10 ans d’Apple Store!

Publié le 14 juin 2011 par Tcuentofr @tcuento_fr
é

15 mai 2001 : Steve Jobs convie la presse pour lui annoncer l’ouverture du premier Apple Store, au Tysons Corner Center de McLean (Virginie), quatre jours plus tard. À l’époque, Apple vient de lancer un Mac OS X encore largement en développement et sa part de marché est tombée à 2 %. Dix ans plus tard, Apple a ouvert 325 boutiques devenues de véritables phénomènes : en 2010, elle ont généré plus de 9 milliards de dollars de chiffre d’affaires, écoulé plus de 2,85 millions de Mac.

D.M.

Les Apple Store, une vitrine pour les produits Apple
« On n’est jamais mieux servi que par soi-même », telle est la philosophie qui a présidé à la conception des Apple Store. En mai 2001, Apple vient de lancer Mac OS X — on a peine à s’en souvenir, mais il était alors loin, très loin d’être fini. Il ne supportait par exemple pas les SuperDrive pourtant mis en avant dans la campagne de pub « Rip. Mix. Burn. » si controversée.

Avec un peu plus de 2 % de parts de marché dans le domaine de l’ordinateur personnel, Apple a alors du mal à placer ses produits dans la grande distribution, même si le succès de l’iMac ne se dément pas. Gateway elle-même, marque de PC à grand succès aux États-Unis, a des difficultés avec sa chaîne de magasins. En janvier 2000, pourtant, Apple s’adjoint les services de Ron Johnson, l’homme qui a façonné la stratégie commerciale du distributeur Dayton Hudson, de son extension à travers les États-Unis à l’ouverture de son site Internet en passant par le lancement d’une marque de distributeur… et son changement de nom au profit de Target.

Ron Johnson (© AZ).

Cette embauche se fait en toute discrétion, Johnson répondant directement aux ordres de Steve Jobs. Sa mission : développer le concept des Apple Store, un environnement contrôlé dans lequel Apple ferait la promotion de ses produits, les vendrait, et assurerait leur service après-vente. Le but : s’assurer l’exposition que la grande distribution lui refuse avec un plan d’implantation ressemblant à un quadrillage très serré de ses marchés principaux, des États-unis au Japon en passant par la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne.

Rien n’est plus clair que la stratégie qu’Apple dévoile à la presse le 15 mai 2001, quatre jours avant l’ouverture des Apple Store du Tysons Corner Center (McLean, Virginie) et de la Glendale Galleria (Glendale, Californie, techniquement le numéro 001) :

Ce samedi, Apple va ouvrir ses premières boutiques. Voici pourquoi :

Apple a environ 5 % de parts de marché dans le domaine des ordinateurs personnels. Cela signifie que sur cent utilisateurs d’ordinateurs, cinq utilisent un Mac. On pourrait croire que ce n’est pas beaucoup, mais c’est en fait plus que la part combinée de BMW et de Mercedes-Benz dans le marché de l’automobile. Et cela représente 25 millions de clients à travers le monde.

Mais ce n’est pas assez pour nous. Nous voulons convaincre les 95 autres personnes que le Mac offre une expérience plus simple, plus riche et plus humaine. Nous pensons que le meilleur moyen pour le faire est d’ouvrir des boutiques dans leur quartier. Des boutiques qui leur permettent de voir de leurs yeux ce que c’est de faire un film sur un Mac. Ou de graver un CD avec leur musique préférée. Ou de prendre des photos avec un appareil photo numérique et de les publier sur leur site personnel. Ou de choisir un logiciel parmi les 300 disponibles […]. Ou de parler à un de nos « genius » Mac à notre Genius Bar. Ou de suivre une démonstration de Mac OS X, notre système d’exploitation révolutionnaire, sur l’écran de 3 mètres de diagonale de notre salle de conférences.

Parce que si nous arrivons à convaincre 5 des 95 personnes restantes de passer au Mac, nous doublerons notre part de marché et surtout gagnerons la chance de ravir 25 millions de clients de plus. C’est parti…

Shop different.

Pendant cinq ans, Apple va patiemment déployer son réseau de boutiques. Le neuvième Apple Store (2001), à Palo Alto, est le premier hors d’un centre commercial. Le 32e (2002), celui de SoHo à New York, est le premier « flagship », avec son Genius Bar ouvert jusqu’à minuit. Le 72e (2003) à Ginza (Japon), est le premier à ouvrir hors des États-unis et couvre cinq des huit étages du complexe l’abritant. Tous trois ont partagé leur premier manager, Steve Cano, aujourd’hui vice-président d’Apple responsable des Apple Store à l’international.

