laisser les morts enterrer leurs morts

Publié le 22 juillet 2011 par Marx

Un texte de Denis Collindu site la sociale

Scandale sexuel, guerre des petites phrases, stupides provocations d’Eva Joly, riposte semi-xénophobe du premier ministre, tout est fait pour que les questions essentielles qui concernent les classes populaires, la jeunesse et l’avenir de la nation soient esquivées. En plongeant dans tous les pièges, les socialistes, embarqués dans l’aventure douteuse des primaires, préparent presque méthodiquement la remontée des intentions de vote de l’actuel président, voire sa réélection en mai 2012. Il n’est pas certain maintenant que le scénario-catastrophe d’un deuxième mandat pour Nicolas Sarkozy puisse être évité… Pour les observateurs de la vie politique italienne, il est clair que la longue domination du berlusconisme sur la politique de ce pays ne tenait pas aux qualités exceptionnelles du « caïman » (le nom sous lequel Nanni Moretti avait portraituré le premier italien) qu’à la faiblesse congénitale d’une gauche déboussolée, animée principalement par les vestiges décomposés du PCI, sous les noms successifs de Pds et de Pd. Mutatis mutandis, le sarkozysme pourrait bien bénéficier des mêmes circonstances favorables.

Plusieurs solutions s’offrent à qui refuse de voter idiot. La première serait de chercher un candidat « radical » qui permettrait au premier tour d’exprimer la défiance à l’égard du candidat socialiste (quel qu’il soit). Dans cette première catégorie se rangent tous ceux qui veulent soutenir la candidature du Front de Gauche, c’est-à-dire celle de Jean-Luc Mélenchon. Nous avons eu l’occasion d’exprimer ici nos réserves sur les flous et les erreurs du leader du PG. Il reste qu’il est une voix forte, avec un vrai talent oratoire et semble apte à faire entendre le point de vue traditionnel de la gauche face à un PS strauss-kahnisé jusqu’à la moelle, ainsi que nous avons pu le montrer. La deuxième solution consisterait à  tenir l’élection présidentielle pour un simple référendum contre Sarkozy et par conséquent de voter socialiste dès le premier tour, quand bien même les « primaires » désigneraient une chèvre pour représenter le parti de la rue de Solferino. Position politique réaliste, mais peu apte à convaincre tous ceux qui sont convaincus par le « tous pourris » ou qui cèdent au désespoir. La dernière solution serait tout simplement de délaisser ces élections, sortes de jeux du cirque qui ne présentent plus aucun enjeu politique réel, comme le donne à penser l’indistinction radicale des socialistes et de la droite face à la crise économique : entre Socrates, Zapatero et Sarkozy, il est bien difficile de dire qui a eu la politique la plus droitière. L’abstention serait ainsi, si elle devenait massive, un véritable mouvement antisystème, visant à priver de toute légitimation « démocratie », cette façade de république qu’est la Ve République, entièrement aux mains de l’oligarchie.   

Sans vouloir (ni pouvoir) trancher a priori entre ces trois hypothèses, il semble qu’on pourrait mieux les éclairer par quelques considérations plus générales sur les caractéristiques de la période.

