DOL de Philippe Squarzoni (le néo-libéralisme en France en bande dessinée, réédition 2008)

Publié le 20 juillet 2011 par Florian @punkonline

Cette Bande dessinée revient sur les différentes réformes politiques néo-libérales menées depuis l'arrivée du Parti socialiste au pouvoir dans les années 80. Sorti à l'occasion de la campagne présidentielle de 2007, cet ouvrage conserve un grand intérêt surtout pour les présidentielles qui pointent le bout de leur nez. Une approche intéressante, qui même si elle ne couvre pas le mandat de Sarkozy nous dévoile les enjeux idéologiques de la plupart des réformes de ses dernières années.

Après une avalanche de chiffres sur la guerre, la consommation, la pauvreté et la richesse du monde, le narrateur fait une constatation des disparités entre les pays du nord et du sud. Mais des  disparités existent également entre individus des pays du Nord. Selon l'auteur, celles-ci ont pour cause les réformes politiques de ces dernières années.

La casse sociale de Rafarin

En France, la dégradation sociale s'accélère depuis le maintien de Chirac au pouvoir en 2002. Rafarin, sorti de nulle part, va accéder au poste de premier ministre. Malgré ses apparences rabougries, il va mettre en place une politique libérale féroce en s'attaquant à la protection sociale, la santé, les salaires, le logement, l'emploi... Il va s'attaquer aux mesures progressistes de la gauche : 35 h, emploi jeune, loi de modernisation sociale qui rendait les plans sociaux et les licenciements plus difficiles, la loi Hue relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises. Sa mesure la plus démagogique est la baisse des impôts directs au lieu des impôts indirects (plus inégalitaire). Cette baisse a profité aux plus fortunés. L'impôt direct « est un outil pour lutter contre les disparités économiques. Qui permet une redistribution des richesses, et la réduction des inégalités sociales ». Le gouvernement Raffarin a détruit les fouilles archéologiques préventives qui consistent à faire des recherches sur le terrain avant toute construction, ainsi que la recherche publique qui est priée de mener des études répondant aux intérêts des industriels. Banco pour ces derniers puisque les études sont payées par l'argent public et eux n'ont plus qu'à en récolter les profits. Cela pose un grave problème démocratique puisque des domaines tels que la sociologie sont voués à disparaitre dans de telles conditions.

Théorie de Keynes vs Hayek

Ces mécanismes d'enrichissements d'une minorité et de destruction du bien public ont des origines lointaines. Avec des journalistes du Monde diplomatique, des membres d'ATTAC et de la fondation Copernic, l'ouvrage revient sur les principales directions prises par le capitalisme durant le siècle dernier. Dans les années 20, la finance n'était pas régulée ce qui provoque la crise de 1929. Deux directions sont utilisées comme solutions, certains pays s'orienteront vers le fascisme (Allemagne, Italie, Espagne...), d'autres vont préconiser les théories de l'économiste américain Keynes. Il s'agit d'une politique économique fortement basée sur l'intervention de l'État avec une augmentation des salaires qui pousse à la consommation. C'est le célèbre New Deal de Roosevelt. Cette politique a pour conséquence de faire grimper l'inflation et donc de diminuer les profits. En 1979, la Réserve fédérale américaine déclare la guerre à l'inflation. Des réformes vont être menées à bien pour diminuer les salaires au profit du capital. À l'origine provisoire, cette "guerre" est devenue un dogme. Les meilleurs représentants en ont été Ronald Reagan et Margaret Thatcher : libre circulation des capitaux, dérèglementations, financement des entreprises par le marché financier, et ouverture des frontières entre les divers marchés financiers et monétaires. Cette période est la transition du capitalisme industriel au capitalisme financier basé sur la spéculation où la performance financière, posée comme objectif suprême, justifie tous les sacrifices humains : baisse des salaires, flexibilité des horaires, précarité de l'emploi, délocalisation", réduction de la masse salariale et de la protection sociale, remise en cause du droit du travail, privatisation.

