Il y déjà un certain nombre d’années, lorsque j’effectuais mon service militaire, on s’amusait entre soldats à se poser des questions aux réponses incongrues. Je vous en livre une : « A quel titre le soldat est-il fier de son régiment et de ses chefs ? » Après quelques tentatives de réponse rejetées, la personne interrogée se voyait asséner un « à juste titre ! » définitif. Si j’évoque ce souvenir aujourd’hui, c’est parce qu’il m’est revenu en mémoire en écoutant notre ministre de la défense s’exprimer sur France 2 au Journal télévisé, en cette veille de Fête nationale. Et précisément parce que, à la différence du soldat mentionné plus haut, nous n’avons aucune raison d’être fiers du politique responsable de nos troupes, le sieur Longuet.
Celui-ci nous a d’abord administré un pensum, expliquant laborieusement qu’en embrassant la carrière des armes, les militaires sont conscients de pouvoir être amenés à faire le sacrifice de leur vie. Peut-être. Mais si la plupart choisissent ce métier par inclination ou par tradition familiale, d’autres le retiennent comme outil de promotion sociale ou faute d’autre possibilité d’emploi. J’ai donc trouvé inconvenant un discours dans lequel j’ai entendu en sourdine : « ils avaient bien accepté les risques ».
Notre respectable orateur a aussi laissé échapper quelques perles. Il a émis un oxymore assez intrépide, désignant les talibans comme « un agresseur sur la défensive » et commis un pléonasme en parlant d’« une guerre civile interne». Mais ce ne sont là que broutilles, survenues dans une bouche visiblement submergée d’émotion après l’attentat suicide qui, le même jour, avait tué cinq de nos soldats et en avait blessé quatre autres.
Cet immense politique a en effet déclaré : « nous sommes partis [en Afghanistan] en 2002, c’était d’ailleurs Lionel Jospin, premier ministre … ». Je traduis ce rappel de deux façons : selon l’excuse enfantine mais constante de nos gouvernants, « c’est pas moi, c’est l’autre », entendez « ce sont les socialistes qui nous ont jetés dans ce bourbier » ou bien, plus unitaire, « vous voyez bien, les socialistes avaient réagi comme nous». Le malheureux ne s’aperçoit pas qu’il souligne ainsi qu’en un temps pas si lointain, la politique de la France était conduite par le chef du gouvernement et non, comme depuis un funeste mai 2007, par le seul président de la République.
Mais il y a pire. Contrairement à ce que semble croire notre ministre de la défense, les soldats qui sacrifient leur vie ne le font pas pour M. Jospin ou pour M. Sarkozy, mais pour notre patrie, la France, et il est de la plus extrême indécence de revêtir la politique étrangère de notre pays de couleurs partisanes. Et c’est ce qu’avait affirmé avec force le prédécesseur de M. Sarkozy, Jacques Chirac, en 1995, lors d’une commémoration de la rafle du Vel d’Hiv : « ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’Etat français ».