Ben Ali a beau être cité pour ses réformes économiques, Heritage Foundation classait alors la Tunisie au 12eme rang des pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient; bref, rien qui empêche de condamner cette dictature dont nos gouvernements ont tous été si proches (le dernier pris avec la main dans le pot de miel, c’est notre souverainiste visionnaire Guaino) Pour le moment, l’armée tient le pouvoir de ces pays qui découvrent la liberté et ses inconvénients. Mais dans le contexte mondialisé actuel, elle ne peut tenir cette position longtemps.
Le sens de l’histoire, c’est la démocratie. Les revendications se multiplient, mais dans cette confusion apparaissent des enjeux bien nouveaux. Les questions de la démocratie, du modèle économique et social, de la place de la religion se posent brutalement après des années de silence imposé. Après avoir raté le train de la révolution, les organisations islamistes semblent en position de force. Mais en leur sein se développent aussi des débats nourris sur la place de la religion dans la société nouvellement libérée. La place de la femme, l’ouverture sur le monde, les accords diplomatiques, les partenariats, tout est passé en revue. Et tout est à faire, en bien ou en mal.
La branche égyptienne des Frères Musulmans a toujours fait peur aux démocraties occidentales par son nationlisme anti-occidental teinté d’une forte dose d’islam radical. Aujourd’hui, les divergences profondes de vision et d’ambitions politiques ont abouti à une scission en deux partis après une série d’exclusions.
Sans renier ses valeurs conservatrices, la jeune génération ne veut pas d’un Etat islamique après avoir participé à la révolution (contre l’avis des ainés du mouvement). Cette jeunesse souhaite conserver des références à l’islam dans la constitution (pensez que quand on entend certains courants conservateurs exiger la référence à notre héritage chrétien dans les textes fondamentaux européens, il est difficile d’exiger dans un avenir proche l’abandon de cet attachement identitaire chez les conservateurs égyptiens), mais aspire à un modèle de société ouvert, fondé sur une certaine liberté (le mariage homo et le cannabis, ce n’est pas pour demain) et l’égalité de tous, et respectueux des différences de culte.
La déclaration publique du grand imam d’Al Azhar, cette institution caïrote qui a conservé un très grand prestige dans le monde sunnite, a aussi surpris plus d’un observateur, à commencer par les Égyptiens eux-mêmes. Le cheikh Ahmed el-Tayeb a annoncé solennellement : « Nous soutenons l’établissement en Égypte d’un État national constitutionnel, démocratique et moderne« . Sans non plus revenir sur la nécessaire inspiration de la loi dans le droit coutumier islamique, il a insisté sur l’importance de la séparation des pouvoirs, de l’égalité des droits entre tous les citoyens, de la protection des lieux de culte des trois religions monothéistes. Autant dire que cette autorité a imposé les termes d’un débat de fond et qu’à ce jour, aucun ouléma n’a osé le contredire.
Certes, tout ceci ne va pas stopper les violences de certaines mouvances marginales en quête de légitimité. Les attentats ne vont pas cesser demain. Mais la liberté chèrement acquise par ces peuples ne risque plus de se refermer complètement.
Alors que les Syriens, les Libyens et d’autres populations du moyen-orient défient les pouvoirs en place et risquent leur vie au nom de cette liberté chérie, devant un occident désemparé, il est intéressant d’entendre le président d’un grand pays proche, Erdogan, condamner Bachar El-Assad et le régime syrien, et s’éloigner de sa neutralité passée même si son pays reste l’un des derniers interlocuteurs de l’Iran.
La Turquie, exemple de démocratie en partie réussie (ne nous voilons pas la face, il reste de grands progrès à faire) d’un pays musulman, est en train de devenir un acteur incontournable de la région, notamment par son lien compliqué mais ouvert avec Israël.
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