Croisiere sur la cote dalmate et au montenegro

Publié le 19 juillet 2011 par Abarguillet

  

   Dubrovnik ( Photos Y. Barguillet )

Croatie et Monténégro - 2 au 9 juin 2011

Il y avait longtemps que je rêvais de faire en bateau la côte dalmate, ce littoral dentelé, escarpé et spectaculaire, qui se caractérise par ses 1185 îles au relief montagneux, séparées le plus souvent du continent que par d’étroits canaux. Une légende raconte que l’archipel des Kornati ne serait qu’une poignée de pierres que Dieu jeta dans la mer après avoir construit le monde. Et il est vrai que certaines d’entre elles ressemblent à des cailloux à fleur d’eau. Arrivés à Dubrovnik par avion, mon mari et moi embarquons le soir même sur « Le belle de l’Adriatique » après avoir suivi, depuis l’aéroport, une route en corniche époustouflante de beauté, nous jetant au visage une mer étincelante ponctuée d’îles aux rochers ocre et l’ancienne Raguse, vigie ceinturée de remparts que Lord Byron, à juste titre, qualifiait de « Perle de l’Adriatique ». On ne s’étonnerait nullement de voir apparaître, dans ce décor immobilisé dans le temps, les rames d’une trirème soulevées en cadence, portant sa cargaison d’amphores. Tout est paisible à cette heure du soir que le soleil déclinant pare d’un éclat indescriptible, au point que la main de l’homme et celle de la nature semblent avoir agi en une égale synergie pour parvenir à composer un paysage aussi attractif. Le résultat de cette union est l’un des coins les plus impressionnants et les plus magnifiques qu’il soit donné de contempler.

La fondation de la ville remonte à un passé lointain, presque légendaire, comme il convient à un lieu qui réunit toutes les qualités esthétiques, fondation qui correspondrait à la chute et destruction de la ville romaine d’Epidaure au VIIe siècle. Cette hypothèse serait confirmée par les fouilles archéologiques récentes. Dans les siècles de son âge d’or, Dubrovnik était une république typiquement aristocratique, dont le pouvoir était concentré entre les mains des nobles. C’est également une cité qui, tournée vers la mer, fut celle des navigateurs. Au XVIe siècle, ils étaient au nombre de 4000 et cinglaient vers les ports qui longent l’Adriatique et la Méditerranée, au service du commerce de minerai de plomb, d’argent, de sel et d’orfèvrerie produit dans les environs. C’est à cette époque qu’un tremblement de terre verra mourir plus de 5000 habitants et n’épargnera que les remparts. Si bien que la ville sera repensée et reconstruite mais, dès lors, l’ancienne Raguse ne retrouvera jamais complètement sa puissance passée. La Dalmatie sera annexée par Napoléon en 1806 ; puis l’empire Austro-Hongrois y étendra sa domination jusqu’an 1918, avant que la Croatie ne renaisse à elle-même après bien des conflits, des guerres et des épreuves en 1991.

Aujourd’hui se promener dans Dubrovnik est un pur bonheur. Définie par ses remparts, sa physionomie repose sur un solide système de fortifications qui l’enserre entièrement et lui confère cette allure altière, cette harmonie et unité incomparables, comme le ferait un écrin pour une perle précieuse. Car l’intérieur de la ville en est une, avec ses ruelles étroites à l’ombre bienfaisante, ses places fleuries aux pavés lustrés, ses toits de tuile hérissés de clochers, ses portes architecturées qui s’ouvrent sur de belles cours, ses rues voûtées où il fait bon flâner afin de découvrir, au hasard des pas, des palais, des fontaines, des puits, de nombreuses églises et cloîtres dont la sérénité tranche avec l’agitation bon enfant de la ville. On s’attarde un long moment sur la Placa pour y admirer la statue de Roland (celui de la chanson), la colonnade du palais Sponza, le pittoresque des façades, dans une atmosphère où tout n’est que luxe et beauté. La pierre blanche, la finesse de l’architecture font des monuments de véritables joyaux, comme si une plénitude d’élégance s’était à jamais fixée ici.

Après cette journée consacrée à la visite de Dubrovnik, notre bateau largue les amarres en direction de Mljet sur une mer qui, au long des siècles, vit confluer les navires conquérants et marchands, tour à tour hellènes, romains, byzantins, vénitiens, turques, petit paradis encore sauvage où Ulysse aurait été prisonnier de la nymphe Calypso et où nous allons faire une randonnée romantique sous une voûte d’arbres aux essences multiples et parmi le vol des papillons, avant de sauter dans une barque qui nous mènera à un monastère bénédictin oublié sur un îlot. Les moines construisirent jadis, au beau milieu de ce lac qui mêle eau douce et eau salée, une église, merveille de l’architecture romane consacrée à la Vierge, et entourée d’un jardin avec des vues ravissantes sur le lac d’un bleude smalt, ombré par des pins d’Alep.