Retraites

En 2003, la loi Fillon a modifié le système de la Retraite en France. Le problème des retraites nous est présenté ainsi : plus de vieux à la retraite, moins de jeunes pour cotiser, et comme la caisse des retraites est dans le négatif, ce ne sera plus possible de financer le modèle actuel, c’est mathématique. En effet, l’espérance de vie des Français augmente. Il y a donc de plus en plus de retraités et moins d’actifs. Mais le gouvernement ne nous dit pas qu’un travailleur dans 40 ans produira plus qu’aujourd’hui. L’équation mathématique n’est donc plus la même : plus de retraités et des travailleurs plus productifs. L’idée simpliste gouvernementale est donc caduque. D’autre part, avec une prévision de croissance à 1,7 point (les économistes estiment qu’elle sera supérieure à 2), notre PIB doublera en 2050 et sera d’environ 4 000 milliards d’euros. La part des retraites passera alors à 18 %, alors qu’il est de 13 aujourd’hui. En retirant les 18 % dédié aux caisses sociales dans le PIB de 2040, il restera bien plus d’argent que le PIB total d’aujourd’hui.

En 2009, le PIB était de 1 800 milliards dont 68 % étaient destiné aux salaires, alors qu’en 1982 il y en avait 76 %. Dans le même temps, les profits réalisés revenants aux actionnaires sont passés de 5% en 1985 à 25 % en 2010 (rapport Cotis de l’INSEE). Cela démontre que depuis l’arrivée aux pouvoirs des libéraux socialistes dans les années 80, et l’aide des différents gouvernements de droite, les différentes lois n’ont jamais profité aux travailleurs.
La pénibilité a été un des points les plus débattus. L’espérance de vie d’un ouvrier en bonne santé est de 59 ans et celui d’un cadre est de 69 ans (chiffres INED ? Institut Nat. Des Études Démographiques). Cela veut dire qu’un ouvrier qui a travaillé dans des conditions difficiles toute sa vie ne pourra pas profiter de sa retraite en bonne santé. Un autre chiffre : un salarié sur dix meurt avant 60 ans (INSEE, septembre 2009).

En augmentant la durée de cotisation, ceux qui sont entré dans la vie active tard pourront plus difficilement toucher leur retraite à taux plein. De même, les entreprises préfèrent embaucher des jeunes, l'ancienneté étant un "frein", car elle coûte plus cher au patronat. Moins de la moitié des travailleurs ont un emploi avant de devenir retraités. L'objectif n'est donc pas de sauver le système par répartition, mais de le remplacer par celui par capitalisation, comme il existe déjà aux États-Unis où un employé peut travailler jusqu'à 70 ans.

Comment les fonds de pension seront-ils financés par les salariés et les employeurs alors qu'ils sont censés ne pas pouvoir le faire dans le système par répartition ?
Il existe des mesures alternatives qui ont été proposées :
— Augmentation des cotisations patronales de 0,37 % par an selon le conseil national des retraites. Contrairement à ce que prétend le MEDEF, les coûts salariaux ne sont pas plus élevés en France qu'ailleurs en Europe.
— Récupérations des 8 % de la part des salaires qui est passée dans celle du profit. En effet, deux tiers sont reversés aux actionnaires, le reste n'est pas réinvesti. Cette part correspond au total du déficit des retraites. L'enjeu est celui de la répartition des richesses et la volonté du gouvernement de conserver le capital aux mains d'une minorité de riches.
— Permettre à ceux qui souhaitent travailler normalement de le faire plutôt que de demander aux vieux de travailler plus longtemps.
— Amélioration de l'activité de la femme qui permettrait un retour au plein emploi (une hérésie pour le patronat et les théories libérales, car un chômage est bon puisqu'il permet de mettre les salariés en concurrence et ainsi tendre les salaires vers le bas).
— Inclure la totalité des revenus dans le calcul (primes, participations, intéressement).
— Stock option plus durement taxée.
— Une contribution sociale des entreprises qui prélèverait 10,3 % sur les revenus des placements en tout genre.

