Liberté, égalité, fraternité : l’égalité occupe-t-elle toujours une place centrale dans notre pacte républicain ?

Publié le 29 juin 2011 par Delits

Lors d’une campagne présidentielle, les candidats sont non seulement attendus sur des propositions concrètes, sur la suggestion de solutions aux problèmes du pays, mais également sur l’incarnation de valeurs ou encore sur l’expression d’une figure morale. En effet, les électeurs votent pour un programme mais aussi pour une personnalité, dans laquelle ils souhaitent, au moins pour partie, se reconnaître. Or, les valeurs des responsables politiques sont aujourd’hui largement réinterrogées. Au cours des dernières années, la multiplication des « affaires », ou tout du moins leur médiatisation, semble avoir participé à l’affaiblissement de la confiance que les Français placent dans leurs dirigeants : affaire de l’EPAD, procès Clearstream, appartements de Christian Poncelet ou de Christian Estrosi, cigares de Christian Blanc, voyage en jet privé d’Alain Joyandet, implication d’Eric Woerth dans l’affaire Bettencourt, affaire Guérini, vacances de Michèle Alliot-Marie ou encore, plus récemment, le salaire universitaire de Luc Ferry et les scandales sexuels impliquant Georges Tron et Dominique Strauss-Kahn… Les dirigeants économiques, les « grands patrons », sont également concernés par des affaires qui prennent la forme de parachutes dorés, de retraites-chapeaux, d’augmentations de salaire exponentielles…  ou de retraits suspects comme à l’UIMM.

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Dans une période d’austérité où des efforts sont demandés aux Français, ces affaires ont sans aucun doute contribué à creuser l’écart entre la population et les élites (comme tend à le prouver ce sondage réalisé en juillet 2010 par Viavoice), et à accréditer l’hypothèse d’une société à plusieurs vitesses, où les extrêmes seraient représentés d’un côté par « les puissants », disposant de nombreux avantages, parfois injustement acquis, et de l’autre, « les petits », qui rencontreraient de plus en plus de difficultés, ignorées d’ailleurs par les dirigeants. L’affaire DSK à New-York a d’ailleurs pu être présentée sous cet angle : un homme, riche, blanc, tout puissant face à une jeune femme, noire, exerçant un emploi peu qualifié. A travers ces différentes affaires, ce sont donc les valeurs mêmes d’égalité et de justice qui se trouvent mises à mal. Alors que la campagne présidentielle qui débute va nécessairement replacer ces valeurs au cœur des débats (le Parti Socialiste en ayant déjà fait un thème de campagne avec sa convention sur « l’égalité réelle »), quelle importance les Français leur accordent-ils encore ? Quelles solutions entrevoient-ils pour les défendre ?

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L’égalité, une valeur en disgrâce dans la société française ?

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On a coutume d’opposer la société américaine libérale, où la valeur liberté primerait sur tout le reste, à la société française, où ce serait au contraire la notion d’égalité qui prévaudrait. Si cette opposition schématique est forcément quelque peu caricaturale, force est de constater que la valeur d’égalité occupe une place centrale symbolique dans le triptyque des valeurs fondatrices de la République et que les Français lui attribuent une grande importance. En 2008, alors que la crise avait éclaté, les Français plaçaient même pour la première fois depuis 1981 la valeur d’égalité devant celle de liberté (57% contre 40%). Si depuis, la valeur liberté semble avoir repris sa place première (selon un sondage TNS Sofres pour Lire la Politique , 47% désignent la liberté comme la valeur de la devise républicaine à laquelle ils sont le plus attachés, 36% optent pour l’égalité et 14% pour la fraternité), l’égalité reste néanmoins une valeur capitale aux yeux des Français, et une valeur qui leur semble dangereusement menacée. En effet, selon cette même enquête, il s’agirait de la valeur de la devise aujourd’hui la plus en péril, à hauteur de 67%, contre 60% pour la fraternité et 55% pour la liberté. Si le clivage politique est marqué, 74% des sympathisants de gauche notant cette régression contre 52% des sympathisants de droite, cette perception d’un recul de l’égalité républicaine est majoritaire chez toutes les catégories de population. Les inégalités qui s’aggravent le plus selon les Français sont avant tout celles liées au monde professionnel, c’est-à-dire au salaire (52%), au fait d’avoir ou non un emploi stable (37%) ou encore au statut professionnel, public ou privé (21%).