Revenus à bord, alors que nous déjeunons, « La belle de l’Adriatique » prend la direction de l’île de Korcula, l’une des plus célèbres de l’archipel, où nous amarrons au cœur de la plaisante cité fortifiée qui ouvre ses ruelles rectilignes aux promeneurs que nous sommes, ainsi que sa chapelle Notre-Dame des Neiges, son musée des icônes, sa cathédrale Saint-Marc et sa maison dite de Marco Polo, où la légende veut que le navigateur naquît au XIIIe siècle, ce qui s’avère peu probable. Avec ses 47 km de long sur 6 à 8 de large, Korcula est la sixième plus grande île de l’Adriatique, nichée entre collines verdoyantes et mer azurée. Le soir nous attend un spectacle inattendu : « la danse des épées », exécutée par des hommes qui perpétuent une coutume vieille de quatre siècles. On y raconte le conflit qui opposa les Chrétiens aux Turcs. La fiancée du roi chrétien ayant été enlevée par le roi maure, celui-ci, épaulé par ses fidèles guerriers, se livre à un combat sans merci au rythme des cornemuses qui s’achèvera par la libération de la fiancée et sa victoire sur le ravisseur.

Nous passerons la nuit en navigation pour nous réveiller le lendemain en plein Adriatique, dans un dédale d’îles qui forme un véritable labyrinthe maritime, paradis des amateurs de voile. Ils y naviguent avec plaisir dans ce semis de rocaille lâché sur la mer et cette succession de paysages envoûtants qui nous admirons nous-mêmes depuis le pont-soleil, jusqu’à notre arrivée à Sibenik que l’on atteint à la suite d’un étroit goulet. Ici les roches composent d’impressionnantes corniches, ne concédant que parcimonieusement de la place à la végétation, et plongeant en à pic dans les eaux vertes ou bleues aux transparences inouïes. Et nous voilà à Sibenik, ville fondée au Xe siècle, dont les abords industriels nous arrachent un moment aux visions de cette navigation somptueuse. Il faut prendre le temps de descendre à terre, d’emprunter le court trajet qui conduit jusqu’aux ruelles tortueuses et aux escaliers qui mènent à la citadelle, pour apprécier cette cité pétrie d’histoire. Son vrai trésor culturel n’est autre que la cathédrale Saint Jacques construite de 1431 à 1535 par des artisans italiens et dalmates en styles gothique et Renaissance. Sa beauté et son élégance lui ont valu d’être inscrite sur la liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco. A la sortie, sur le parvis, des chanteurs croates nous donnent une aubade a capela de leurs voix chaudes et profondes qui me rappellent celles des Corses ou des Basques.

Depuis Sibenik, nous nous rendons au parc national de Krka, où les traces les plus anciennes témoignent de la présence de l’homme dès le paléolithique. Le long de la rive droite de la Krka subsistent des restes d’un aqueduc romain. Un sentier de promenade permet d’atteindre les impressionnantes chutes où l’eau rebondit en cascades sur un dénivelé de 46 mètres, eaux tumultueuses et spectacle grandiose qui favorisent une faune et une flore originales. On ne compte pas moins de 860 espèces et sous-espèces de plantes, 18 de poissons, 222 d’oiseaux dont 18 différentes de chauves-souris. Il faut imaginer ces hautes collines rocailleuses qui se resserrent afin de composer un étroit défilé, où l’eau s’engouffre en un flot ininterrompu et bruyant, cela dans un décor idéalement champêtre.

A notre retour au bateau, en fin d’après-midi, alors que le soleil s’abaisse sur l’horizon, départ pour notre navigation de nuit jusqu’à Trogir que nous atteindrons en début de matinée. Aussitôt arrivés et l’ancre jetée, les chaloupes sont mises à l’eau pour nous déposer sur l’île occupée par une attachante cité médiévale classée au Patrimoine Mondial de l’Unesco, tant elle recèle d’atouts avec ses maisons en pierre blanche, sa superbe cathédrale romane, joyau de l’art sacré croate, ses rues étroites enrichies de vieilles enseignes, de loggias à arcades, de porches moulurés, ses palais et son campanile d’inspiration vénitienne. Nous y musardons librement en une matinée chaude, appréciant l’ombre des rues, les échappées sur la mer, les quais du port le long desquels sont amarrés les bateaux dans une atmosphère d’un autre temps. Pendant que nous déjeunons, notre bateau effectue la distance de 26 km qui sépare Trogir de Split, où nous débarquons à 14h15 pour partir immédiatement avec notre guide, une jeune croate parlant un français impeccable, visiter la ville la plus grande de la Dalmatie avec ses 140.000 habitants et célèbre pour le palais que l’empereur Dioclétien y fit construire. Pendant dix ans, des légions d’architecte, des cohortes d’artistes et une multitude d’esclaves dessinèrent, taillèrent et ornèrent l’un des plus admirables édifices romains : un carré fortifié, type castrum, que Dioclétien entendait bâtir pour l’éternité, avec ses seize tours, ses quatre portes monumentales et ses murs de 25 mètres d’épaisseur. La pierre venait de l’île de Brac selon Pline l’Ancien, un calcaire ardent et dur, semblable à celui qui confère au rivage dalmate son austère beauté. L’ensemble pouvait abriter 2000 personnes et c’est là que Dioclétien, un simple soldat devenu empereur, avait choisi de finir ses jours après son abdication en 305 de notre ère. Se promener dans le vieux Split, c’est suivre le fil de deux mille ans d’histoire et se perdre dans un invraisemblable labyrinthe architectural, croiser des sphinx importés d’Egypte, s’asseoir au pied d’un campanile roman, parcourir les salles souterraines qui servaient d’entrepôts aux romains, admirer un péristyle, symbole parfait d’un heureux mariage de styles, et surtout entrer dans l’ancien mausolée octogonal de Dioclétien, transformé en église au VIIe siècle, la cathédrale saint Domnius, par une lourde porte à vantaux considérée comme l’un des plus belles de la sculpture médiévale et qu’animent 28 caissons relatant la vie de Jésus. L’ensemble est resté dans un état de conservation remarquable. Mais pour moi le clou de la journée sera le temple de Jupiter converti en baptistère. A l’extérieur le sphinx vient d’Egypte et à l’intérieur une belle statue en bronze de saint Jean-Baptiste est l’œuvre d’un sculpteur contemporain croate de grand talent : Ivan Mestrovic. Sur la côte dalmate, une centaine d’églises témoignent d’un relais désiré entre l’antiquité tardive et l’époque romane et du souci constant que la population a eu de témoigner de sa foi.

