Installation sonore - l'effet sharawadji par décor sonore

Publié le 16 juillet 2011 par Desartsonnants

DÉCOR SONORE

FESTIVAL LA STRADA À GRAZ

Sharawadji Effect - Une création de Michel Risse pour le festival La Strada 2011

Installation sonore - spectacle

Du 29 juillet au 6 août 2011, pendant les 9 jours et 9 nuits du festival La Strada à Graz, le compositeur Michel Risse et la compagnie Décor Sonore transforment les 43 lampadaires de la Jakominiplatz en un jardin invisible de 43 fleurs sonores en perpétuelle éclosion. Dérive presque imperceptible du paysage sonore, rencontres sans rendez-vous avec des passants danseurs et musiciens, correspondances entre le paysage sonore, les corps et les signes graphiques. 

La Jakominiplatz est par excellence un non-lieu de spectacle : dans ce nœud de toutes les lignes de transports en commun, on n’arrive que pour repartir au plus vite, emporté par un bus ou un tramway. Mais pour qui sait ralentir sa perception du monde et traverser le miroir, c’est un lieu de représentation permanente, un « jardin Sharawadji » urbain.

Pour organiser ce « gracieux désordre », Décor Sonore s’adjoint la collaboration artistique de deux compagnies françaises parmi les plus inventives et représentatives de la rupture avec les codes habituels du spectacle vivant : la compagnie Jeanne Simone dans le domaine de la danse contemporaine, et Ici-Même (Paris) dans celui des chroniques du devenir urbain.

Jakominiplatz, un lieu pour aller ailleurs

Lorsque Werner Schrempf m’a amené, à plusieurs reprises, sur la Jakominiplatz, c’était pour assister à un spectacle invisible. Invisible, mais permanent pour qui prend le temps de ralentir, de contempler, d’écouter, d’entrer dans cette forêt de lampadaires comme dans une autre dimension, et se laisser gagner par « l’effet sharawadji ». Michel Risse

La Jakominiplatz n’est pas un lieu de promenade, d’exposition ou de spectacle. C’est un lieu de passage. Un lieu pour aller ailleurs. Un espace transitoire.

Tout y apparaît contraire à la possibilité de « spectacle » ou de « concert ». Dans les perspectives confuses de cette forêt de lampadaires, dans ce trafic incessant de véhicules et de piétons, aucun espace, aucun temps favorable à un rassemblement de public. On ne va pas sur la Jakominiplatz pour y rester, mais avant tout pour aller ailleurs.

Ce sont donc des conditions idéales pour rompre avec les codes de consommation de l’art, pour ouvrir momentanément des « fenêtres d’inattendu », des zones d’ambiguïté, de traversées du miroir, dans lesquelles nul n’est certain que rien ni personne n’est « comme d’habitude », et qu’après tout l’ordinaire peut être décidément bien étrange…

Paysage sonore et effet Sharawadji

Que sera le compositeur du futur ? Je le vois plutôt comme une sorte de « jardinier acoustique », en charge de l’équilibre et de l’harmonie du paysage sonore de ses contemporains. Ou encore comme un architecte, plus préoccupé de réaliser des constructions vivantes et habitables que de signer des œuvres formelles et définitives.

Notre paysage sonore urbain ressemble davantage à une friche, un chantier ou un terrain vague qu’à un jardin. Ni à un jardin public, bien propre et fleuri, ni même à un jardin ouvrier, avec ses rangées de légumes, encore moins à un « jardin à la française », triomphe de la « culture » sur la « nature », triomphe de l’ordre sur le hasard, comme on peut l’admirer à Versailles par exemple.

Or, c’est en contraste avec cet ordonnancement parfaitement géométrique du paysage qu’au XVIIIème siècle, des voyageurs européens furent frappés par la beauté inexplicable des jardins d’Orient, dont l’harmonie n’obéissait à aucune règle apparente, et qu’ils en rapportèrent le terme « sharawadji » pour désigner une heureuse asymétrie, un « gracieux désordre ».

Récemment réintroduit en philosophie (1976, Louis Marin) et en esthétique sonore (1995, J-F Augoyard & H. Torgue), « le beau Sharawadji s'affirme par contraste avec la banalité dont il est pourtant issu. (…) Si la matière sonore qui suscite l'effet sharawadji reste à l'appréciation de chacun, dans un contexte donné, les paysages sonores et tout particulièrement les paysages sonores urbains peuvent, par leur imprévisibilité et leur diversité, le favoriser ».