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Une enquête CSA réalisée auprès des habitants des communes de plus de 30 000 habitants appuie ces constats : en effet, 48% des répondants affirment que, des trois valeurs républicaines, c’est aujourd’hui l’égalité qui est la moins respectée (contre 30% pour la fraternité et 21% pour l’égalité) et 44% qu’il s’agit de la valeur qu’il faut le plus encourager dans la société française d’aujourd’hui (contre 28% pour la fraternité et 26% pour la liberté). Les Français ont donc le sentiment que la société française porte de moins en moins la valeur d’égalité alors même qu’ils voudraient au contraire que des efforts soient fournis pour la promouvoir, cette valeur étant constitutive de notre pacte républicain. Leur exigence de plus d’égalité transparaît aujourd’hui dans de nombreux domaines, que ce soit dans l’accès à l’emploi, aux responsabilités, à l’éducation, au logement, aux soins, aux loisirs… Dans la suite de cet article, nous nous concentrons sur les deux univers symptomatiques mis en avant dans l’introduction, à savoir le monde de l’entreprise et le monde politique, afin d’appréhender quelles solutions les Français privilégient pour réintroduire plus d’égalité dans notre modèle social.

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L’égalité dans le monde de l’entreprise passe d’abord par une hausse des bas salaires

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Si l’on s’intéresse tout d’abord au monde de l’entreprise, la volonté d’une plus grande justice sociale se traduit avant tout par des attentes en termes de rémunération, les inégalités salariales étant perçues comme celles s’aggravant le plus aujourd’hui.

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L’observation du rapport interdécile montre en effet que les écarts entre les plus riches et les plus pauvres ont eu tendance à se creuser ces dernières années. D’après l’observatoire des inégalités, entre 1998 et 2008, le niveau de vie moyen des 10 % les plus pauvres a progressé de 13,7 % soit 970 euros, une fois l’inflation déduite. Le niveau de vie moyen des 10 % les plus riches a augmenté quant à lui de 27,3 % soit 11 530 euros. L’écart relatif entre ces deux catégories s’est donc accru : les plus modestes touchent en 2008 6,7 fois moins que les plus aisés, contre 6 fois en 1998. Depuis, la survenue de la crise n’a sans doute pas conduit à une inversion de la tendance.

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Interrogés sur ce qu’il faudrait mettre en œuvre en priorité pour rendre le monde de l’entreprise plus juste, tous les Français et les salariés s’accordent alors pour appeler majoritairement de leurs vœux une augmentation du salaire minimum. En effet, selon un sondage Harris Interactive réalisé pour Tilder et l’institut Montaigne, cette attente est la première exprimée par les Français, avant la création d’un salaire maximum ou encore la transparence des rémunérations (41% contre 25% et 23% ; et même 48% parmi les catégories populaires). Si les attentes se focalisent fortement sur la question des rémunérations, on constate que les Français privilégient une réduction des inégalités par le bas, en donnant plus à ceux qui aujourd’hui ont le moins, plutôt que par le haut, en sanctionnant et encadrant les plus hauts revenus. Si l’idée prévaut en France que la réussite est suspecte, voire mal tolérée, on voit donc que les Français ne souhaitent pas d’abord désavantager ceux de « la France d’en haut » mais bien aider ceux de « la France d’en bas ». Dans un contexte incertain, où une majorité craint le déclassement, les Français font prévaloir, sans nécessairement s’en rendre compte, « le critère du maximin » inspiré de John Rawls. Dans leur société plus juste, il s’agit en effet bien de maximiser le minimum, afin non pas d’arriver à un égalitarisme parfait mais bien à une amélioration du sort des plus désavantagés.

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Face à un sentiment croissant de rupture de l’équilibre des pouvoirs entre actionnaires, patrons et salariés, la solution privilégiée par les Français ne consiste pas aujourd’hui dans une remise en cause complète du modèle capitaliste qui est le nôtre (si les Français font partie des peuples se déclarant les plus anticapitalistes, une majorité estime néanmoins « qu’il faut conserver ce système car il n’y a pas d’autre alternative »), mais bien en une demande de répartition plus équitable des fruits du travail, particulièrement en direction des plus pauvres.

