Garduno, en temps de paix de Philipe Squarzoni (Bande dessinée, 2002)

Publié le 28 juillet 2011 par Florian @punkonline

Dans sa préface, Ignacio Ramonet (ancien directeur du Monde diplomatique et directeur de la version espagnole), définit cette Bande dessinée comme étant une arme contre "le bourrage de crâne ambient".

Un dogme

Squarzoni revient rapidement sur les origines de la mondialisation comme point de départ dans sa narration. En1519, l'explorateur espagnol Hernán Cortés débarque sur les côtes Mexicaine et débute la conquête des territoires Américains. Cette "conquista", colonisation européenne des Amériques, exterminera entre 6 et 10 millions d'Indiens. Depuis, notre civilisation est basée sur l'esclavage des Autochtones, la destruction de leur culture et le pillage de leur richesse. Mais « toutes sociétés digèrent le génocide qui la fonde ».

Selon les penseurs libéraux, la mondialisation est un fait accompli : « Ce n'est pas la pensée, c'est la réalité qui est unique » (Alain Minc), « Nous sommes condamnés à vivre dans le monde où nous vivons » (François Furet). En bref, pour eux, il n'y a pas d'alternative au fonctionnement du monde actuel, l'abandon des acquis sociaux, qui proviennent de la pensée des Lumières et des luttes populaires, est inexorable. Le postulat libéral est que le capitalisme est créateur de richesse et qu'il accompagne le progrès et la démocratie dans le monde. Les libéraux ne croient pas au « prétendu pouvoir des multinationales qui gouvernent le monde ». Pourtant depuis les années 80 et la libéralisation financière la moitié des 200 plus grandes économies mondiales sont des entreprises. Plus tôt, dans les années 60, les plus grandes entreprises étaient accusées de renverser des gouvernements en Amérique Latine : invasion d'Haïti, renversement de Salvador Allende au Chili, lutte contre les sandinistes au Nicaragua). Après la chute de l'URSS, les pays du bloc de l'Est ont vu la pauvreté augmenter et l'espérance de vie décroitre conséquence des thérapies de choc néolibérales.

Médias

Pour lutter contre cette orthodoxie libérale, il ne faut pas compter sur les médias qui appartiennent pour la plupart à de grands groupes industriels ou bancaires. Les médias se concentrent de plus en plus entre les mains de mêmes propriétaires d'empires médiatiques. Les journalistes vedettes qui nous tiennent informés sont tellement bien rémunérés, qu'ils sont les garants de leurs attachements à la pensée.

Pour Chomsky, « une société vouée, par la concentration du pouvoir économique et politique, à une redistribution tellement inégale du bien-être et de l'influence, ne peut, pour survivre, que produire en permanence un consensus populaire aux valeurs qui la soutiennent ». Cela signifie distraire la masse et générer de l'information destinée aux 20 % de la population qui jouent un rôle dans la population et s'assurer du contrôle de l'information (8 informations sur 10 passent par les 4 agences de presse internationales, appartenant à des pays occidentaux : AP, UPI, Reuter, AFP).

Comme source alternative, il existe bien Internet, cependant toute une frange de la population dans le monde n'y a pas accès ou ne sait pas où trouver l'information.

Il n'y a pas de complot. Simplement, les néolibéraux ont compris qu'en répétant inlassablement les mêmes idées, elles deviennent évidentes, d'où la création de fondations, groupes de pression, lobbies. Ces organismes consacrent des millions à développer leurs idées sous différentes formes : colloques, livres, rapprochement avec les médias, magazines, formation de professeurs...

L'ultra libéralisme en Angleterre

Après 18 ans de thatchérisme, l'Angleterre est devenue un des pays d'Europe Occidentale les plus inégalitaires. Les travaillistes, censés mener une politique plus sociale, ont continué vers la même direction. Ils vantent la baissent des impôts, la compression des dépenses publiques et la libéralisation des échanges. Le revenu des riches a augmenté de 67 % en 13 ans, ceux des pauvres de 17 % et toute une série de mesure anti-sociale ont été proclamées : lois antisyndicats, réduction de congé maternité, droits de licenciement abusif, pas de SMIC, pas de durée légal du travail, pas de code du travail. Les charges sociales des entreprises sont de 18 % (44 % en France) et 32 % des enfants vivent dans la misère. Pourtant, pour le FMI, les performances l'économie britannique sont « enviables et résultant de politiques économiques profondément saines ».