Pour Serge Halimi, les médias ont eu une attitude désolante. Pour eux, le bon sens, c'est le dogme libéral et aucune alternative n'est possible. Il ajoute que les journalistes bénéficient « de rémunérations très coquettes, qui les apparentent davantage aux patrons d'entreprises qu'aux ouvriers et aux employés ». Le PS quant à lui pense que le libéralisme c'est la modernité et que ça lui permet de rester au pouvoir.

Syndicats

De leur côté, les syndicats ont baissé les bras. Ce genre de confrontation brutale avait déjà eu lieu aux États-Unis durant l'ère Reagan et en Grande Bretagne durant celle de Thatcher. Ce bras de fer a autant pour but de faire passer une réforme que d'affaiblir les syndicats. « Provoquer la grève en refusant tout compromis, puis négocier jusqu'à l'impasse en proposant une liste de concessions que les syndicats ne peuvent accepter » raconte Gus Massiah (président du CRID et vice-président d’ATTAC à l'époque de l'entretien). Il ajoute que si les syndicats se battent ils doivent aller jusqu'au bout sous peine de perdre leur crédibilité.

Politique Keynesienne

Avant l'arrivée de Mitterrand au pouvoir, les différents gouvernements suivaient les théories de Keynes et elles ne posaient pas de problèmes : en 68 quatrième semaine de congé payé, indemnisation chômage pendant un an à 90 %, taux de marge des entreprises à la baisse, part des salaires dans la valeur ajoutée en augmentation, dépenses publiques, impôt sur la fortune, SMIC, mensualisation du salaire (refus du salaire à la tâche). Mais en 1983, Le PS au met fin à l'État providence et les communistes sont éjectés du gouvernement. S'en suivent des contre-réformes avec leurs effets néfastes : privatisation, réorganisation économique, augmentation du chômage. Certains journaux et intellectuels de gauche justifiaient ce changement de politique qu'ils combattaient pourtant par le passé. Une frange de la gauche se réconciliait avec l'entreprise, certains devenant de grands patrons. Les intérêts convergents, le PS a mis de côté la classe populaire pour défendre les classes moyennes et supérieures. Dominique Strauss Kahn ne s'en cachait pas en disant : « ça ne vaut pas la peine de s'occuper des plus pauvres parce que ça ne vote pas » rapporte Martine Bulard (rédactrice adjointe du Monde Diplomatique à l'époque de l'entretien).

Gouvernement Jospin

À propos du premier gouvernement Jospin, Massiah temporise : « le premier gouvernement Jospin d'une certaine manière a joué une carte social-démocrate. Les 35 heures, les emplois jeunes, la gauche plurielle... » Ça s'est gâté par la suite : les 35h ont été mal géré et trop de concessions ont été accordés au patronat, c'est le gouvernement qui a le plus privatisé en un temps record, Jospin n'empêche pas la fermeture de Renault Vilvoorde malgré ses promesses. Rien n'a été véritablement fait en matière d'éducation, de retraites, d'écologie, ou sur le salariat précaire en augmentation. « Ensuite, on découvre qu'il y a une cagnotte, ajoute Massiah, parce qu'on a comblé les déficits. Mais au lieu de relever les minimas sociaux, on abaisse la tranche fiscale la plus haute sur les revenus, ce qui est une aberration... »

Une fois encore, et malgré ses promesses, Jospin accepte le pacte de stabilité européen avec comme excuse « l'État ne peut pas tout ». Le bilan est assez catastrophique pour les socialistes qui vont alors faire campagne sur le thème de la sécurité, chère à la droite, pour les élections de 2002.