En premier lieu, l’opposition entre la gauche réformiste et la gauche radicale est largement obsolète. Le PS peut difficilement être classé comme parti réformiste puisque les « réformes » qu’il envisage sont si modestes et qu’elles ne se proposent aucune transformation sociale sérieuse – pour mémoire rappelons que la gauche réformiste à l’ancienne se proposait d’aller au socialisme par des réformes graduelles et même, ô audace inimaginable aujourd’hui, par des « réformes de structure anticapitalistes ». De son côté la gauche radicale ne l’est qu’en parole. Elle ne propose rien de très différent des recettes du vieux réformisme. Le Front de Gauche, très timoré, ne propose ni la remise en cause des traités européens comme celui de Maastricht, ni la sortie de l’euro. Nous laissons de côté le NPA réduit aujourd’hui au vieux bastion des amis de Krivine qui combine, comme toujours depuis les années 60, la fièvre révolutionnariste la plus infantile et la capitulation devant les vieux appareils du mouvement ouvrier. Ces postures traditionnelles des deux « ailes » de la gauche ne correspondent plus à rien – si jamais elles ont correspondu à quelque chose. Là encore si l’expérience italienne peut nous apprendre quelque chose, c’est bien cela. Les dernières élections n’ont vu ni une poussée du centre-gauche (le PD) ni une poussée du pôle radical de l’ex-PCI (PRC, PDCI), mais la percée de candidats plus ou moins marginaux par rapport aux appareils. Ainsi Pisapia à Milan est certes un militant du PD, ex-communiste, mais plus nettement à gauche que l’ensemble de son parti et relativement indépendant de l’appareil. De Magistris, qui empêche Naples de retomber dans l’escarcelle de Berlusconi, est un militant de IDV (le parti de Di Pietro), mais plutôt très indépendant de la ligne centriste de son parti et favorable au « socialisme libéral » - dans le sens italien de l’expression qui renvoie au « parti d’action » et à Carlo Rosselli. Très populaire aussi, le gouverneur des Pouilles, Nichi Vendola, venu lui du PRC, réélu l’an passé, maintient des positions fermes sur le plan social et en même temps il propose systématiquement l’alliance aux autres partis de gauche et du centre-gauche. En France, malheureusement, nous n’avons ni Pisapia au PS ni Vendola au Front de gauche.

En second lieu, la vieille forme « parti » est morte et bien morte. Alors que la décomposition droitière du PS et l’existence peu discutable d’un large courant « radical » dans le salariat auraient dû profiter au PG, au PCF ou au NPA, on n’a rien vu de semblable. Le déclin du PCF se poursuit inexorablement et tant le PG que le NPA restent des partis réservés à une petite élite militante, incapables de mobiliser durablement les citoyens qui partagent leurs idées. Le PS n’est en rien un parti de masse, mais seulement un parti d’élus et d’employés des collectivités locales à direction socialiste… Les jeunes, en particulier, semblent, extrêmement réticents à s’engager dans des machines bureaucratiques où les chefs se cooptent et décident de tout en fonction de jeux d’influence obscurs et où la démocratie se résume à « cause toujours ! ». Le « parti de masse » hérité de la vieille social-démocratie de la fin du XIXe siècle était essentiellement un organe destiné à discipliner une classe ouvrière rebelle et méfiante à l’égard de l’action politique parlementaire, toujours conduite par les « beaux messieurs ». Il faut sur ce point lire et relire Les partis politiques de Roberto Michels, un livre écrit au début du XXe siècle qui permet de comprendre la réalité d’aujourd’hui. Le parti de masse s’est largement transformé en parti entrepreneurial, au service d’un chef (voir les analyses de Mauro Calise, http://la-sociale.viabloga.com/news/le-parti-personnel ) et ceci ne vaut pas seulement pour les « partis de gouvernement », mais se propage dans toutes les formations politiques, même les plus radicales, toujours à la recherche d’un « caudillo » ou d’un « lider maximo ». À l’opposé, les formes d’organisation « en réseau », fondée sur la communication horizontale et l’auto-organisation des groupes locaux, restent encore largement expérimentales même si elles ont fait la preuve de leur efficacité en Tunisie et en Égypte ou dans le mouvement des indignés en Espagne.

En troisième lieu, il faut prendre la mesure de ce qui s’est passé dans la jeunesse, à l’échelle internationale et dans notre pays. Dans les pays arabes, ce sont les jeunes, généralement diplômés, souvent « branchés » qui ont été à la pointe du combat. Mais c’est aussi le cas dans les mouvements de résistance aux politiques d’austérité en Espagne, au Portugal ou en Grèce. À l’inverse les meetings et manifestations organisées par les appareils traditionnels (syndicaux et politiques) rassemblent les plus âgés, plus disciplinés et plus prompts à rentrer dans le rang quand les chefs retirent le tapis (ainsi qu’on l’a vu lors du mouvement contre la réforme des retraites en France au printemps et à l’automne 2010. Or les jeunes générations sont réticentes (c’est le moins que l’on puisse dire !) à l’organisation à l’ancienne, aux discours pompeux des chefs géniaux ainsi qu’à la vieille phraséologie marxiste. Lucide jusqu’au cynisme, individualiste – mais ce n’est pas un défaut ! – et capable de grands élans collectifs, la jeune génération n’a pas grand-chose à voir avec les portraits méprisants qu’en dressent souvent les vieux revenus de tout qui peignent en rouge l’époque de leur jeunesse. Il est incontestablement plus intelligent et plus libérateur de refuser l’autorité des vieux partis que de sombrer dans la folie maoïste, castriste ou guévariste comme l’on fait tant de soixante-huitards – pour ne rien dire de « ceux qui sont passés du col Mao au Rotary », de la révolution au « dîner du Siècle ». Certes, les perspectives politiques immédiates sont loin d’être claires. De nombreux jeunes sont à la fois lucides et pessimistes (mais un pessimiste est souvent un optimiste bien informé !) parce qu’eux non plus ne voient pas d’issues et se tournent parfois vers les plus anciens pour y chercher des modèles, quête bien vaine, mais qui pourrait permettre que soient transmis une expérience et des outils théoriques.

