleue. Ce voyage donne le sentiment finalement que les acteurs se sont amusés et malgré quelques errements, on ressent le bon temps passé entre eux. Le plaisir du jeu est ainsi au centre du film. Condorman n’est pas loin de certains films conceptuels qui montrent des adultes jouant à être un autre. Le film devient alors une métaphore du travail de l’acteur. Condorman ne montre pas des espions, mais des acteurs qui simulent des personnages qui jouent à être des espions, se courant les uns après les autres. À ce titre, on aurait pu très bien imaginer le film incarné par des enfants comme chez Alan Parker sur Bugsy Malone. C’est pourquoi le film a fonctionné si bien sur les enfants de l’époque (Mad Will en est une victime) et laissé de si bons souvenirs à certains.
Le film est réellement une cour d’école où l’imagination des enfants ne connaît aucune limite. Les gadgets chers à James Bond abondent à l’écran et contredisent la vraisemblance. À ce titre on se demande pourquoi le héros construit des tire-fesses en forme de fusées lorsqu’il peut simplement utiliser le téléférique à deux mètres de lui. De l’emploi des langues en passant par les apparitions de personnages dans plusieurs lieux, il y a une centaine de détails de Condorman qui feraient passer James Bond pour un documentaire de la BBC ultraréaliste.

L’ouverture du film annonce ainsi admirablement la couleur avec l’auteur de bande dessinée qui essaye de voler en se jetant de la Tour Effel à la manière du héros qu’il a créé sur papier. L’homme tombe alors dans la Seine. Cet échec déclenche l’histoire du film, celle d’un homme qui par sa volonté va transformer le monde qui l’entoure pour le faire correspondre à son fantasme enfantin. Le film est passionnant dans la manière qu’il a de nous montrer des personnages qui refusent leurs responsabilités. Le directeur du bureau de la CIA à Paris ne veut pas s’occuper d’une affaire urgente et la délègue à son second qui lui-même répète ne pas vouloir de responsabilité et la refile à son copain Woody alias Condorman. Du côté russe, c’est pareil, notre jeune héroïne veut quitter la Russie, car elle refuse les avances de son supérieur (derrière le mariage et un certain cloisonnement social synonyme de responsabilité !) qui préfère tuer son plus fidèle agent pour garder une femme à ses côtés. Seul le tueur machiavélique incarné par Jean-Pierre Kalfon qui souhaite aller au bout de sa mission, mourra. En rappelant les règles du monde adulte, il est mis hors-jeu par les autres personnages du film.
Une scène est très pertinente à ce sujet dans le film. Celle où l’espionne russe s’éloigne et découvre dans les mains des enfants la bande dessinée de ses aventures, signée par Woody alias Condorman. On craint que la jeune femme arrête le "jeu" donc le film. Mais une discussion entre elle et le meilleur ami de Condorman va la décider à continuer. Discussion que le cinéaste décide de nous placer hors-champ.  Ce postulat du jeu est essentiel et ce n’est pas un hasard si Kick Ass a repris l’ouverture de Condorman et le saut dans le vide raté par le personnage. Les deux films montrent des personnages chez lesquels « le jeu » et « le je intérieur » se confondent ! Condorman n’est en effet pas le meilleur film du monde, mais il fait preuve d’une naïveté assez touchante qui en fait un spectacle sucré et doux comme les bonbons de notre enfance. 
Un petit film fichtrement sympathique dans lequel le héros, grâce aux regards complices de son ami et de son amoureuse, réussira son vol à la fin du film, nous rappelant que les rêves de l’enfance sont toujours possibles.


MAD WILL


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