Al Jazeera : quel modèle de TV internationale ?

Publié le 16 juillet 2011 par Fmariet

Claire-Gabrielle Talon, Al Jazeera. Liberté d'expression et pétro-monarchie, Paris, PUF, 2011, 286 p., Bibliogr.
Dans la télévision internationale, l'événement majeur de ces dernières années est, sans conteste, la percée de la chaîne qatari de langue arabe, Al Jazeera. Dénoncée parfois comme chaîne terroriste, elle sera accusée d'etre liée à Al Quaïda dont elle aurait relayé les vidéos après le 11 septembre 2001. En 2011, son existence s'est quelque peu banalisée. On la voit même pénétrer le marché américain à l'occasion de sa couverture du "printemps arabe" et prendre des participations financières dans le football français (non sans réticences locales).
Al Jazeera, chaîne d'Etat, est lancée en 1996 par l'émirat de Qatar, auquel elle appartient. Contrairement aux autres chaînes pan-arabes (off-shore) qui diffusent des programmes de divertissement depuis l'Europe, Al Jazeera diffuse de l'information internationale en continu depuis Qatar (on-shore). Elle émet une diversité, relative, de points de vue politiques, culturels ou religieux et met fin au monopole saoudien dans les médias arabophones (groupes Orbit, Rotana, MBC, ART). Al Jazeera constitue désormais un groupe diversifié d'une dizaine de chaînes (sport, politique, information continue, enfant, documentaires). Du côté français, Lagardère participe au développement de Al Jazeera Children (JCC) mais, surtout, en 2011, Al Jazzeera Sport, a répondu à l'appel d'offre pour les droits audiovisuels de la Ligue 1 de football  (LFP, 2012-2016), et négocie avec Orange le rachat d'Orange Sport. De plus, Al Jazeera Sport a repris l'équipe de football professionnel du PSG qui passe sous contrôle qatari (70%). Al Jazeera, fort de ces actifs, lancerait Al Jazeera Sport en France en 2012.

La une d'un hebdomadaire sportif 11 juillet 2011


L'ouvrage de Claire-Gabrielle Talon, arabisante, est issu d'une thèse de sciences politiques, soutenue en 2006. L'essentiel des résultats proviennent d'analyses d'entretiens avec des cadres et journalistes de la chaîne ainsi que d'analyses de contenu des émissions diffusées par la chaîne. Outre une description méticuleuse de l'environnement et de la dépendance économique de la chaîne (Qatar, "Etat rentier", dont l'économie est fondée sur le pétrole et le gaz, etc.), elle laisse entrevoir les rouages politiques de la dynastie qatarie (clientèlisme, oligarchie, religion). Elle dégage ainsi l'originalité et le paradoxe de cette chaîne pluraliste émanant d'une nation qui ne l'est pas. Etudiant les discours de la chaîne, l'auteure les replace dans le cadre global des théories du discours journalistique et de leur histoire occidentale, invitant à élargir la réflexion sur des questions telles que l'objectivité, l'internationalisation, le rôle de la langue...
Cette étude approfondie du cas Al Jazeera débouche ainsi sur une réflexion plus générale sur les médias. Livre rafraîchissant, important pour désethnocentriciser notre vision tellement réductrice des médias télévisuels et du journalisme. Comment, dans cette perspective, se distingue, par exemple, France 24, qui émet aussi en arabe ?
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