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L’égalité dans le monde politique : la fin du cumul des mandats pour favoriser le renouvellement des élites et enrayer la corruption du pouvoir

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Le monde politique est également concerné par cette exigence d’une plus grande égalité et d’une plus grande moralité. Nous l’avons vu, aujourd’hui, les Français doutent de leurs élites politiques. Selon eux, afin de rendre le monde politique plus juste, il faudrait avant tout interdire le cumul des mandats et limiter le nombre de mandats consécutifs possibles (respectivement 54% et 24% de citations), tout autant que contrôler plus strictement les dépenses publiques (53%). La remise en cause du cumul des mandats peut être lue comme l’illustration de deux volontés :

-   Tout d’abord, celle de donner davantage leurs chances à d’autres catégories de population qui rencontrent parfois des difficultés pour accéder aux postes à responsabilité. En effet, la fin du cumul des mandats pourrait se traduire par une plus grande place donnée aux femmes, par l’émergence d’une nouvelle génération politique ou encore par une plus grande représentativité sociale des responsables politiques.

-   Mais aussi la volonté de limiter la concentration, l’usure et la tentation du pouvoir. En effet, un deuxième sondage Harris Interactive réalisé pour le site Internet de M6-RTL-MSN dédié à la future élection présidentielle a également mis en lumière l’exigence de moralité, visant à refuser la corruption liée au pouvoir. Invités à se prononcer sur le caractère acceptable ou intolérable d’un certain nombre de pratiques, les Français font incontestablement preuve d’une certaine sévérité à l’égard des hommes et des femmes politiques, au moins dans l’expression de leurs opinions (la pratique électorale venant parfois contredire cette intransigeance morale affichée…). Seuls deux comportements ‘déviants’ soumis à leur jugement apparaissent en effet comme non-susceptibles de les détourner de leur candidat favori,  à savoir l’infidélité conjugale ou une manifestation d’énervement contre ses adversaires politiques, car, pour le coup, pour partie entrés dans les mœurs. En revanche, les Français déclarent que l’ensemble des autres actes testés entraînerait une remise en cause du vote initialement prévu : la détention d’un compte bancaire à l’étranger (52%), des vacances aux frais d’un Etat non-démocratique (65%),  la consommation fréquente d’alcool (72%), la tenue d’un propos raciste, antisémite ou xénophobe (75%), la consommation de drogues (75%), le harcèlement sexuel (79%) ou un acte de corruption (92%). On le voit, à travers ces réponses, les électeurs dénoncent non seulement des comportements licencieux, mais également les prérogatives que peuvent parfois s’arroger des responsables politiques du fait du pouvoir qu’ils détiennent. Aujourd’hui, si les Français ont du mal à faire confiance aux politiques (moins d’un Français sur deux estimant que les hommes et femmes politiques peuvent encore agir efficacement pour améliorer la vie des gens et 42% qu’ils en ont moins la possibilité aujourd’hui qu’il y a 30 ans), c’est avant tout selon eux en raison de conflits d’intérêts et de liens avec certains grands groupes économiques (26%, à égalité avec l’impuissance face à la mondialisation).  On le voit, les Français dénoncent un système fermé qui conduit au non-renouvellement des élites et à la concentration du pouvoir.

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Dans ce cadre, la focalisation sur le cumul des mandats est l’illustration du souhait de promouvoir davantage d’égalité dans un milieu encore considéré comme très « réservé ».

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Attachés à la valeur égalité, les Français ont le sentiment que cette valeur est en déclin et réclament par conséquent que les conditions de sa réalisation soient davantage  mises en place. Les débats sur l’égalité et les meilleurs moyens de la promouvoir interrogent profondément notre modèle social, et notamment le rôle des pouvoirs publics et des entreprises dans ce modèle. Le choix du PS d’inscrire ce thème dans son programme pour l’élection présidentielle de 2012 permettra sans doute aux différents candidats d’exprimer leur positionnement idéologique sur cette question centrale.