Les divers groupes de la gauche radicale (trotskistes et Front de gauche inclus) sont voués à l’impuissance faute de comprendre la réalité  politique présente en ce qu’elle échappe définitivement aux schémas classiques, rabâchés jusqu’à la nausée depuis des décennies. Aussi nobles soient-ils, les appels à la tradition républicaine française ne semblent guère plus efficaces. Il faut laisser les morts enterrer leurs morts, comme le rappelait Marx au début du 18 brumaire de Louis Bonaparte. Il est temps de verser du vin nouveau dans outres nouvelles.

Par Denis Collin • Actualités • Mercredi 20/07/2011 • 2 commentaires  • Lu 116 fois • 

Scandale sexuel, guerre des petites phrases, stupides provocations d’Eva Joly, riposte semi-xénophobe du premier ministre, tout est fait pour que les questions essentielles qui concernent les classes populaires, la jeunesse et l’avenir de la nation soient esquivées. En plongeant dans tous les pièges, les socialistes, embarqués dans l’aventure douteuse des primaires, préparent presque méthodiquement la remontée des intentions de vote de l’actuel président, voire sa réélection en mai 2012. Il n’est pas certain maintenant que le scénario-catastrophe d’un deuxième mandat pour Nicolas Sarkozy puisse être évité… Pour les observateurs de la vie politique italienne, il est clair que la longue domination du berlusconisme sur la politique de ce pays ne tenait pas aux qualités exceptionnelles du « caïman » (le nom sous lequel Nanni Moretti avait portraituré le premier italien) qu’à la faiblesse congénitale d’une gauche déboussolée, animée principalement par les vestiges décomposés du PCI, sous les noms successifs de Pds et de Pd. Mutatis mutandis, le sarkozysme pourrait bien bénéficier des mêmes circonstances favorables.

Plusieurs solutions s’offrent à qui refuse de voter idiot. La première serait de chercher un candidat « radical » qui permettrait au premier tour d’exprimer la défiance à l’égard du candidat socialiste (quel qu’il soit). Dans cette première catégorie se rangent tous ceux qui veulent soutenir la candidature du Front de Gauche, c’est-à-dire celle de Jean-Luc Mélenchon. Nous avons eu l’occasion d’exprimer ici nos réserves sur les flous et les erreurs du leader du PG. Il reste qu’il est une voix forte, avec un vrai talent oratoire et semble apte à faire entendre le point de vue traditionnel de la gauche face à un PS strauss-kahnisé jusqu’à la moelle, ainsi que nous avons pu le montrer. La deuxième solution consisterait à  tenir l’élection présidentielle pour un simple référendum contre Sarkozy et par conséquent de voter socialiste dès le premier tour, quand bien même les « primaires » désigneraient une chèvre pour représenter le parti de la rue de Solferino. Position politique réaliste, mais peu apte à convaincre tous ceux qui sont convaincus par le « tous pourris » ou qui cèdent au désespoir. La dernière solution serait tout simplement de délaisser ces élections, sortes de jeux du cirque qui ne présentent plus aucun enjeu politique réel, comme le donne à penser l’indistinction radicale des socialistes et de la droite face à la crise économique : entre Socrates, Zapatero et Sarkozy, il est bien difficile de dire qui a eu la politique la plus droitière. L’abstention serait ainsi, si elle devenait massive, un véritable mouvement antisystème, visant à priver de toute légitimation « démocratie », cette façade de république qu’est la Ve République, entièrement aux mains de l’oligarchie.   

