Sortir de la souffrance - Jacques Vigne (4/5)

Par Guimay

SORTIR DE LA SOUFFRANCE - (4/5)

Conférence de Jacques Vigne

donnée le 7 mars 2006 au Centre Culturel Alpha

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A propos de ce désir qui nous met dans le rouge, qui nous met dans les problèmes, dans le sens de l'enseignement du Bouddha et de la Bhagavad-Gita, il y a une histoire qui se raconte chez les Bouddhistes, mais aussi au Moyen-Orient, et en Inde, l'histoire d'un singe qui aimait beaucoup les bananes. Un jour il voit une banane au pied de son arbre et donc il saute dessus, mais quand il veut mettre la main dessus, il s'aperçoit qu'elle est prise dans une sorte de cage à oiseaux qui était rentrée en terre. Donc pour atteindre la banane, le seul moyen était de mettre la main en long pour saisir la banane. Et ensuite, quand il veut tirer la main, ça bloque évidemment. A ce moment-là, il entend des pas derrière lui, au fait c'était le chasseur de singes qui avait monté le piège, et qui arrivait tranquillement. Et il ne se pressait pas parce qu'il savait qu'un singe ne lâcherait jamais sa banane. Donc quand il est arrivé, il a pris le singe par la peau du cou et à ce moment-là le singe s'est dit : d'accord, j'ai perdu la liberté, mais je garde la banane, et alors le chasseur qui avait préparé son bâton lui donne un petit coup au niveau du nerf, à l'endroit du coude, et cela fait une douleur violente au singe qui est obligé de lâcher sa banane. Il avait donc perdu à la fois la liberté et la banane. C'est une histoire que j'ai racontée à des gens déprimés en hôpital psychiatrique, et j'avais vraiment l'impression qu'ils écoutaient, parce que parler de leurs malheurs, ils s'endormaient un peu à toujours répéter leur histoire clinique et leurs malheurs, mais quand on leur racontait cette histoire, ils réalisaient que c'était en rapport avec leur situation.


La dépression ça vient souvent d'un deuil qu'on ne veut pas faire, au sens très large, ce n'est pas forcément une personne chère qui est morte, ça peut être, comme je vous l'ai dit, une image de soi qui s'est effondrée, un projet qui s'est effondré, des choses plus subtiles, mais auxquelles on était très attaché, qu'on a perdues et qu'on ne veut pas accepter d'avoir perdues, et à ce moment-là on préfère rester dans la dépression. Alors, le Bouddha parle donc de la voie hors de la souffrance; bien sûr le yoga aussi, et comment cela peut se faire, comment par exemple la méditation peut amener hors de la souffrance. Si on prend par exemple comme cas typique une méditation qu'a enseignée le Bouddha, l'observation des sensations et leur claire vision, ce qu'on appelle donc en Pali, Vipassana. Comment ça se passe? On observe donc les sensations; une des méthodes, c'est de les observer dans chacune des parties du corps, puis après on s'arrange pour qu'elles ne diffusent pas. Comment cela se passe dans nos réactions émotionnelles habituelles? On a une sensation qui part dans une partie du corps, comme la colère. On se dit, celui-là, je lui donnerais bien un coup de poing et donc au début on serre le poing, ça c'est la sensation de base, mais après ça diffuse. On serre aussi la mâchoire, inconsciemment on se dit celui-là, je le mordrais bien, et puis il y a une tension aussi au niveau de l'abdomen, ça se noue au niveau du ventre. Et après, il peut y avoir des tensions aussi dans la jambe, en se disant je vais lui botter le derrière. Qu'est-ce que ce que ça veut dire? Ça veut dire qu'on a le début du geste pour lui donner un coup de pied et ça veut dire des tensions dans la jambe. Et tout cet enchaînement de sensations ça forme l'émotion colère. Le génie de certaines méthodes de Vipassana, c'est de partir de là et en stoppant les sensations là où elles sont, de couper en quelque sorte les enchaînements d'émotions. On pourrait dire qu'une émotion constituée, c'est comme un serpent qui se dresse en nous, et quand on apprend à stabiliser les sensations dans chacune des parties du corps les unes après les autres, en balayant le corps régulièrement, à ce moment-là, on coupera le serpent en rondelles de saucisson et il ne sera plus capable de mordre. Donc on laissera la sensation, on observera un début de tension dans la main, on verra que c'est lié à la colère, mais tout le reste du corps restera détendu, la mâchoire restera détendue, ventre détendu, jambes détendues, et donc la colère ne pourra pas se développer. Donc on peut prendre ça avec d'autres émotions, avec le désir, avec la peur, avec la jalousie, etc... et des émotions qui paraissent très abstraites, en fait on leur trouve des localisations dans le corps. Je ne dis pas que ce soient des localisations à chaque fois complètement différentes; entre jalousie et colère par exemple il y a chevauchement entre les deux émotions. La jalousie c'est de la colère contre le succès de quelqu'un d'autre et probablement, corporellement, il y aura des zones similaires. Aussi on peut changer la base de ses émotions avec cette méthode. Supposez, en fait c'est une réalité, je vous l'explique clairement, la colère par exemple, fait serrer la main. Donc en serrant la main, on stimule tous les muscles qui sont à l'intérieur de l'articulation bras. Supposez maintenant qu'on est dans l'inverse de la colère, on pourrait dire, c'est la patience, le don, on est capable de donner quelque chose, à ce moment-là, ça veut dire le geste inverse, la main qui s'ouvre. Donc pour ouvrir la main vous stimulez tous les muscles qui sont au dos de l'avant-bras et donc vous vous mettez à sentir le dos de l'avant-bras quand vous êtes relié à l'émotion du don. Si vous voulez changer l'émotion de colère en émotion de patience, de don, de générosité, il faudra apprendre à faire passer les sensations de l'avant à l'arrière, de la main à l'avant-bras. Ça c'est la méthode de base.