Guerre des Balkans

Squarzoni est allé plusieurs fois en Croatie. En mai 1995, il était volontaire dans un projet de résolution du conflit entre la Croatie et la Yougoslavie. C'était un projet politique qui avait pour but de réunir Serbes et Croates en vue de préparer le moment du "vivre ensemble". Le projet était à Pakrac, ville traversée par la ligne de cessez-le-feu. Les activités de l'ONG étaient de reconstruire les habitations et de rendre visites aux communautés jusqu'à ce que les chars croates se positionnent tout au long de la ligne et commencent à tirer, suivit par les répliques serbes. Cette attaque a permis aux Croates de conquérir de nouveaux territoires. Tous les Serbes se sont alors enfuis ailleurs. Finalement, la guerre menée par Milosevic censée protéger les Serbes a causé leur perte. De retour avec une amie photographe en décembre 1995, Squarzoni constate que le projet de l'ONG n'a pas repris et surtout que l'alcoolisme, le chômage et la pauvreté ont progressé.

La propagande s'est bien arrangée du problème ethnique qui détourne la population des problèmes économiques. L'éclatement de la Yougoslavie n'est pas seulement dû à cela. À la mort de Tito, l'importante dette extérieure a été l'occasion pour le FMI d'intervenir sur les ajustements structurels du pays : gel des salaires, inflation de 2 700 % par an, 2 salariés sur 3 licenciés... La pauvreté augmentant, les dirigeants se sont alors approchés des courants nationalistes en relayant leurs discours racistes à travers lesquels « les couches sociales dépossédées reportent sur d'autres leurs frustrations ».

Répartition des richesses

En 1997, le rapport mondial pour le développement humain estimait que le coût de l'éradication de la pauvreté représentait moins de 1 % du revenu mondial, c'est-à-dire 80 milliards, soit moins que le patrimoine cumulé des 7 personnes les plus riches du monde. Il suffirait de 15 milliards de dollars par jour pour que tout le monde puisse accéder aux soins élémentaires et à une alimentation suffisante et avec 8 milliards, assurer l'accès à l'eau potable à tous les pays en développement. Ce n'est donc pas un problème de coût, mais bien la volonté qui manque.

Helmut Maucher, alors patron de Nestle, disait : « l'important c'est d'être plus complétif que son voisin » d'où les délocalisations vers les pays où les normes écologiques sont moins contraignantes, où les salaires et les impôts sont plus faibles et où il y a moins de redistribution.

Les entreprises Étatsuniennes touchent chaque année 170 milliards de dollars. En 1994, elles ont supprimé 300 000 emplois et fait 25 milliards de bénéfices. Alors qui sont vraiment les assistés profiteurs ?

Le libéralisme consiste à créer de nouvelles richesses, mais sans les répartir équitablement. Le moindre geste des privilégiés que nous sommes est un luxe pour la majorité des hommes (électricité, eau courante, etc.). Pour les libéraux, les marchés représentent « un modèle adapté au bonheur de l'humanité » et rétorquent que si la croissance économique n'a pas réduit la pauvreté, ni augmenté le niveau de vie, c'est qu'il y a trop d'États, pas assez de libre marché et de dérégulation. Combien de crise économique, de pauvres, de sans-papiers leur faudra-t-il pour qu'ils prennent conscience de leurs erreurs ?

Le FMI et les dettes

Cette institution impose, en échange d'un prêt aux pays endettés, des plans d'ajustement structurel : abaissement du rôle redistributeur de l'État, réduction des dépenses sociales, déréglementation des conditions de travail. Pas un État n'est sorti indemne de cette "aide". Entre 1980 et 1995, la dette du tiers-monde a quadruplé, alors qu'ils ont déjà remboursé cinq fois le montant initial. Dans certains pays africains, le remboursement de la dette est un de leurs plus gros budgets de dépenses. Aussi, souvent les prêts sont accordés à des dictatures qui n'utilisent pas l'argent afin de servir leur peuple. Ces dettes deviennent dès lors illégitimes. Autre facteur important sur la non-résolution de la dette du tiers-monde : elle pourrait être remboursée, mais l'Europe et les États-Unis perdraient un moyen de contrôle sur ces pays.

Cet état des lieux de la finance mondialisée est complet et bien documenté. Il y beaucoup de réflexions et d'interrogations qui amène le lecteur à réfléchir sur la situation politique dans le monde et en France. Cette lecture lui apporte des outils pour mieux décryptés les discours des uns et des autres. Partisan, se livre l'est. Antilibéral, il se soucie des conséquences sur la condition humaine des politiques antidémocratiques non approuvée par les peuples. Squarzoni montre son attachement aux causes des sans voix comme les Indiens du Chiapas aux Mexique. Cet ouvrage publié en 1998 est toujours d'actualité, les chiffres n'ont pas tellement changé. La nouveauté vient des mouvements altermondialistes qui se sont largement développés depuis. Pourtant, beaucoup de choses sont encore à faire pour que le monde se mette à fonctionner correctement.