Max | Théâtre de rue, théâtre de vie, théâtre tout court

Publié le 16 juillet 2011 par Aragon

Ils sont quatre. Je les vois de loin. La place est gonflée de monde. Elle enfle comme la houle. Des rires déjà. Des enfants, plein. Tout public, un monde fou. Et le grand soleil au rendez-vous.

J'essaye de m'avancer, puis je me fige, figé par ce que je vois, qui me saute aux yeux, qui saute partout en moi, sur moi. Je regarde. Je me rends compte que j'ouvre ma bouche, que quelque chose se passe en moi en passant à travers moi. Ils sont quatre.

Un tout petit rideau noir tendu.  Décor de bric et de broc. Quatre placards à vêtements qu'on trouve dans les usines et les bahuts. Un improbable rideau roulant-ascenseur. Un visage apparaît dans le haut d'un placard. Un corps est remonté par l'ascenseur. Une fille habillée comme Yolande des Deschiens fait des claquettes, puis va entreprendre l'ascension d'une fine planche pour se jucher en haut des placards. Des bâtons en l'air : jonglés. Des corps tendus contorsionnés. Des mains, également tendues vers le public, vers le soleil. Ils sont quatre comédiens habités. Ensoleillés.

Pendant près d'une heure le spectacle durera. C'est pas du copiage, oh ! non. C'est mieux que ça, aux antipodes de  l'imitation "d'un autre". C'est de la parenté avec les Deschiens, avec Tati, avec de Funès, avec Shirley & Dino. Incroyable leur "travail". Quelle réussite : prouesse, sensibilité, émotion, performance physique, sens du corps, de la parole juste, minimale, tout y est... La musique souligne justement, très justement, tout ça. "Ils", ce sont la Cie Silembloc et leur cirque "Autoblocant". "Ils", ça a des noms : c'est Audrey, Baptiste, Max et Bertrand. Et je leur dit CHAPEAU les artistes, CHAPEAU les comédiens !!!

C'était à Hastingues (Landes) le jour du 14 juillet. Y'avait plein de fous qui défilaient pour la bonne cause dans ce village ancestral.  Un monde fou. La cause de la vie. La cause du plaisir. La cause du juste jouir de tout ça justement. La juste cause. La seule qui vaille !

Y'a 25.000 ans que ça dure à Hastingues, que les gens font les fous, depuis le Paléolithique. Des artistes quoi ! Tiens, par exemple l'amoureux fou qui a gravé ici sur un bout de défense de mammouth, sur sa toute fine pointe, la plus extraordinaire représentation de greluche de tous les temps : La Dame à la Capuche dite encore Dame de Brassempouy, pour aller ensuite malencontreusement la paumer en allant rendre visite à son cousin qui habitait la grotte du "pape" (du sorcier) à Brassempouy.... L'était sacrément amoureux le mec pour faire pareil chef d'oeuvre. Donc à Hastingues et dans la région y'a  toujours eu des artistes.

Le 14 juillet c'était le 13ème festival "La parade des 5 sens". Magnifique programme alliant poésie, animations diverses, théâtre, spectacle de rue, chanson, boustifaille locale (hmmm ! la ventrêche grillée).

J'aime ces festivals qui envahissent les rues des villes et des villages. La vie s'insinue ainsi par tous les pores des granges et des maisons, inertes jusqu'à lors. Villages trop souvent en apnée, villages de plus en plus déshabités. Jeudi à Hastingues, tout était habité. On est là stupéfait sur la grande place du village : La vie est là. Le soleil innonde tout, les maisons et le coeur des gens.

Avec Valère on est aussi dans la vie. Dans la parole retrouvée. La scène remplace de la même manière la place centrale d'Hastingues. La vie est là. Incroyable Novarina ! En allant rejoindre les amis à Dax pour une répétition, je tombe "par hasard" sur ça en allumant ma radio, dont je vous fais cadeau plus bas, en disant MERCI infiniment à France Inter pour la qualité de ses émissions, ses rediffusions, car s'en était une et surtout la possibilité de réécouter à l'infini ce qui nous plaît, que l'on a trouvé, que l'on a glâné sur les ondes...

Extrait de l'émission : Valère dit : " Quoi... quoi... quoi... Pourquoi on est acteur ? Mais parce qu'on ne s'habitue pas à vivre dans le corps imposé, dans le sexe imposé, chaque corps d'acteur c'est une menace à prendre au sérieux pour l'ordre dicté au corps, pour l'état sexué et si on se retrouve un jour dans le théâtre c'est parce qu'il y a quelque chose qu'on n'a pas supporté. Dans chaque acteur il y a - qui veut parler quelque chose comme du corps nouveau - une autre économie du corps qui s'avance, qui pousse l'ancienne imposée."

Le Théâtre des paroles, lettre aux acteurs... (extrait)

Que c'est beau la vie, Dieu que c'est beau et juste quand l'oiseau chante dans nos têtes, quand il déplie ses plumes, déploie ses ailes, quand sa présence imbriquée en nous fait qu'un jour nous prenions enfin, nous aussi, notre envol. Quand dans son bec résonne le chant de Valère, ses mots aidants, ses mots stimulants, ces simples mots : "... qu'il n'y a que cette conscience d'un autre en nous..."

lien pour un petit supplément de la Cie Silembloc : http://www.myspace.com/silembloc/photos