Bref, « l’effet Sharawadji » n’existe que s’il reste inexplicable, et ne peut survenir que par surprise…

Pour être surpris, il suffit de ne rien attendre

Le projet n’est pas de créer du spectacle, de réunir des foules et de partir à la pêche aux applaudissements. Les repères ordinaires du spectacle (avec son prologue, son récit, ses conventions et son final obligatoire), sont contraires à l’effet sharawadji. Tant mieux, car sur la Jakominiplatz, tout est contraire à l’installation d’un spectacle : les espaces sont transitoires, traversés de voies de circulation, hérissés d’obstacle à la vue et la représentation. Ici, pas de représentation, que des présentations. On passe, on attend son tram ou son rendez-vous, on s’en va ; à l’inverse du théâtre ou de la galerie, où l’on est convoqué en un lieu et un temps bien déterminés, et où l’on « s’attend à être surpris ».

Mais comment provoque-t-on l’effet sharawadji ? Comment apprivoiser le hasard, l’état de grâce ? Organiser le chaos, mais sans ordre apparent ? (l’anarchie harmonieuse, enfin !).

La Jakominiplatz n’est pas un jardin ni une galerie ni un théâtre ; c’est une forêt de pylônes, de lampadaires et de signaux, une gare à ciel ouvert. Et la première règle imposée est de ne pas perturber le trafic, qui doit fonctionner normalement.

C’est donc la juste pincée d’anormalité qui peut provoquer l’effet sharawadji. La correspondance imprévue entre un signe et un autre, le petit glissement des sens et du sens qui fait douter. Douter que le passant qui attend son tram est peut-être un personnage mis là exprès pour vous, que la cloche du tram est plus gaie que d’habitude (à moins que ce ne soient les sons alentour qui la rendent si malicieuse ?), douter que le panneau de signalisation soit possible à interpréter, ou alors comme une œuvre d’art. C’est justement parce que l’on attend rien, que l’organisation de ce « gracieux désordre » se fait sans que l’on puisse le voir.

Une création sonore unique et contextuelle

Le dispositif essentiel de ce « jardin Sharawadji » est une installation sonore de 43 points de diffusion. L’ensemble compose un paysage sonore en filigrane, se mêlant au paysage réel sans le masquer, mais au contraire en le révélant par de nouvelles perspectives sonores.

C’est avec cette trame que vont se tisser tous les événements imprévus survenant sur la place et les actions introduites par Décor Sonore :

Un laboratoire mobile d’exploration sonore : Jérôme Bossard, Damien Boutonnet (percussions), Kistof Hiriart (vocaliste), Stéphane Marin (musicien mélangeur) ausculteront le mobilier urbain grâce à un système d’amplification mobile. Mêlés aux voyageurs en transit, ils s’intéresseront au son des objets du mobilier, en feront ressortir les harmonies musicales par le geste instrumental et la voix dans des concerts instantanés.

Z, chronique graphique Sharawadji, par Ici-même (Paris) : Mark Etc, Nataska Roublov, Nicolas Lavergne.
Assiégée d'informations visuelles sous sa canopée de candélabres, la Jakominiplatz désoriente et étourdit les yeux. Et cependant, au promeneur attentif, il apparaîtra que quelque chose change… C'est que des jardiniers Sharawadji cultivent les lieux et proposent un jeu d'observation graphique autour d'un motif. Signaux imposants, signes mobiles, signes lointains, signes de la main ou encore rayures subtiles… Saurez-vous tous les débusquer ?
Hasard objectif ou composition concertée, l'effet Sharawadji questionne les logiques d'organisation des signes quotidiens et rappelle aux visiteurs combien la taille ou l'ampleur ne font pas la valeur. Ainsi par exemple, dernière en alphabet, une lettre peut se révéler ailleurs primordiale. Il y a du Zorro, du justicier masqué à ce jeu-là.

Une partition décalée de l’espace et de ses sons, par la compagnie Jeanne Simone : Laure Terrier, Nathalie Chazeau, Mathias Forge.
Fidèle à son approche très contextuelle de la danse, la compagnie Jeanne Simone propose des moments chorégraphiés où le corps quotidien se décale vers le corps dansant. Le trio travaille avec les corps, l’espace, le mouvement, mais aussi avec le son et les objets. Dans un ballet toujours inattendu, il mettra en scène la place et ses usagers, l’acte physique d’écouter son environnement, et mettra en corps les pictogrammes omniprésents de la place.

Des apparitions Incognito des habitants, personnels d’entretien de la ville, des transports, artistes du festival La Strada, chorégraphiés et « remixés » par Décor Sonore.

Informations pratiques

Dates : Du 29 juillet au 6 août, jour et nuit.

Lieu : Jakominiplatz à Graz (Autriche)

Compositeur : Michel Risse

Artistes : Michel Risse, Jérôme Bossard, Damien Boutonnet, Kristof Hiriart, Stéphane Marin ; Mark Etc, Nataska Roublov et Nicolas Lavergne de la compagnie Ici-Même (Paris) ; Laure Terrier, Nathalie Chazeau et Mathias Forge de la compagnie Jeanne Simone

En savoir plus sur le festival La Strada de Graz

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