Capitalisme financier

Le travail précaire, dont l'intérim, progresse. Michel Husson (économiste, membre du conseil scientifique d'ATTAC et de la fondation Copernic) argue qu'avec « le capitalisme financier, les entreprises ont besoin d'avoir des salariées qui soient aussi fluides que les capitaux. Et c'est cette mobilité-là qu'ils essayent d'organiser [...] Il s'agit de revenir à un système du face à face patronat/salarié, en remettant en cause les lois sociales ». La loi Boorlo de modernisation sociale permet des accords dans l'entreprise, au-dessus des lois. Ces lois qui ont pourtant permis depuis le XXe siècle de rééquilibrer le rapport de force entre patrons et salariés sont vidées petit à petit de leur contenu depuis trente ans.

L'Europe a aussi cette volonté de casser le droit du travail. L'exemple qui a défrayé la chronique est la directive Bolkentsein qui permettait aux entreprises de choisir soit la loi du pays d'où provient le migrant soit la loi du pays d'embauche. Ces mesures contre le travail ont pour logique que « moins on verse de salaires, plus on fait de profits ».

Sécurité sociale

Le projet libéral vise donc les trois principaux volets du salaire indirect : les retraites, l'assurance maladie et l'assurance chômage. Après le "choc démographique" est naturellement arrivé le "trou de la sécu" basé sur la fraude qui représente seulement 0,2 % des dépenses. Pour contrecarrer cette "perte", certaines prestations sont moins bien remboursées par la sécurité sociale, favorisant les plus riches qui peuvent facilement avoir recours à des assurances privées que les plus pauvres.

Husson explique qu'« avec le salaire socialisé, il y a une efficacité sociale. Ce que permet la sécurité sociale, c'est qu'on ne paye pas en fonction de la prestation qu'on reçoit, mais en fonction de son revenu. On paye des cotisations et on a le droit à être soigné. Alors qu'avec un système d'efficacité individualisée, chacun paye ce que coûte réellement l'acte et donc s'il ne peut pas payer, il ne peut pas y accéder. » L'expérience des pays où ces réformes néolibérales sont plus avancées montre un degré d'inégalité dans les soins qui augmentent.

« Dans les retraites, le but c'est de bloquer le système par répartition pour développer les fonds de pension et les assurances privées. L'assurance maladie c'est pareil. C'est rationnerce qui est couvert par la sécu et développer des assurances maladies complémentaires ».

Le chômage est utilisé pour faire passer toute sorte de réformes. Selon les politiques libérales, il serait dû à une rigidité structurelle d'où une rigueur budgétaire, une austérité salariale qui asphyxie la consommation et le démantèlement du SMIC, du droit du travail, des services publics, des syndicats. Depuis que des réformes ont été faites dans ce sens, le chômage a augmenté. « La hausse des taux d'intérêt et la baisse des recettes fiscales, plombées par la faible croissance, ont augmenté le déficit public».

1997-2001, période de non-alignement au dogme néo-libéral, « une légère augmentation du pouvoir d'achat a entrainé la reprise de la consommation des ménages, puis de l'investissement, puis de la croissance [...] et les 35 heures ont permis de créer des emplois qui ont augmenté les caisses publiques [...] Mais au lieu d'avancer dans cette voie, Jospin a persisté dans l'exonération des cotisations sociales, la baisse de l'impôt sur le revenu ».

Service public

Halimi : « Si on dit tout de suite “on passe d'un système avec des services publics gratuits, à un système privé, régi par la loi du marché, avec des prix à payer pour la santé ou l'université”, les gens sont contre [...] On déplore donc que les services publics fonctionnent mal, coûtent cher et qu'ils génèrent des gâchis ». Par contre, l'État ne mentionne pas qu'il n'a pas investi un centime depuis 22 ans dans EDF et que l'entreprise lui versait chaque année entre 300 millions et 1,3 milliard d'euros. Dans sa communication, l'État ne parle jamais de privatisation, mais "d'ouverture de capital" qui n’est que les prémices d'une privatisation totale, car en pratique, la mise en bourse d'une partie du capital détourne les objectifs du service public vers ceux de la rentabilité.

