François Thual – La passion des autres

Par Pikkendorff

“*La volonté de paix est la forme sublime de l’instinct de mort.

Un agréable livre d’entretien avec Emilie Chapuis qui, d’une plume alerte et efficace, rend compte des propos superficiels et sans saveur de François Thual.  Partez tranquille, rien dans ce livre ne vous choquera ni ne vous étonnera si ce n’est souvent l’incroyable méconnaissance que peuvent avoir nos dirigeants de ceux qu’ils dirigent pour le pire ou le meilleur.  Nous sommes loin des vrais géopoliticiens comme un Aymeric Chaupradeou un Bernard Lugan.  Voilà des personnes qui publication après publication forcent notre réflexion : Allez faire un tour sur realpolitik

Vous nous trouverez pas une page apportant une vision comme j’ai pu lire en Décembre 2009, RealPolitik écrire que l’annonce du Président Obama de renforcer les troupes américaines en Afghanistan, afin de remporter une victoire décisive contre les Talibans, puis de se retirer du pays équivalait à l’annonce d’un retrait pur et simple. 2011, c’est fait.

Attention, qu’il soit clair que pour moi Monsieur Thual est un brave homme essayant de faire son job avec passion.  Je suis certain qu’il démontre, lors de ses missions à l’étranger, sa passion des autres.  Il doit aimer comprendre le mécanisme intellectuel de l’alter, la découverte du mode de compréhension de l’autre.  Par la méritocratie, il a su entrer dans nos corps d’Etat, puis dans l’establishment politique et bien sûr dans les structures annexes du pouvoir comme la franc-maçonnerie. 

Alors comment attendre une liberté de parole ou une surprise d’un prébendier ?  Il suffit de voir ce que Monsieur Chauprade subit pour avoir juste publié une analyse géopolitique contenant des hypothèses ne plaisant pas ci-devant Morin, au Ministre de la Défense : cliquez pour en savoir plus

Un politique du centre vivant au cœur du système ne peut pas dire la vérité première dramatique concernant le cœur de l’ouvrage : En 20 ans, le Ministère des affaires étrangères a perdu 20% de ses moyens financiers (qui ne représentent d’ailleurs que 1,3% du budget de l’État) et de son personnel. Les Français ignorent que des consulats ferment, et que nous vendons des bâtiments étrangers de grande valeur historique. Par comparaison, les effectifs du département d’État américain augmentent de 5% par an et le Foreign Office nous a dépassé. Or ni les États-Unis ni le Royaume-Uni ne sont des pays collectivistes !”  (source realpolitik)

Les moments de grosses rigolades

·     En 1995, François Thual se présente comme l’un des premiers à considérer les facteurs identitaires à l’aune des évènements en Yougoslavie.  Considérant l’homme honnête, j’en conclus que dans le petit cercle de nos élites, le fait identitaire n’existait plus et qu’il leur a fallu le redécouvrir.  C’est effrayant ! Je comprends mieux l’absurde construction européenne. 

·   Sa méthode en 7 questions pour comprendre 90% des raisons d’un conflit.  Son impudence ou son ignorance le conduit à présenter, face à ses élèves, sa méthode de questionnement de problème comme sa grande innovation.  Cela doit en faire rire plus d’un.  Il ne s’agit en fait que d’une adaptation de l’hexamètre de Quintilien (Quis, Quid, Ubi, Quibus auxiliis, Cur, Quomodo, Quando) ou du CQQCOQP (« c'est cucul, c'est occupé ») moderne utilisé dans les milieux professionnels et accessible à n’importe quel lecteur de wikipedia.

·   Les citations émaillent le discours mais il manque un lexique permettant d’aller les questionner.  Par exemple La volonté de paix est la forme sublime de l’instinct de mort. attribuée à Freud est plus qu’intéressante.  L’auteur est loin d’en appliquer les conséquences à l’Europe.  Après la mort de Dieu (F Nietzsche), nous développerions une politique mortifère.  A développer, n’est-il pas ?

·   Notre géopoliticien découvre que l’histoire est écrite par les vainqueurs.   Il décrit péniblement ce que Bergson a su expliquer de sa plume flamboyante :  “Comme ne pas voir que si l’évènement s’explique toujours, après coup, par tels ou tels des évènements antécédents, un évènement tout différent se serait aussi bien expliqué, dans les mêmes circonstances, par des antécédents autrement choisis – que dis-je ? – par les mêmes antécédents autrement découpés, autrement distribués, autrement aperçus enfin par l’attention prospective.  D’avant en arrière se poursuit un remodelage constant du passé par le présent, et de la cause par l’effet ! ”  Bergson in Essai sur le possible et le réel.

·   j’ai tiré cette leçon : Tout n’est que contingence., page 9.  Pour se contredire page 35, en déclarant, à juste titre d’ailleurs, que la crise de Mai 68 avait sa nécessité.  Contingence & Nécessité.  Relire Kant par exemple.

·   “Plus j’étudie les conflits, plus les phénomènes démographiques me semblent majeurs. Page 95.  Je n’étudie pas les conflits mais je suis allé à l’école.  Le phénomène démographique n’a pas attendu F Thau !  Par exemple la démographie européenne galopante est l’un des facteurs déclenchant des croisades.  En plein sur la POM (Petit Optimum Climatique) ayant permis de meilleures récoltes, fut un moment de croissance pour l’Europe (il y faisait plus chaud qu’aujourd’hui).    

·   “Je vais vous étonner, mais je ne crois pas que la mondialisation soit un phénomène nouveau.   Elle est née avec le capitalisme au XVIème.Page 131.  Non, vous  n’étonnez personne.  Faut-il que les élites soient sourdes et aveugles pour ne pas savoir ce que tout le monde sait.  Bien sûr que la mondialisation ne date pas d’hier et pas non plus du XVIème.  Déjà l’Empire Romain importait des étoffes de Chine via la Perse procurant des devises servant à l’effort de guerre de la Perse contre l’Empire. Argent, commerce, offre, demande, identités,…géopolitique. 

Je lui attribuerai quelques mérites non négligeables

·   Vouloir réintégrer la douleur des hommes dans les analyses géopolitiques.

·   Rendre au Bouddhisme et aux Tibétains leurs places : celle d’une religion et d’un peuple violent.

·   Prendre acte de l’impossibilité de la construction européenne telle qu’elle bâtie.

·   Constater que seuls l’Islam, le Bouddhisme et la Chrétienté sont facteurs de guerre.

·   Démontrer la fragilité des sociétés modernes tributaires d’une paix sociale.

·   Rendre à ses professeurs leurs mérites : Aron, Lacoste et Duroselle.

·   Essayer de l’intérieur de l’oligarchie de travailler à la compréhension des cultures entre elles.

Imaginons que dans ses ouvrages, François Thual trace de manière plus convaincante les frontière du monde sans en appeler trop souvent à l’aléatoire.

*attribué à Freud par l’auteur,

Entretiens avec Emilie Chapuis, Itinéraire d’un géopoliticien du XXème siècle, CNRS édition, 2011, 125 pages, 20 euros