L’Apple Store de Ginza (cc Bizmac)

L’Apple Store de Regent Street, le numéro 99, est le premier à ouvrir ses portes en Europe (2004), au coin de la rue où Apple Europe a ses quartiers. Avec ses 2 600 mètres carrés, il restera longtemps la plus grande boutique Apple dans le monde, et est encore aujourd’hui l’Apple Store avec le chiffre d’affaires au mètre carré le plus haut.

Alors qu’Apple ouvre sa boutique emblématique de la Fifth Avenue à New York (2006), le Mac atteint les 5 % de parts de marché. L’iPod est un succès mondial, l’iTunes Music Store est en train de redéfinir le marché de la musique, et Apple a changé de statut. Les Apple Store ont accompagné ce mouvement, sans que l’on ne sache vraiment qui est l’œuf et qui est la poule.

Les Apple Store : un concept pensé au millimètre près
Le concept des Apple Store a été pensé jusque dans les moindres détails. La légende veut que Ron Johnson ait dû arracher à Steve Jobs le Genius Bar : le premier voulait que les Apple Store couvrent l’avant-vente, la vente et l’après-vente, alors que le deuxième ne voulait pas suggérer que les Mac pouvaient tomber en panne. C’est la seule fois depuis le retour de Jobs aux commandes qu’Apple a dû recourir aux services d’une société de conseil sur un de ses produits ou services.

Le premier Apple Store.

C’est Ron Johnson qui l’a emporté, et l’histoire lui a donné raison : en 2005, il qualifiait le Genius Bar d’« âme du magasin ». Le succès du Genius Bar tient en grande partie à son apparence : un large comptoir surmonté d’un logo sans équivoques et d’écrans, derrière lequel se tiennent de jeunes hommes (et quelques rares femmes), formés à Cupertino pour répondre à n’importe quelle question.

Dans les Apple Store, la forme suggère la fonction. Le plan des premiers Apple Store devait guider l’utilisateur dans l’univers Apple : 36 Mac, tous reliés à Internet, d’un côté les machines grand public, de l’autre les machines professionnelles. L’allée centrale sépare les deux pôles, tout en exposant les « solutions » : logiciels d’un côté, périphériques et accessoires de l’autre, répartis en quatre catégories (musique, films, photos et enfants). Enfin, le Genius Bar avec son téléphone rouge, ligne directe vers Cupertino.

Chacun de ces points fait partie d’une mécanique bien huilée, une mise en scène du produit pensée comme un spectacle. La division claire des Mac permettait de faire comprendre la logique derrière la gamme extrêmement réduite d’Apple (machines portables et de bureau, grand public et professionnelles). La connexion Internet permet de mettre l’accent sur la connectivité du Mac (AirPort) et les services Web d’Apple (iTools puis MobileMe).

L’intérieur du premier Apple Store.

La présence d’un mur de logiciels permet de combattre une idée reçue, celle de l’absence d’une logithèque fournie sur Mac (pas loin d’être fausse à l’époque). La présence d’accessoires et périphériques (dont des baladeurs numériques, six mois avant la sortie de l’iPod) permet de montrer l’écosystème qui peut être construit autour du Mac, en même temps qu’il montre les logiciels de créations fournis par Apple (iMovie, puis iDVD et iPhoto).

Le téléphone rouge ? Un élément emblématique qui sera vite supprimé, mais qui participe au mythe entourant le Genius Bar. Les sièges pour enfant ? Apple l’a bien compris, plus le public est ciblé jeune, plus accroc il sera.


Le concept a régulièrement évolué pour s’adapter aux nouveaux produits : les appareils concurrents ont laissé la place aux écosystèmes créés par Apple, notamment celui autour du Dock connector, qui a fait entrer les périphériques iPod, iPhone puis iPad dans les Apple Store. L’arrivée d’un nouveau public a nécessité la création d’un Setup Bar (vente) ou des sessions One to One (après-vente).

Les Apple Store : une expérience architecturale à portée édificatrice ?
Les repères sont pourtant toujours les mêmes, au fil des années. À l’ouverture du premier Apple Store français, Pascal Cagni qualifiait la France de « fille aînée de l’Église Apple » — si l’on suivait sa logique, les Apple Store seraient les églises ou temples de cette religion, avec une architecture à portée édificatrice.

Le 5th avenue Store (New York).