Le lendemain, arrivée tôt le matin à l’île de Hvar (prononcer Rouar), l’une des plus touristiques, volontiers considérée comme le St Tropez croate. Heureusement les touristes ne sont pas encore nombreux. Il fait beau, nous allons pouvoir baguenauder à notre guise dans ce lieu ravissant tapissé de fleurs sauvages, de lavande, de romarin et de bruyère et dont les chemins de promenade, qui conduisent tous à la forteresse espagnole, sont bordés d’agaves et nous offrent de somptueux panoramas sur la mer et les îles voisines. Des Grecs, venus de Pharos, fondèrent ici la première colonie, suivis par les romains qui implantèrent la vigne et les Vénitiens qui en firent un arsenal et l’un des centres intellectuels de la Dalmatie. Comme le vent s’est levé, nous ne pourrons pas faire escale à l’île de Vis, si bien que notre bateau va maintenant, durant la nuit, franchir les 70 km qui nous séparent des Bouches de Kotor au Monténégro, somptueux fjord dans lequel nous entrons au petit matin à travers une succession de baies blotties entre les flancs massifs des montagnes, dont les vagues viennent baigner les rives assoupies dans le calme et la mélancolie. Comment décrire de tels paysages et les sommets environnants qui fondent sous les rayons du soleil, alors que la mer devient d’un outremer intense et que se détachent deux petites îles, celle de la Vierge des Rochers et celle de Saint-Georges posées comme deux perles sur l’eau paisible, avant d’accoster à la ville de Kotor d’une beauté romantique et pittoresque. La paix de la mer, dans ce décor tellurique, a quelque chose d’extraordinaire, tandis que la cité propose à nos regards enchantés la succession de ses églises catholiques et orthodoxes, sa tour de l’Horloge, sa cathédrale saint Tryphon, ses palais, ses places, ses cafés, ses fontaines publiques, symbole de la sérénité intarissable de Kotor, et que l’on surprend le pittoresque des lieux à de nombreux détails : reliefs, portails, blasons, statuettes. Le schéma urbain s’est formé de manière spontanée, sans plan, de sorte que le centre de la ville repose sur un tissu complexe de ruelles sinueuses et de places irrégulières mais toutes séduisantes, délimitées par des façades majestueuses et charmantes.

Notre voyage s’achève. Le bateau reprend l’itinéraire inverse à travers les Bouches dans une lumière adoucie qui met l’accent sur les reliefs et décline la mer sur tous les tons de bleu. Nous atteindrons Dubrovnik vers 23 heures, au moment où la sublime citadelle illuminée rayonne d’un éclat rubescent. Demain, à l’aube, ce sera le retour en France après une semaine de croisière au long d’un littoralqui nous a permis de longer d’impressionnantes falaises, de découvrir d’étonnantes baies, d’aborder des îles qui s’étirent longues et étroites, parfois lunaires, mais le plus souvent couvertes de vignobles et d’une végétation exubérante de cyprès, de pins et de lauriers-roses typiquement méditerranéenne. La population de 4 millions et demie d’habitants est accueillante et nos guides ont toujours été à la hauteur et d’une gentillesse qu’il me faut souligner. L’histoire de ce beau pays peut se lire comme une longue marche vers une indépendance chèrement payée et, ce, au centre d’un damier de petits pays comme un trait d’union entre de nombreuses civilisations et cultures. Enfin reconnue en 1991, la Croatie est aujourd’hui une nation apaisée qui s’ouvre avec une volonté affirmée au tourisme.

DOVIDENJA & HVALA PUNO(au revoir et merci)