“Trois fois 20 ans” de Julie Gavras

Publié le 18 juillet 2011 par Boustoune

Quand on est jeune, on est insouciant. On pense qu’on a toute la vie devant soi, qu’on sera éternellement beau, dynamique, plein d’entrain…
Un beau jour, on réalise qu’on n’a plus vingt ans, mais le double… On se dégarnit ou on voit apparaître des cheveux blancs. Des rides viennent marquer nos visages. On se fatigue plus vite, on n’a plus toujours l’énergie pour faire des nuits blanches. On est davantage soumis au stress de la vie active. Mais, dans la plupart des cas, on ne voit pas le temps passer. Parce que, justement, on est accaparé par le travail, la vie de couple, l’éducation des enfants, le paiement des différentes factures…
Et puis, sans crier gare, on réalise qu’on n’a plus vingt ans, mais le triple… On se dégarnit encore plus, les cheveux sont encore plus blancs. Les visages sont encore plus ridés, marqués par le poids des années. On se fatigue encore plus vite et on n’a plus la même patience qu’avant. Les enfants sont partis vivre leur vie, la vie de couple est plus routinière, l’activité professionnelle cède la place à une retraite bien méritée ou ralentit pour que d’autres, plus dynamique, prennent le relais. Ce qui laisse plus de temps pour constater, effarés, la vitesse avec laquelle le temps défile, et la brièveté de nos existences…

Dans Trois fois 20 ans, Julie Gavras dresse le portrait de Adam & Mary (William Hurt et Isabella Rossellini), deux sexagénaires qui n’ont absolument pas vu le temps passer, trop occupés à gérer enfants, petits-enfants et parents âgés, à s’investir dans leurs métiers respectifs (elle, enseignante, lui, architecte) pour se voir vieillir.
Au détour d’une remise de récompense professionnelle attribuée à Adam – une médaille généralement attribuée à titre posthume ! – le couple réalise avec effroi qu’il appartient désormais a la catégorie des “seniors”.

Chacun réagit de manière différente.
Adam, à qui on demande justement de dessiner les plans d’une maison de retraite fonctionnelle et élégante, préfère focaliser son énergie sur le projet de musée que portent les jeunes loups de sa société. Il est atteint d’une sorte de fièvre jeune : il s’habille jeune, carbure aux boissons énergisantes, fait plein d’heures supp’ et sort le soir…
Mary, elle, essaie d’abord de résister en se mettant au sport – cruelles séquences d’aquagym où elle peine à suivre le rythme des jeunettes de vingt ans – ou en reprenant une activité professionnelle. Mais très vite, elle abdique devant l’évidence : elle n’a plus vingt ans et doit se préparer au troisième, voire quatrième âge… Elle fait équiper l’appartement de rampes pour personnes âgées, achète un téléphone à grosses touches, organise des réunions de seniors…

Evidemment, la deuxième jeunesse d’Adam et la prévoyance vermeille de Mary, le clash est inévitable…
Leur couple va-t-il, comme tant d’autres, se retrouver brisé par ce changement de cap difficile?
Réponse à la fin de cette comédie romantique inhabituelle, puisque jouée par des acteurs sexagénaires, et qui respecte pourtant à la lettre les codes du genre – amour, complications, séparation, reconquête.

Isabella Rossellini et William Hurt ont évidemment pris un coup de vieux depuis le bon vieux temps où ils étaient considérés comme des sex-symbols (elle dans Blue Velvet ou Sailor & Lula, lui dans La Fièvre au corps ou L’Oeil du témoin) mais ils possèdent encore tous deux un charme certain, jouant et se jouant de leur âge avec beaucoup de délectation.
Isabella Rossellini, surtout, est irrésistible, évoluant avec aisance entre gravité et fantaisie. Elle amuse autant qu’elle nous touche dans cette scène où elle teste ce qu’il reste de son pouvoir de séduction sur de jeunes hommes totalement insensibles à ses charmes ou quand elle sort furibarde du bureau d’une jeune grue cherchant honteusement à l’exploiter financièrement.
William Hurt bénéficie d’un rôle un peu plus ingrat, plus conventionnel. Il reste globalement convaincant, même si sa performance est un cran en dessous de celle de sa partenaire, et de ses propres rôles dans Au plus près du paradis ou The Yellow handkerchief. En tout cas, leur duo fonctionne bien. L’alchimie est réussie, ce qui est déjà un point à mettre à l’actif du film de Julie Gavras.

Sinon, il y a deux différences fondamentales avec les comédies romantiques hollywoodiennes habituelles.

La première est que le mélange est plus amer que sucré, ce qui est une bonne chose. On est loin de ces bluettes dégoulinant de guimauve écoeurante. L’aspect romantique est constamment relevé par une petite pointe de spleen, lié au vécu des personnages, à leur lucidité face aux ravages du temps. Et le scénario recense toutes les contraintes liées au vieillissement, alertant sur la nécessité de mieux intégrer les seniors dans une société où l’espérance de vie ne cesse d’augmenter tout en tentant de changer le regard des jeunes spectateurs sur les sexagénaires, bien plus vaillants et dynamiques qu’ils ne pouvaient le penser…

La seconde est que le rythme connaît plusieurs sérieuses baisses d’intensité, ce qui est plus embêtant.
Après un début plutôt réussi, Julie Gavras peine à conserver le même tempo tout au long du film. A l’instar des personnages, la narration ne tient pas le choc, s’essouffle, puis repart.
Du coup, plusieurs scènes tombent un peu à plat et plombent l’ensemble de l’oeuvre, dont pourrait dire, si on osait les comparaisons faciles – ce n’est pas le genre de la maison – qu’elle avance difficilement, avec une canne…

A l’arrivée, malgré toute la sympathie que l’on peut éprouver pour les interprètes et quelques belles idées de mise en scène de Julie Gavras (la scène de l’exposition, par exemple), Trois fois 20 ans ne nous laissera pas un souvenir impérissable. Oh non, pas sûr qu’on s’en souvienne encore quand on sera “vieux”… Dommage…

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Trois fois 20 ans
Late bloomers

Réalisateur : Julie Gavras
Avec : Isabella Rossellini, William Hurt, Doreen Mantle, Arta Dobroshi, Joanna Lumley, Hugo Speer, Simon Callow
Origine : France, Royaume-Uni
Genre : sixty candles
Durée : 1h28
Date de sortie France : 13/07/2011
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Critikat

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