Halimi : « C'est ce que politiciens, entreprises et médias répètent à chaque privatisation : les consommateurs vont avoir le choix. [...] Mais l'idée c'est que de toute façon on est obligé de le faire, parce que tous les autres pays le font. » Si l'on ne s'adapte pas, on est condamné selon les libéraux.

Husson : « Dans la théorie le grand truc c'est que la concurrence permet de baisser les prix... Mais on s'aperçoit que ce n'est pas vrai. En réalité la concurrence se fait entre très grands groupes et ce qu'ils gagnent sur les coûts de production ils ne le répercutent pas sur le consommateur. Ils ne baissent pas les prix. Au contraire, ils les augmentent ». En 1997, un rapport de la cour des comptes dans le domaine de l'eau, les opérateurs privés étaient 28 % plus chers que ceux du public. En Grande-Bretagne, depuis la privatisation de l'eau en 1989, les salaires des dirigeants ont quadruplé, les compagnies ont triplé leurs bénéfices, les factures ont doublé et le réseau mal en point perd jusqu'à 30 % de sa production rappelle la Fondation Copernic.

Insécurité

La préoccupation pour l'insécurité apparaît dans les années 70, lorsque la société du plein-emploi s'effondre.

Contrairement aux affirmations des politiques la délinquance a stagné ses 10 dernières années. Arnaud Pélissier, avocat : « Certains types de délinquance liés à un mode de vie rural n'existent quasiment plus. D'autres types de délinquances urbaines se sont développés, mais ça correspond à des changements de mode de vie ». Par exemple, les femmes en travaillant de plus en plus ont abandonné le foyer pendant la journée facilitant le vol, le racket à l'école est dû à la généralisation de l'argent de poche. « Il y a aussi certains types de délinquance qui se sont révélés dans leur réalité parce qu'il y a eu un changement d'attitude des victimes. C'est le cas pour tout ce qui est inceste ou pédophilie. Auparavant, les victimes n'osaient pas porter plainte à cause du regard social porté sur elles [...] L'importance nouvelle accordée à cette parole, légitime, mais émotionnelle, forcément excessive, contribue à transformer l'idée qu'on se fait de la justice, le rapprochant de la vengeance ».

Pélissier : « Par ailleurs, il y a eu la volonté politique de mettre certains types de délinquance en avant par rapport à d'autres. On parle moins de la délinquance financière [...] ça suppose des mois de travail pour pouvoir la mettre en évidence ». Auparavant, la petite délinquance était jugulée rapidement par l'intégration professionnelle, dans des boulots non qualifiés, mais conformes aux normes sociales. Depuis, les licenciements économiques et les délocalisations ont touché ces emplois. Ces populations qui ne peuvent plus s'insérer dans le marché de l'emploi sont en marge de la société, non intégrée.

Les gouvernements récents affirment qu'on ne peut pas tout expliquer par la pauvreté. « Ce discours nourri d'anti-intellectualisme, stigmatisant les sociologues, est parvenu à paralyser toute critique ». Les politiques sécuritaires apparaissent dans les années 90 et en janvier 1999 Alan Bauer (PDG de AB Associates, société de conseil en sécurité et gestion des crises) et Xavier Raufer (Ancien Militant des organismes d’extrême droite Occident et Ordre nouveau) publient "Violence et insécurité urbaine". « À l'image d'une poignée d'experts, ils limitent leur analyse à une approche gestionnaire des effets : celle de la lutte contre la violence urbaine. [Ils] disqualifient systématiquement leurs contradicteurs en les accusant d'angélisme. Évidemment, tous ces experts se rejoignent pour dire qu'il faut plus de moyens pour la répression. Leurs recommandations sont reprises par les éditorialistes et par les politiques ».

« À mesure que les hommes politiques se rejoignent pour dénigrer les jeunes arabo-musulmans et les quartiers populaires, Pitt-Bulls, bandes de délinquants, tournantes dans les caves et fondamentalisme musulman deviennent le prisme par lequel l'univers médiatique traite des banlieues françaises et de leurs habitants ».