Sans vouloir (ni pouvoir) trancher a priori entre ces trois hypothèses, il semble qu’on pourrait mieux les éclairer par quelques considérations plus générales sur les caractéristiques de la période.

En premier lieu, l’opposition entre la gauche réformiste et la gauche radicale est largement obsolète. Le PS peut difficilement être classé comme parti réformiste puisque les « réformes » qu’il envisage sont si modestes et qu’elles ne se proposent aucune transformation sociale sérieuse – pour mémoire rappelons que la gauche réformiste à l’ancienne se proposait d’aller au socialisme par des réformes graduelles et même, ô audace inimaginable aujourd’hui, par des « réformes de structure anticapitalistes ». De son côté la gauche radicale ne l’est qu’en parole. Elle ne propose rien de très différent des recettes du vieux réformisme. Le Front de Gauche, très timoré, ne propose ni la remise en cause des traités européens comme celui de Maastricht, ni la sortie de l’euro. Nous laissons de côté le NPA réduit aujourd’hui au vieux bastion des amis de Krivine qui combine, comme toujours depuis les années 60, la fièvre révolutionnariste la plus infantile et la capitulation devant les vieux appareils du mouvement ouvrier. Ces postures traditionnelles des deux « ailes » de la gauche ne correspondent plus à rien – si jamais elles ont correspondu à quelque chose. Là encore si l’expérience italienne peut nous apprendre quelque chose, c’est bien cela. Les dernières élections n’ont vu ni une poussée du centre-gauche (le PD) ni une poussée du pôle radical de l’ex-PCI (PRC, PDCI), mais la percée de candidats plus ou moins marginaux par rapport aux appareils. Ainsi Pisapia à Milan est certes un militant du PD, ex-communiste, mais plus nettement à gauche que l’ensemble de son parti et relativement indépendant de l’appareil. De Magistris, qui empêche Naples de retomber dans l’escarcelle de Berlusconi, est un militant de IDV (le parti de Di Pietro), mais plutôt très indépendant de la ligne centriste de son parti et favorable au « socialisme libéral » - dans le sens italien de l’expression qui renvoie au « parti d’action » et à Carlo Rosselli. Très populaire aussi, le gouverneur des Pouilles, Nichi Vendola, venu lui du PRC, réélu l’an passé, maintient des positions fermes sur le plan social et en même temps il propose systématiquement l’alliance aux autres partis de gauche et du centre-gauche. En France, malheureusement, nous n’avons ni Pisapia au PS ni Vendola au Front de gauche.

En second lieu, la vieille forme « parti » est morte et bien morte. Alors que la décomposition droitière du PS et l’existence peu discutable d’un large courant « radical » dans le salariat auraient dû profiter au PG, au PCF ou au NPA, on n’a rien vu de semblable. Le déclin du PCF se poursuit inexorablement et tant le PG que le NPA restent des partis réservés à une petite élite militante, incapables de mobiliser durablement les citoyens qui partagent leurs idées. Le PS n’est en rien un parti de masse, mais seulement un parti d’élus et d’employés des collectivités locales à direction socialiste… Les jeunes, en particulier, semblent, extrêmement réticents à s’engager dans des machines bureaucratiques où les chefs se cooptent et décident de tout en fonction de jeux d’influence obscurs et où la démocratie se résume à « cause toujours ! ». Le « parti de masse » hérité de la vieille social-démocratie de la fin du XIXe siècle était essentiellement un organe destiné à discipliner une classe ouvrière rebelle et méfiante à l’égard de l’action politique parlementaire, toujours conduite par les « beaux messieurs ». Il faut sur ce point lire et relire Les partis politiques de Roberto Michels, un livre écrit au début du XXe siècle qui permet de comprendre la réalité d’aujourd’hui. Le parti de masse s’est largement transformé en parti entrepreneurial, au service d’un chef (voir les analyses de Mauro Calise, http://la-sociale.viabloga.com/news/le-parti-personnel ) et ceci ne vaut pas seulement pour les « partis de gouvernement », mais se propage dans toutes les formations politiques, même les plus radicales, toujours à la recherche d’un « caudillo » ou d’un « lider maximo ». À l’opposé, les formes d’organisation « en réseau », fondée sur la communication horizontale et l’auto-organisation des groupes locaux, restent encore largement expérimentales même si elles ont fait la preuve de leur efficacité en Tunisie et en Égypte ou dans le mouvement des indignés en Espagne.

