ANANDA DEVI (Île Maurice).

Par Ananda

Si nous attendons de la poésie qu'elle nous endorme de ses souples cadences, si nous attendons de la poésie qu'elle nous rassure et nous apaise et souffle dans nos lèvres comme un air de berceuse, mieux vaut passer notre chemin : ce recueil-là n'est pas pour nous.

 

Si nous pensons que la poésie n'est pas faite pour ces temps de manque, qu'elle n'a plus de place ni de rôle en notre ère, que l'immédiat en a usurpé l'urgence, ce recueil n'est pas pour nous.

 

Si nous pensons qu’il vaut mieux museler nos désirs que les offrir en partage avec un parfum de soufre et de vertige, qu’une cigarette rouge feu s’immisçant au détour d’un chemin d’ombre ne peut dire le trouble angoissant de l’attente, ce recueil n’est pas pour nous.

Car, plus que jamais, la poésie semble sortir du ventre des mourants pour faire entendre leur voix, plus que jamais il nous la faut pour émerger du bruit des chars et des lance-roquettes, plus que jamais le bruit du monde nous annihile et nous assourdit et il nous faut alors cette voix d’outre-monde pour recommencer à entendre, à ressentir, à frémir, à dire le vrai et le silence.

[...]

 

C'est un constat d'inespoir que fait Arnaud Delcorte, mais c'est aussi celui du combattant sur tous ces fronts qui s'ouvrent aujourd'hui devant nous. Il décide de prendre la poésie pour arme. Est-ce bien raisonnable ? Mais le raisonnable n'a pas sa place ici : il doit, lui aussi, passer son chemin et revenir un autre jour. [...]

 

Ne pas toujours demander à quoi bon la poésie. Plus jamais l’à quoi bon des peureux et des faibles, des résignés avant même le combat, des exsangues et des ruines : en poésie il n’y a pas d’à quoi bon, tant que les mots vous poinçonnent le cœur.

Extraits de la préface au recueil de poésie d'Arnaud DELCORTE  ECUME NOIRE, L'Harmattan.