« Montée du chômage, peur des délocalisations, de la précarisation, quand les dispositifs de protection volent en éclat c'est toutes ces inquiétudes qu'on détourne à coup de vols de voiture, trafics de drogue, dégradation de boîte aux lettres". Entre janvier et mars 2002, l’insécurité a été le thème le plus abordé par les principaux candidats et par les médias. Le journal de TF1 a présenté 212 sujets sur l'insécurité entre janvier 2012 et le premier tour. Durant le mois de mars, le 13 heures de TF1 a évoqué l'insécurité 41 fois, celui de France 2 63 fois.

Élu en 2002 contre Le Pen sur le thème de l'insécurité, Jacques Chirac nomme Sarkozy Ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés sociales. Il met en place des mesures sécuritaires et liberticides : rapprochement police-gendarmerie, délits de rassemblement dans les halls d'immeubles et de racolage passif, loi sur les gens du voyage, alourdissement des sanctions contre les petits délits, procédures policières durcies, surveillance et répression accrue des populations dans les cités...

Prison

Pélissier : « on a mené une politique qu'on pourrait qualifier de “lutte médiatique contre l'insécurité”. Et les chiffres de l'augmentation de l'activité policière ne signifient pas forcément grand-chose ». Une étude a montré que dans les années 80 et au début des années 90, une partie de l'augmentation des actes criminels était due à l'emprisonnement massif démontrant que traiter la criminalité sur le plan de la répression et du pénal n'est pas suffisant si l'on n'agit pas aussi sur les conditions économiques et sociales qui produisent la délinquance. Les lois sécuritaires entassent les individus dans les prisons, productrices de récidives. Selon le ministère de la Justice, 67 % des emprisonnés libérés y retourneront et seuls 11 % de ceux qui ont eu une peine de sursis ou une libération conditionnelle récidiveront. L'incarcération ne fait qu'intensifier la pauvreté : 50 % des personnes à l'entrée des prisons sont sans emploi, à la sortie ils sont 60 %.

« La population carcérale augmente de 14 % par an depuis fin 2001, presque 62 000 détenus en 2001 ».

Assistannat

À la fin du moyen-âge, une partie des paysans rejetés du mode de production féodale étaient contraints aux travaux forcés dans les hôpitaux. À Amsterdam à la fin du 16e, on inondait les caves et on les mettait dedans pour qu'ils pompent l'eau. Au 19e en Irlande, durant la famine, en échange de nourriture, on faisait faire construire des tours par des pauvres qu'ils devaient détruire. Ces travaux ne servaient à rien, c'était un dispositif de contrôle social qui avait pour but d'empêcher le développement d'une mentalité d'assistés.

Camille, professeur de sciences politiques : « Il y a toute une partie de la classe ouvrière qui en l'état actuel du marché du travail est en surplus. Et il faut trouver une activité à ceux qui n'ont pas d'emplois en échange du peu d'assistance qu'on leur donne. C'est la transformation du RMI en RMA. Pour ceux qui basculent dans la délinquance, on a une autre réponse de l'ordre de la ségrégation : les prisons. [...] C'est un enfermement qui vise des populations parfois peu nuisibles, mais “inutiles” et qu'on préfère savoir à l'écart ».

La France est très marquée par ces luttes sociales. « On ne pratique donc pas un basculement du social vers le pénal, mais une articulation parallèle des deux logiques [...] D'un côté l'extension des fameux “filets de protection sociale” : RMA, CMU, emplois jeunes, etc., et de l'autre, le renforcement des activités policières, judiciaires et pénales dans les quartiers sensibles ».

Mobilisation

Pélissier : « La criminalisation de la mobilisation sociale qui conteste le coeur de cette politique est évidemment une composante de cette dérive droitière [...] Les privatisations, la remise en cause du droit de grève dans les services publics, les réformes des retraites, de la sécu ne peuvent se faire sans un accompagnement musclé [...] Mise en examen et gardes à vue, incarcérations, accusations de vol, d'atteinte à la liberté du travail, de harcèlement syndical, etc. C'est toute la panoplie des méthodes répressives qui est utilisée par le gouvernement, non pour lutter contre la criminalité, mais pour protéger son projet politique.