En troisième lieu, il faut prendre la mesure de ce qui s’est passé dans la jeunesse, à l’échelle internationale et dans notre pays. Dans les pays arabes, ce sont les jeunes, généralement diplômés, souvent « branchés » qui ont été à la pointe du combat. Mais c’est aussi le cas dans les mouvements de résistance aux politiques d’austérité en Espagne, au Portugal ou en Grèce. À l’inverse les meetings et manifestations organisées par les appareils traditionnels (syndicaux et politiques) rassemblent les plus âgés, plus disciplinés et plus prompts à rentrer dans le rang quand les chefs retirent le tapis (ainsi qu’on l’a vu lors du mouvement contre la réforme des retraites en France au printemps et à l’automne 2010. Or les jeunes générations sont réticentes (c’est le moins que l’on puisse dire !) à l’organisation à l’ancienne, aux discours pompeux des chefs géniaux ainsi qu’à la vieille phraséologie marxiste. Lucide jusqu’au cynisme, individualiste – mais ce n’est pas un défaut ! – et capable de grands élans collectifs, la jeune génération n’a pas grand-chose à voir avec les portraits méprisants qu’en dressent souvent les vieux revenus de tout qui peignent en rouge l’époque de leur jeunesse. Il est incontestablement plus intelligent et plus libérateur de refuser l’autorité des vieux partis que de sombrer dans la folie maoïste, castriste ou guévariste comme l’on fait tant de soixante-huitards – pour ne rien dire de « ceux qui sont passés du col Mao au Rotary », de la révolution au « dîner du Siècle ». Certes, les perspectives politiques immédiates sont loin d’être claires. De nombreux jeunes sont à la fois lucides et pessimistes (mais un pessimiste est souvent un optimiste bien informé !) parce qu’eux non plus ne voient pas d’issues et se tournent parfois vers les plus anciens pour y chercher des modèles, quête bien vaine, mais qui pourrait permettre que soient transmis une expérience et des outils théoriques.

Les divers groupes de la gauche radicale (trotskistes et Front de gauche inclus) sont voués à l’impuissance faute de comprendre la réalité  politique présente en ce qu’elle échappe définitivement aux schémas classiques, rabâchés jusqu’à la nausée depuis des décennies. Aussi nobles soient-ils, les appels à la tradition républicaine française ne semblent guère plus efficaces. Il faut laisser les morts enterrer leurs morts, comme le rappelait Marx au début du 18 brumaire de Louis Bonaparte. Il est temps de verser du vin nouveau dans outres nouvelles.

Par Denis Collin  Mercredi 20/07/2011

Scandale sexuel, guerre des petites phrases, stupides provocations d’Eva Joly, riposte semi-xénophobe du premier ministre, tout est fait pour que les questions essentielles qui concernent les classes populaires, la jeunesse et l’avenir de la nation soient esquivées. En plongeant dans tous les pièges, les socialistes, embarqués dans l’aventure douteuse des primaires, préparent presque méthodiquement la remontée des intentions de vote de l’actuel président, voire sa réélection en mai 2012. Il n’est pas certain maintenant que le scénario-catastrophe d’un deuxième mandat pour Nicolas Sarkozy puisse être évité… Pour les observateurs de la vie politique italienne, il est clair que la longue domination du berlusconisme sur la politique de ce pays ne tenait pas aux qualités exceptionnelles du « caïman » (le nom sous lequel Nanni Moretti avait portraituré le premier italien) qu’à la faiblesse congénitale d’une gauche déboussolée, animée principalement par les vestiges décomposés du PCI, sous les noms successifs de Pds et de Pd. Mutatis mutandis, le sarkozysme pourrait bien bénéficier des mêmes circonstances favorables.