De même qu'on a des mouvements agonistes et antagonistes, de même on a des sensations agonistes et antagonistes. Quand vous faites ce mouvement de serrer le poing, donc vous contractez l'avant de l'avant-bras mais à l'arrière, il faut que ça soit relâché, sinon vous resteriez comme ça et vous ne pourriez ni ouvrir ni fermer. C'est toujours agoniste et antagoniste quand on serre les muscles pour faire un mouvement dans un sens; les muscles qui correspondent au mouvement complémentaire se détendent. De même si on a une émotion de colère, ça stimulera la peau d'un côté et ça fera un trou sensitif de l'autre côté. Donc les sensations aussi marchent par agonistes et antagonistes, et par exemple supposez, c'est une plainte quasiment constante des patients que l'on voit en psychiatrie, ils disent : j'ai de l'anxiété, j'ai un nœud ici et un nœud ici. Donc comment défaire ça, on va jouer sur les sensations agonistes et antagonistes et on leur dira par exemple, concentrez-vous au niveau des omoplates; à ce moment-là, ils s'apercevront déjà qu'ils ont du mal à sentir les omoplates parce que le courant des sensations est en quelque sorte dérivé dans ces deux canaux, un au niveau de la gorge et un au niveau du plexus. Et s'ils réussissent à la longue à sentir bien les omoplates, c'est comme un canal qu'on dévie et l'eau ira dans les omoplates et ça décongestionnera la gorge et puis le plexus. Donc ça, c'est une base de travail sur les émotions et c'est très puissant. Evidemment, il faut du temps pour mettre ça en route, mais une fois qu'on a compris le système, ça peut vraiment aider. Voilà donc pour faire le lien entre Vipassana et ce qu'on dit dans le yoga, c'est assez simple. La plupart des émotions négatives, ça nous rétracte, la peur, la colère, l'inhibition, la dépression, le chagrin, tout ça, on a tendance à se rétracter contre soi-même. La colère, c'est particulier, on a plutôt tendance à se cabrer vers l'arrière, mais en général, les émotions négatives, peur, chagrin, dépression, déception, ça amène à nous rétracter vers nous-mêmes; ça c'est un réflexe extrêmement ancien, évolutivement. Je ne sais pas si vous avez essayé de chatouiller un petit vermisseau qu'on voit par terre, immédiatement dès qu'il se sent touché ou menacé, il se met en boule. Lui aussi quand il a un stress, une peur, il commence par se recroqueviller sur lui-même. Donc on travaille beaucoup là-dessus en méditation; des milliers de fois on se recroqueville sur soi-même et des milliers de fois, on développe une capacité de se redresser, de revenir à la rectitude. Et la rectitude, c'est beaucoup plus qu'une attitude physique, c'est aussi une activité morale, une qualité morale et les deux sont liées, la rectitude de la position pendant la méditation et la rectitude dans la vie courante; à force de travailler sur la rectitude physique, on réussit à développer une rectitude mentale. On pourrait dire pour faire une formule, déplier le corps pour déplier l'âme. Quand on déplie le corps, on sent vraiment à la longue que l'âme aussi se déploie. A propos de déplier, de décoincer, il y a aussi une méthode très puissante du yoga - là je vais peut-être un peu trop vite. Je voudrais terminer avec cette notion des sensations, si le chagrin, la dépression, l'anxiété régulièrement nous amènent la sensation à la face antérieure du tronc, la manière de guérir tout ça, de sortir de la souffrance sera d'amener l'énergie dans le dos; et souvent aussi l'énergie part sur les côtés. Quand on craque, on part sur le côté, on dévie en quelque sorte et à ce moment-là pour retrouver la voie droite, retrouver son centre, il faudra ramener les courants de sensations à l'intérieur du dos, dans l'axe central. Et donc on retrouve ce qu'on dit en yoga, ramener tous les courants de sensations dans le dos, la shusumna, l'axe central, et ensuite faire monter au 3ème œil. Alors pourquoi faire monter? Finalement, c'est assez évident; tout le monde sait que quand on a des émotions instinctuelles, primitives comme la nourriture et le sexe, ça descend et même la colère. Il y a des expressions familières que je ne vous citerai pas et qui sont pas mal par-dessous, et donc la colère aussi c'est un coup de notre bassin, un coup au niveau inférieur. Donc en yoga, on cherche constamment à faire monter jusqu'au 3ème œil. Et quand même en sentant la base, donc on transforme l'énergie. Alors en Zen, on travaille sur le hara, en dessous du nombril; donc il y a déjà une première montée par rapport à la zone sexuelle et puis aussi on travaille beaucoup sur le fait de creuser les reins. En creusant les reins, on amène l'énergie de l'avant vers l'arrière et à ce moment là, du point de vue du yoga, ça permet qu'elle aille de l'axe médian à la colonne vertébrale. Et puis après en Zen aussi, rentrer le menton, rentrer la nuque, donc ça permet de continuer à faire monter l'énergie à travers la nuque et l'occiput; et puis on dit, poussez la terre avec les genoux, poussez le ciel avec la tête et donc en poussant le ciel avec la tête, ça amène l'énergie au-dessus.