Délinquance économique et financière

« Le Ministère de la Justice lui-même reconnait qu'il “privilégie d'une part, et sur-dimensionne d'autre part [...] le traitement de la petite et moyenne délinquance au détriment de la délinquance économique ou financière” [...] Pourtant, le nombre annuel de décès par accident du travail est supérieur à celui des décès par homicide volontaire [...] En 2000, on dénombrait dans le domaine du bâtiment 193 142 accidents, 9 829 mutilés et 207 morts. Chaque semaine, plus de 10 salariés meurent d'un accident du travail, 700 personnes par an. La probabilité de mourir avant 60 ans est de 15 % chez les policiers... Elle est de 20 % chez les ouvriers spécialisés... Et 28 % chez les manoeuvres. [...] Le taux de mortalité prématuré des ouvriers est presque 3 fois plus élevé que celui des cadres supérieurs et professions libérales ».

« En 2001, dans les journaux de TF1, deux reportages seulement ont été consacrés aux accidents du travail soit 0,02 % des 10 000 sujets traités. Dans le même temps, 1 190 reportages, soit 12 % des sujets traités, ont été consacrés à l'insécurité ».

« Seuls 1 250 inspecteurs et contrôleur du travail couvrent 1,2 million d'entreprises privées en France et 14 millions de salariés. En 1993, 14 % des entreprises ont été contrôlées contre 30 % en 1974 et sur un million d'infractions constatées en 1995, seules 3 % ont donné lieu à une observation ou à une mise en demeure ».

Discours sécuritaire

Le discours sécuritaire est utile pour : étendre le contrôle social indispensable aux transformations économiques en cours, détourner l'attention des médias et des lecteurs et aussi une source de profit pour le capital. La construction de 13 000 nouvelles places de prisons représente 13 milliards d'euros, ajouté à cela la cantine des prisons, la vidéo surveillance, le renouvellement d'armes, la main-d'oeuvre carcérale flexible pour les sociétés qui embauche les détenus ; cela représente un beau pactole pour ceux qui remportent les appels d'offres.

Sarkozy chouchou des médias

Alors ministre de l'Intérieur, Sarkozy était l'homme du gouvernement le plus exposé médiatiquement. Pourtant, son bilan au Ministère de l'Intérieur est catastrophique : les chiffres de la délinquance ont au mieux stagné, différents rapports accablent l'état des prisons françaises, les plaintes pour bavure ont explosé. Alors pourquoi tant d'amour de la part des médias ? Peut-être sa langue de bois sous une apparence de parler-vrai grâce à un verbiage simple et des exemples soi-disant concrets créant un effet d'annonce, mais dans la réalité jamais suivit de faits.

« Les journaux ont décrit aussi longuement son réseau dans les cercles financiers et patronaux : Martin Bouygues, patron de TF1, son plus proche ami et témoin de son mariage, Alain Minc, président du conseil de surveillance du Monde, Pierre Louette, patron de l'AFP, Arnaud Lagardère (Hachette, Paris-Match, le Journal du Dimanche), Bernard Arnault propriétaire de la Tribune, Jean Pierre Elkabach, patron d'Europe 1 Serge Dassaut (Le Figaro, L'Express). On connait aussi les soutiens dont il bénéficie du côté des “grandes plumes” de la presse : Alain Duhamel, Jean Marie Colombani, Patron du Monde, Nicolas Domenach, directeur adjoint de la rédaction Marianne ». Toutes ces relations n'inféodent pas l'ensemble des rédactions comme Libération qui n'a pas été bridé par l'arrivée de Rothschild sur le traitement de Sarkozy. Cela indique que les réseaux médiatiques ne suffisent pas à expliquer cet engouement.