Plusieurs solutions s’offrent à qui refuse de voter idiot. La première serait de chercher un candidat « radical » qui permettrait au premier tour d’exprimer la défiance à l’égard du candidat socialiste (quel qu’il soit). Dans cette première catégorie se rangent tous ceux qui veulent soutenir la candidature du Front de Gauche, c’est-à-dire celle de Jean-Luc Mélenchon. Nous avons eu l’occasion d’exprimer ici nos réserves sur les flous et les erreurs du leader du PG. Il reste qu’il est une voix forte, avec un vrai talent oratoire et semble apte à faire entendre le point de vue traditionnel de la gauche face à un PS strauss-kahnisé jusqu’à la moelle, ainsi que nous avons pu le montrer. La deuxième solution consisterait à  tenir l’élection présidentielle pour un simple référendum contre Sarkozy et par conséquent de voter socialiste dès le premier tour, quand bien même les « primaires » désigneraient une chèvre pour représenter le parti de la rue de Solferino. Position politique réaliste, mais peu apte à convaincre tous ceux qui sont convaincus par le « tous pourris » ou qui cèdent au désespoir. La dernière solution serait tout simplement de délaisser ces élections, sortes de jeux du cirque qui ne présentent plus aucun enjeu politique réel, comme le donne à penser l’indistinction radicale des socialistes et de la droite face à la crise économique : entre Socrates, Zapatero et Sarkozy, il est bien difficile de dire qui a eu la politique la plus droitière. L’abstention serait ainsi, si elle devenait massive, un véritable mouvement antisystème, visant à priver de toute légitimation « démocratie », cette façade de république qu’est la Ve République, entièrement aux mains de l’oligarchie.   

Sans vouloir (ni pouvoir) trancher a priori entre ces trois hypothèses, il semble qu’on pourrait mieux les éclairer par quelques considérations plus générales sur les caractéristiques de la période.

En premier lieu, l’opposition entre la gauche réformiste et la gauche radicale est largement obsolète. Le PS peut difficilement être classé comme parti réformiste puisque les « réformes » qu’il envisage sont si modestes et qu’elles ne se proposent aucune transformation sociale sérieuse – pour mémoire rappelons que la gauche réformiste à l’ancienne se proposait d’aller au socialisme par des réformes graduelles et même, ô audace inimaginable aujourd’hui, par des « réformes de structure anticapitalistes ». De son côté la gauche radicale ne l’est qu’en parole. Elle ne propose rien de très différent des recettes du vieux réformisme. Le Front de Gauche, très timoré, ne propose ni la remise en cause des traités européens comme celui de Maastricht, ni la sortie de l’euro. Nous laissons de côté le NPA réduit aujourd’hui au vieux bastion des amis de Krivine qui combine, comme toujours depuis les années 60, la fièvre révolutionnariste la plus infantile et la capitulation devant les vieux appareils du mouvement ouvrier. Ces postures traditionnelles des deux « ailes » de la gauche ne correspondent plus à rien – si jamais elles ont correspondu à quelque chose. Là encore si l’expérience italienne peut nous apprendre quelque chose, c’est bien cela. Les dernières élections n’ont vu ni une poussée du centre-gauche (le PD) ni une poussée du pôle radical de l’ex-PCI (PRC, PDCI), mais la percée de candidats plus ou moins marginaux par rapport aux appareils. Ainsi Pisapia à Milan est certes un militant du PD, ex-communiste, mais plus nettement à gauche que l’ensemble de son parti et relativement indépendant de l’appareil. De Magistris, qui empêche Naples de retomber dans l’escarcelle de Berlusconi, est un militant de IDV (le parti de Di Pietro), mais plutôt très indépendant de la ligne centriste de son parti et favorable au « socialisme libéral » - dans le sens italien de l’expression qui renvoie au « parti d’action » et à Carlo Rosselli. Très populaire aussi, le gouverneur des Pouilles, Nichi Vendola, venu lui du PRC, réélu l’an passé, maintient des positions fermes sur le plan social et en même temps il propose systématiquement l’alliance aux autres partis de gauche et du centre-gauche. En France, malheureusement, nous n’avons ni Pisapia au PS ni Vendola au Front de gauche.