Hakuin, le maître Zen qui avait eu quelques problèmes de réputation avec cette histoire d'enfant qu'on essayait de lui faire assumer, disait quelque chose de très simple dans une lettre à un de ses disciples; il disait : imagine que tu rassembles tous les sutras bouddhistes, tous les enseignements dans un petit œuf de caille; cet œuf de caille, mets-le sur le sommet de ta tête et ensuite prends ta posture et essaie de ne pas bouger pour que l'œuf de caille reste en équilibre au-dessus de ta tête. Et donc il revient à ce qu'on dit en yoga; on dit qu'il y a un lotus aux 1000 pétales sur le sommet de la tête et qu'il faut essayer de le faire s'épanouir. Donc c'est une gestion du corps subtil qui permet de faire évoluer l'individu. En psychopathologie, ou dans les émotions habituelles, il y a aussi une montée de l'énergie, mais elle part de travers. Quand on est en colère, on dit « la moutarde me monte au nez »; quand on a honte, on dit « le rouge me monte au front »; quand on est timide, on a peur aussi que le rouge monte au front. Donc, il y a aussi une montée de l'énergie, mais elle ne va pas vraiment vers le sommet de la tête, elle va dans le visage, elle se perd dans le visage. Quand on est en colère aussi, on serre souvent la mâchoire, donc elle va dans la zone inférieure du visage, alors qu'avec le yoga, on cherche plutôt à aller dans la zone supérieure du visage. Il y a une énergie qui monte aussi, mais elle va de travers. Vous savez sans doute qu'en psychiatrie le mot hystérie vient du grec utérus, et donc les Grecs pensaient que ces crises émotionnelles chez les femmes, chez les jeunes femmes en particulier, venaient du fait que l'utérus leur montait à la tête. Mais au fait, du point de vue énergétique yogique, ce n'est pas si bête que ça, il y a vraiment une énergie qui monte à la tête, qui monte de travers et qui donne des perturbations psychiques. Il y a même quelque chose dont il faut parler, pour être complet, c'est très important, c'est la notion de loi juste, de dharma. On cherche très souvent en psychologie à s'intéresser à ce qui se passe à l'intérieur de l'individu, et on laisse tomber le côté de ses actions parce que ça fait trop moralisant, ça fait trop curé. On dit : « qu'est-ce que tu as fait de bien, de mal ? ». Mais au fait, ça reste très important, bien que la psychologie essaie de se séparer de la religion; au fait il faut trouver un juste milieu entre les deux, et les actions qu'on a faites sont très importantes pour déterminer notre état mental actuel, notre état de dépression, de dynamisme actuel et il faut savoir donc corriger ses actions passées pour créer du bon karma, créer de bonnes actions pour remonter l'image de soi; et des tas de problèmes psychiques seront résolus.

(à suivre)

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Source texte : VIGNE Jacques. Conférence : sortir de la souffrance [en ligne] (page consultée le 19 juillet 2011). Adresse URL : http://amis.univ-reunion.fr/amis/index.php?option=com_jevents&task=icalrepeat.detail&evid=350&Itemid=83&year=2006&month=03&day=07&title=sortir-de-la-souffrance&uid=93cf60a1fd51491097c2677c27f38058

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Photo de Paco Flores dit Robot Monster

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