Faut-il mieux payer les patrons?

Publié le 06 juillet 2011 par Dornbusch

Je reproduis 2 articles (Le Monde et les echos) tant ils disent tout des combats que nous devons mener

Ci dessous un article lumineux de Sylvain Cypel dans le Monde qui rejoint ce que je disais voici quelques jours au débat avec Michel Aglietta a Vincennes; au lieu de profiter de la dernière crise pour procéder a des ajustements, d’aucuns, a gauche comme a droite ont préféré crier à la fin du Monde et ne rien faire. résultat: la prochaine explosion est juste devant nous.

Le Monde: Sylvain Cypel: « Certains se sont emus que pour sa premiere soiree d’homme libre Dominique Strauss-Kahn ait emmene sa femme et un couple d’amis diner dans un restaurant new-yorkais pour un cout de 700dollars. C’est qu’ils connaissent mal les tarifs locaux – on reste la loin des prix gastronomiques. Et encore, a indique ensuite le restaurateur, DSK a pris des pates fraiches a la truffe noire; la blanche lui eut coute plus. Treve d’anecdotes…

Vous voulez du lourd, du vrai : 84,5millions de dollars de revenus par an (58,1millions d’euros), c’est ce qu’a gagne Philippe Dauman, PDG du conglomerat americain Viacom (cinema, television et cable, edition, communication), pour l’annee fiscale 2010. De quoi s’offrir 482857 fois des truffes ou, pour rendre la chose plus perceptible, inviter sa femme et deux amis a en deguster chaque jour pendant 330 ans.

Demagogie, populisme!, clamera- t-on. On en conviendra un peu. Mais tout de meme: alors que l’Amerique parait s’enfoncer dans la stagnation economique, qu’y pointe un chomage structurel d’un type jusqu’ici inconnu, que des familles de « nouveaux expulses », differentes des victimes de la crise des subprimes, perdent chaque jour leur logis pour cause de perte prealable de leur emploi, le dernier rapport annuel d’Equilar, un cabinet d’etudes californien specialise dans les remunerations des dirigeants d’entreprise, laisse pantois (www.equilar.com/ceocompensation/ 2011/). Le numero deux de la liste, Ray Irani (Occidental Petroleum), plafonne a 76,1millions de dollars, le medaille de bronze, Lawrence Ellison (Oracle, services informatiques), a 70,1. Leurs suivants, PDG de CBS (television) a IBM, en passant par Black&Decker, Disney, Ford et autres, ont ete remuneres entre 25 et 57 millions. Avec 20,8millions, Jamie Dimon, premier des banquiers (JPMorgan Chase), fait office de parent pauvre, Lloyd Blankfein (GoldmanSachs, 14,1millions), de misereux.

Par ailleurs, certains ont aussi vu la valeur de leur portefeuille personnel d’actions de leur entreprise joliment bondir: +6,5 milliards de dollars – bien lire « milliards » – pour Warren Buffett, mythique proprietaire du fonds Berkshire Hathaway, +3,5 milliards pour Jeff Bezos (Amazon) et pour M.Ellison, encore lui.
Dans cette categorie, neuf des douze premiers sont dans la mouvance communication- Internet-informatique-medias.
Une fois qu’on s’est habitue a ces montants, qu’on a calcule combien de plats de pates ces PDG et DG pourraient ingerer en combien de vies successives, on en vient a s’indigner pour des motifs un peu plus dignes. Pour resumer, situes a 10,8millions de dollars (7,4 millions d’euros), les emoluments medians des cadres dirigeants des 200 premieres entreprises americaines ont augmente de 23% en 2010. A titre de comparaison: l’augmentation des benefices de leurs entreprises avoisine ce taux; la remuneration de leurs actionnaires est respectable, bien que plus faible : 16%. En revanche, les salaires des employes, eux, ont connu une progression identique a celle de la moyenne americaine : +0,5%sur un an; soit, compte tenu de l’inflation, un recul de la remuneration de 1,1%. Pas de doute, on est bien revenu au coeur de ce qui a genere la recente crise financiere. Elle n’a pas ete un imprevisible et inexplicable « accident ». Elle n’a pas non plus surgi de l’esprit derange de
quelques mathematiciens naifs ou de quelques financiers vereux qui ont concocte des produits « pourris », lesquels ont detraque des marchés intrinsequement sains. Elle a constitue, apres plusieurs coups de semonce, l’acme du triomphe d’une economie financiarisee ou la distribution des richesses a ete profondement modifiee, une infime minorite s’appropriant l’essentiel des benefices et une immense majorite de salaries voyant leur revenu moyen pericliter.

D’ou le gonflement constant du recours a l’emprunt, a commencer par celle de menages moyens appauvris a qui l’on offrait la possibilite de consommer toujours plus en gagnant moins, puis enfin la bulle des prets hypothecaires.
Eh oui, pas de doute encore: les chiffres de ce rapport s’inscrivent aussi dans l’actualite. Pour memoire, il y a moins de deux ans, dans une ambiance collective de haro sur les bonus des cadres, pas seulement les Etats-Unismais les nations, reunies en G8 ou en G20, planchaient sur la maniere de reguler les emoluments des patrons et de leurs proches pour minimiser leur propension a favoriser la prise de risque. Que tout cela semble lointain!
Dans le debat americain sur la resorption des deficits, les republicains martelent qu’il n’est pas question de relever le niveau d’imposition des 2% les plus fortunes, qui n’a cesse de baisser sur la decennie. Motif invoque: augmenter leur impot sur le revenu aggraverait leur defiance, portant prejudice a l’investissement et a l’emploi. Pourtant, la lecture du rapport Equilar devrait mettre fin a  cet argument derisoire. En 2010, les
grands patrons ont gagne beaucoup plus, retrouvant generalement leurs gains d’avant la crise (pour contourner les nouvelles regles limitant leurs stock-options, la part en liquide de leurs emoluments a augmente de 34%). Pour autant, leurs entreprises, assises sur des montagnes de cash, n’investissent pas et n’embauchent pas plus. Cherchez l’erreur. C’est sans doute qu’ils ne sont pas encore assez remuneres. En bonne logique, les plus ardents republicains proposent d’ailleurs d’abaisser plus encore le taux d’imposition du patron de Viacom et de ses semblables »

David Dornbusch