Interview de Mamadou Koulibaly

Publié le 15 juillet 2011 par Unmondelibre

Le 15 juillet 2011 - UnMondeLibre : Professeur Mamadou Koulibaly, vous venez de démissionner du Front populaire ivoirien (FPI) et de créer un nouveau parti, le LIDER, Liberté et Démocratie pour la République. Pourquoi cette évolution ? Est-ce seulement à cause du fonctionnement du FPI ou aussi parce que vos idéaux de liberté ne cadraient sans doute pas bien avec un parti d'obédience socialiste ?
Mamadou Koulibaly : L’environnement politique ayant évolué ces derniers mois en Côte d’Ivoire, le FPI se retrouve maintenant dans l’opposition. Sachant que le pouvoir d’Alassane Ouattara s’oriente vers une hyper présidence qui s’éloigne de l’état de droit, une opposition forte est nécessaire en Côte d’Ivoire. Dans ce contexte, mes camarades du FPI refusent un congrès-bilan et excluent tout changement, toute évolution même indispensable, qui pourrait, selon eux, les affaiblir. Ils s’abritent derrière le prétexte que tout changement serait assimilable à une traîtrise envers des camarades emprisonnés ou exilés, il n’en demeure pas moins que cette inertie condamne les Ivoiriens à un pouvoir fort sans le contre-pouvoir qu’un parti d’opposition se doit d’exercer dans une démocratie. En tant que libéral attaché à la démocratie et à l'économie de marché, j’évalue justement la place importante d’une opposition forte pour freiner l’oppression d’un pouvoir présidentialiste absolu. Ainsi, c’est pour jouer ce rôle dans l’intérêt des populations ivoiriennes que j’ai créé LIDER.
En ce qui concerne l’avancée idéologique, ce nouveau parti politique va s’atteler à inscrire en Afrique des idées de liberté car nombre de dirigeants africains dits libéraux appliquent des politiques totalement étrangères au libéralisme ce qui fait dire aux populations que ce modèle est un échec. Il faut redonner vie à ces idées, les promouvoir, les mettre en valeur et leur donner un contenu pour sortir de la fiction. La liberté n’est pas un vaste concept réservé aux pays riches, c’est une solution contre la pauvreté. A travers l’influence de LIDER, je suis persuadé que ces idées vont avancer et que les populations vont sortir du carcan du défaitisme qui consiste à croire que l’avenir repose sur la soumission à l’aide publique internationale. Cette quête a également motivé mon choix de départ du FPI.
UML : Vous avez lancé l'année dernière un think tank, Audace Institut Afrique, qui promeut les idéaux de liberté. Quels sont les grands axes de réflexion de votre institut ?
MK : Nous travaillons à promouvoir le libéralisme c’est à dire les libertés et les droits des individus, l’économie de marché, l’entreprise privée, la propriété privée sur le fondement d’un état de droit sachant que les libertés ne peuvent s’exprimer et s’accroître qu’à travers un cadre institutionnel adapté. Les pays les plus avancés sont ceux qui font la promotion de ces valeurs et de ces principes, ce ne sont pas ceux qui ont les plus grands hommes politiques. Il est important de redonner une place à l’homme en diminuant la taille des États qui, singulièrement en Afrique, sont omniprésents et trop dirigistes. Il faut que les populations comprennent qu’elles ne peuvent pas tout attendre de l’État mais qu’elles doivent faire confiance à leurs talents. Pour cela il faut un cadre institutionnel qui leur permette d’entreprendre facilement. Ce sera d’ailleurs le sujet central de réflexion d’Audace Institut Afrique en 2012. Cette année, nous avons essentiellement travaillé sur l’audit de la liberté économique en Côte d’Ivoire. L’autre sujet de recherche de 2011 a porté sur l’intérêt du régime parlementaire dans le pays et en Afrique. Les résultats seront publiés au cours du second semestre.
UML : Même si la vie intellectuelle et la vie politique sont séparées, on peut imaginer que les réflexions menées dans le cadre de l'Institut alimenteront les politiques défendues par votre nouveau parti. Comment mettre en œuvre ces idées ? Est-ce si simple politiquement ?
MK :
Effectivement, Audace Institut Afrique, think tank libéral, produit des idées sur la base d’échanges et de travaux de recherche. Ces idées entrent totalement dans la vision de LIDER et seront la base même de son programme politique. Cela dit, AIA n’est pas la chasse gardée de LIDER. L’institut n’a pas comme certains groupes de pensée le culte du secret. Nous œuvrons même à totalement démocratiser les idées. Elles sont à la disposition de tous et sont disponibles et gratuites sur le site internet : http://www.audace-afrique.net.
La mise en œuvre de ces idées relève essentiellement de la volonté politique. Les intellectuels habituellement n’aiment pas le libéralisme car c’est un modèle qui place l’homme au centre du développement en tant que maître de sa propre vie alors qu’ils sont plutôt rassurés par un État interventionniste qui prétend pouvoir améliorer l’ordre en planifiant ou organisant l’économie. C’est une grave erreur. L’intervention de l’Etat, que ce soit par la réglementation des prix, la confiscation des profits ou le détournement de l’épargne par l’investissement public, fausse les signaux de telle sorte que l’esprit d’entreprise ne va plus là où il serait le plus utile - sans compter que ce modèle favorise la corruption et le recours à une aide publique internationale aliénante. Le modèle libéral part du principe que c’est l’homme qui est le mieux habilité à créer sa richesse. L’État ne doit faire que ce qu’il est seul à pouvoir faire : la défense collective, la police et la justice, garantissant ainsi la sécurité et la propriété. Aucun développement durable n’a jamais eu lieu sans la responsabilisation des personnes par la propriété. Ce sont les pays qui ont protégé la libre entreprise qui ont pu se tirer hors de la pauvreté. Sans entrer dans les pièges du mimétisme, l’Afrique ne devrait pas refuser de copier les bons principes tout en les adaptant aux spécificités locales. Une fois ces principes adoptés, les forces du marché feront le reste. La principale difficulté réside dans la volonté des dirigeants d’embrasser cette vision d’une société de liberté et de progrès.
Interview réalisée le 13 juillet par UnMondeLibre.