En second lieu, la vieille forme « parti » est morte et bien morte. Alors que la décomposition droitière du PS et l’existence peu discutable d’un large courant « radical » dans le salariat auraient dû profiter au PG, au PCF ou au NPA, on n’a rien vu de semblable. Le déclin du PCF se poursuit inexorablement et tant le PG que le NPA restent des partis réservés à une petite élite militante, incapables de mobiliser durablement les citoyens qui partagent leurs idées. Le PS n’est en rien un parti de masse, mais seulement un parti d’élus et d’employés des collectivités locales à direction socialiste… Les jeunes, en particulier, semblent, extrêmement réticents à s’engager dans des machines bureaucratiques où les chefs se cooptent et décident de tout en fonction de jeux d’influence obscurs et où la démocratie se résume à « cause toujours ! ». Le « parti de masse » hérité de la vieille social-démocratie de la fin du XIXe siècle était essentiellement un organe destiné à discipliner une classe ouvrière rebelle et méfiante à l’égard de l’action politique parlementaire, toujours conduite par les « beaux messieurs ». Il faut sur ce point lire et relire Les partis politiques de Roberto Michels, un livre écrit au début du XXe siècle qui permet de comprendre la réalité d’aujourd’hui. Le parti de masse s’est largement transformé en parti entrepreneurial, au service d’un chef (voir les analyses de Mauro Calise, http://la-sociale.viabloga.com/news/le-parti-personnel ) et ceci ne vaut pas seulement pour les « partis de gouvernement », mais se propage dans toutes les formations politiques, même les plus radicales, toujours à la recherche d’un « caudillo » ou d’un « lider maximo ». À l’opposé, les formes d’organisation « en réseau », fondée sur la communication horizontale et l’auto-organisation des groupes locaux, restent encore largement expérimentales même si elles ont fait la preuve de leur efficacité en Tunisie et en Égypte ou dans le mouvement des indignés en Espagne.

En troisième lieu, il faut prendre la mesure de ce qui s’est passé dans la jeunesse, à l’échelle internationale et dans notre pays. Dans les pays arabes, ce sont les jeunes, généralement diplômés, souvent « branchés » qui ont été à la pointe du combat. Mais c’est aussi le cas dans les mouvements de résistance aux politiques d’austérité en Espagne, au Portugal ou en Grèce. À l’inverse les meetings et manifestations organisées par les appareils traditionnels (syndicaux et politiques) rassemblent les plus âgés, plus disciplinés et plus prompts à rentrer dans le rang quand les chefs retirent le tapis (ainsi qu’on l’a vu lors du mouvement contre la réforme des retraites en France au printemps et à l’automne 2010. Or les jeunes générations sont réticentes (c’est le moins que l’on puisse dire !) à l’organisation à l’ancienne, aux discours pompeux des chefs géniaux ainsi qu’à la vieille phraséologie marxiste. Lucide jusqu’au cynisme, individualiste – mais ce n’est pas un défaut ! – et capable de grands élans collectifs, la jeune génération n’a pas grand-chose à voir avec les portraits méprisants qu’en dressent souvent les vieux revenus de tout qui peignent en rouge l’époque de leur jeunesse. Il est incontestablement plus intelligent et plus libérateur de refuser l’autorité des vieux partis que de sombrer dans la folie maoïste, castriste ou guévariste comme l’on fait tant de soixante-huitards – pour ne rien dire de « ceux qui sont passés du col Mao au Rotary », de la révolution au « dîner du Siècle ». Certes, les perspectives politiques immédiates sont loin d’être claires. De nombreux jeunes sont à la fois lucides et pessimistes (mais un pessimiste est souvent un optimiste bien informé !) parce qu’eux non plus ne voient pas d’issues et se tournent parfois vers les plus anciens pour y chercher des modèles, quête bien vaine, mais qui pourrait permettre que soient transmis une expérience et des outils théoriques.

Les divers groupes de la gauche radicale (trotskistes et Front de gauche inclus) sont voués à l’impuissance faute de comprendre la réalité  politique présente en ce qu’elle échappe définitivement aux schémas classiques, rabâchés jusqu’à la nausée depuis des décennies. Aussi nobles soient-ils, les appels à la tradition républicaine française ne semblent guère plus efficaces. Il faut laisser les morts enterrer leurs morts, comme le rappelait Marx au début du 18 brumaire de Louis Bonaparte. Il est temps de verser du vin nouveau dans outres nouvelles.