Bohlin Cywinski Jackson est le cabinet d’architectes derrière les cathédrales de verre et d’acier que sont les Apple Store. L’acier, justement, est un alliage spécial produit au Japon par Kikikawa Kogyo ; le verre, lui, est fabriqué en Allemagne par Bischoff Glass Technologies.

© AZ

Ce verre est utilisé pour les escaliers typiques, conçus par Eckersley O’Callaghan Structural Design. Les tables, qui structurent l’espace, proviennent de Fetzer Woodwork. Joli certes, mais pratique aussi : sous les tables, on trouve le système de gestion des câbles des appareils, le système de paiement et une imprimante pour les factures. Quant aux dalles du sol elles arrivent d’Italie (lire aussi Apple Store : Bologne et ses carrières).

Que l’Apple Store soit une boutique étendard comme le Fifth Avenue Store et son cube de verre ou une boutique de centre commercial comme à Lyon Part-Dieu (il finira bien par arriver), cet ensemble est familier. Une des règles des chaînes de magasins certes, mais poussé à l’extrême par Apple pour raconter une histoire, comme le font les meilleurs concept-stores.

© AZ

On est parfois proche de la caricature : la recette est parfaite pour créer un phénomène de pop-culture, des Mapple Store des Simpsons aux danses d’iJustine. Les Apple Store sont aujourd’hui une part de l’identité d’Apple au même titre que le Macintosh ou l’iPod, au point qu’Apple cherche à en protéger l’agencement (lire : Les Apple Store bientôt modèle déposé ?).

Les Apple Store : histoire d’employés
Concept, architecture, ne manque plus qu’un élément : les employés. Apple a commencé par recruter les meilleurs noms du commerce de détail pour gérer ses Apple Store, venus de Target (l’ancienne société de Ron Jonhson) ou de Gap (société au conseil d’administration de laquelle Steve Jobs était membre).

Apple Retail emploie désormais 30 200 employés équivalent plein-temps dans plus de 300 boutiques, et il y a vingt fois plus de demandes que d’offres. Managers, assistants manager, spécialistes (Mac, Personal Shopping, inventaire et stocks), Genius, Creative, consultant Business et Concierges, les postes sont nombreux. Apple assure des mécanismes de promotion accompagnés de formations : on peut passer des stocks à la vente, de la vente au Genius Bar (les Genius recevant une formation spécifique à Cupertino).

© AZ

Il n’y a officiellement aucun dress-code chez Apple : la société vous fournit un tee-shirt, vous amenez le reste. Y compris votre barbe de trois jours, vos piercings et tatouages. Le rêve s’arrête là : les Apple Store sont d’abord et avant tout des magasins. N’espérez ainsi pas passer d’un job à temps partiel à un job à temps plein si vous ne réussissez pas à caser un AppleCare avec 60 % de vos ventes ou un MobileMe avec 30 % de vos ventes — Apple ne génère pas 35 000 € de chiffre d’affaires annuel par mètre carré dans ses boutiques sans effort.

Officiellement, travailler dans un Apple Store est si gratifiant que les employés ne veulent jamais partir. Dans la réalité, le turnover moyen est de 18 mois et on ne compte plus les comptes Twitter et les blogs d’anciens employés aigris.

Extrait d’un document distribué en interne par Steve Cano.

Les Apple Store français sont tellement détraqués que Steve Cano, vice-président responsable des Apple Store à l’international, a dû se déplacer pour rappeler lui-même à l’ordre les équipes. Entre un manager qui a confondu le bonus de Noël des employés avec le budget pour refaire son bureau, des employés si peu précautionneux qu’ils repartent avec des cartes iTunes et des boîtes de logiciels dans leurs sacs (un doux euphémisme), et oui, de nombreuses fuites, la réalité est moins parfaite qu’Apple ne veut bien la décrire.

Apple Store 2.0 ?
Rien d’étonnant cependant : les Apple Store restent des magasins. De beaux magasins, qui racontent une partie de l’histoire de l’incroyable retour d’Apple, mais une histoire en forme de joli conte.


Un conte à 9 milliards de dollars, qui pourrait bientôt être revisité. On parle en effet d’une opération « Apple Store 2.0 », sur laquelle personne ne sait vraiment quelque chose, et qui pourrait être une opération de rénovation du concept.

Dix ans après leur création, les Apple Store ont autant bénéficié du nouveau statut d’Apple qu’ils ont contribué à le façonner, une alchimie difficilement descriptible. Dépouillés de leurs façades de verre et de leurs panneaux en acier, les Apple Store ne sont que des boutiques. Mais quelles boutiques.

Source: MacGeneration
Auteur: Anthony Nelzin