Hamid Skif : Les exilés du matin

Par Gangoueus @lareus

La poésie est un genre très exigent. En particulier, quand on veut porter un regard critique sur le travail du poète. C'est peut-être pour que je m'y colle si peu. Elle demande aussi un certain recul, une mise à part du lecteur au temps de sa lecture. Pour entendre le vers, souvent il faut le clamer haut et fort. Et, je n'ai pas toujours le temps d'aller sur les bords de Seine de ma ville dortoir pour me prêter à cet exercice.
Dans le cadre de l'hommage au poète algérien Hamid Skif lors de la rencontre Afriqua Paris, j'ai abordé le recueil de poèmes Les exilés du matin suivi pas Lettres d'absence. Hamid Skif est décédé le 18 mars 2011 à Hambourg (Allemagne) en exil, loin de sa terre natale d'Algérie. Un exil  forcé auquel l'avait contraint ce pays en proie à une sourde guerre civile, occasion rêvée pour faire taire les voix trop discordantes pour les islamistes ou les militaires? Je n'en sais trop rien. Par contre, ce que révèle d'abord le recueil de poèmes, c'est cette souffrance intérieure de celui qui doit écrire, décrire loin de ses bases. Il parle de l'exil certes, mais aussi de l'amour, de la folie de la terre abandonnée, des rêves brisés.
Je suis né d'une nuit d'orage
Dans la boîte de carton
Où meurent les rêves de bouts de bois
Que la poésie est facile sur les routes de l'absence
Les autobus sont pleins de songes évadés des poitrines
Sur le pavé traînent tant de désirs
Qu'il me faut empiler dans mes livres
[...]
Une vie à traverser 
villes
et montagnes qui bruissent
Des cris de poètes ensevelis sous leurs haillons
Marchands de nougat
Dictateurs et patronnes de bordels n'aiment pas les poètes
Les  poètes
n'ont que la boue des mines de nuit pour monnaie
Je vais de par le monde la main tendue
Aux faiseurs de silence
Aux danseurs de tango qui proclament
que leur corps est un désir sans remède
Je suis le danseur de tango invalide
réformé à la fin de la guerre
qui n'a pas eu lieu
page 28, éditions Apic
On ressent le ressort cassé des rêves sans articulation.  Ce recueil serait trop sombre, trop désespéré s'il n'était entrecoupé d'ode à l'amour. Comme pour dire que dans l'exil, la vie continue. Quoique. Fait-il état de son présent ou de souvenirs lointains? C'est tout le problème de l'interprétation d'un poème. 
Mon pays
Mon pays vide et absent
Qui m'a laissé sur le pas de la porte
Mon pays d'ivoire luisant
dans le pénombre de rêves orphelins
de souvenirs ardents
Je te vis en chaque seconde
Et enrage de ne plus tenir dans mes bras.
page 38, éditions Apic
L'amoureuse n'est peut-être celle à laquelle je pensais... Le pays. L'exil. La rage. La folie? 
Les textes qui constituent Lettres d'absence sont encore plus chargés par cette nostalgie et ce discours de l'exilé qui use d'une forme épistolaire pour discourir sur l'absence qui se prolonge. On imagine que son correspondant est forcément en Algérie. On s'imprègne de cette douleur qui est à la fois regard sur la terre d'asile et désir d'un retour impossible au bercail. Cette lecture est complémentaire du roman La géographie du danger, même si ce dernier traite de la condition d'un sans-papier.  On comprend en lisant Hamid Skif que son exigence était fort peu compatible avec la totalitarisme d'Outre-Méditerranée. Je laisserai l'auteur terminer cette chronique :
Je veux que l'on se souvienne non pas de moi mais de ce qu'il m'aura fallu accomplir pour me faire entendre. J'ai voulu rester moi-même en refusant le prêt-à-penser et le conformisme. Je me suis si souverainement conformé à cette pratique que j'ai connu souvent le ridicule.Mais n'est-il pas héroïque de vouloir rester soi-même dans un monde où les gens ont la religion des puissants? Le culte de la force nous encercle. Je n'ai de respect que pour ceux de la marge et leur recherche éperdue du bonheur. Pas ce bonheur de bazar que montrent les écrans du monde, mais cette joie de vivre arrachée à l'ordre ingrat du temps [...]Je veux que l'on souvienne du halètement de ma voix brisée, de mes forces perdues, de mes éclats de rire, de mes larmes et de mes rages.
page 83, éditions Apic
Hamid Skif, Les exilés du matin puis Lettres d'absenceEdition Apic, 1ère parution en 2006, 85 pages.
Voir la chronique du site Djazairess