Aussi, Sarkozy profite du vide au sein de l'UMP, et non pas son bilan, pour être l'homme de droite le plus en vu. Chirac le nomme au Ministère afin de réconcilier la droite qui s'était déchirée lors de l'élection de Balladur, soutenu par Sarkozy, en 1995, et répondre à Le Pen en matière de sécurité.

Traitement de l'information par les médias

Comment l'information est-elle choisie ? On se souvient de l'affaire du RER D, dans laquelle une femme avait inventé une agression antisémite en 2004 s'avérant quelques jours plus tard être monté de toutes pièces. L'AFP relaie l'information, aucune des rédactions ne la reprend. Deux heures après les faits, Dominique de Villepin fait un communiqué à l'AFP sur cette « agression ignoble ». Immédiatement, toutes les rédactions sont au pas de course pour traiter le sujet.

« Si ce sont les hommes politiques qui “font” l'actualité, comment espérer que soient relayés les phénomènes de société que ces derniers souhaiteraient plutôt occulter ? »

« Couvrir l'actualité, ou ce qui est perçu comme tel c'est peut-être devenir des instruments au service d'un gouvernement d'une tendance politique ou d'un seul homme ».

Mathieu Aron, Chef du service police - justice à France Info : « À un moment donné, telle affaire va être traitée parce qu'on va la prendre comme illustration d'un phénomène de société. Moi j'ai le sentiment que c'est à ce moment-là qu'il peut y avoir des dérapages ».

Frank Cognard, journaliste au service police - justice de France Info, avoue que certains faits divers peuvent être déformés. « Cette insécurité on ne la fait pas seulement monter avec des reprises de discours politique, mais aussi par l'exploitation de petits faits divers qu'auparavant on n'exploitait pas, parce que ce n'était pas notre fond de commerce ou notre tradition médiatique à France Info. Et par petites touches comme ça, on a contribué à entretenir ce sentiment. En tout cas si on ne l'a pas fait grandir on l'a maintenu ».

Aron : « On est peu originaux dans les médias, on se copie les uns les autres et on fait toujours des photos grossissantes. Alors, je ne crois pas qu'on ait créé le sentiment d'insécurité, mais une fois qu'on a compris qu'il y avait ce sentiment d'insécurité, on l'a dit probablement 5 fois de trop ».

Aron : « On est écouté par tout le monde, c'est parce que tout le monde s'y retrouve un peu ». C'est le problème des médias de masse qui est posé là. La course à l'audimat empêche de traiter des sujets ou des approches qui fâchent. Cela induit un rétrécissement, un repliement idéologique. Les grands médias se font ainsi l'écho de la pensée dominante en même temps qu'ils la consolident. « Nous sommes là pour donner une image lisse du monde », disait PPDA.

Cognard : « Il y a des fois où tu choisis de ne pas traiter et tu flippes un peu en attendant de savoir ce que les autres vont faire. Et quand tu t'aperçois qu'ils ne font rien, ça te soulage un peu. [...] Des fois on se conforme à ce que font les autres. On se comporte souvent en meute, en troupeau, c'est l'un de nos travers, mais la peur de louper quelque chose fait que de façon un peu grégaire, on va là où on est sûr de tous nous retrouver ».

« Urgence, pression de l'actualité, peur du vide, réseaux, proximité, complicité, indépendance, pluralisme, distance, pression du plus grand nombre, poids de la concurrence, mauvaise santé financière et nivellement par le bas, toutes ces tensions, dont le cas Sarkozy n'est qu'un symptôme, traversent la presse et mettre son travail en déséquilibre ».

Sarkozy en campagne

Une campagne ultralibérale de la part de Sarkozy n'aurait pas eu le concours de la presse en France. Halimi : « Ceux qui font les journaux sont souvent sur une autre position qui combine le libéralisme sur des questions économiques et sociales et une vision “libertaire” sur des questions de société, d'égalité homme-femme, de droit des minorités... »

Carol Barjon, journaliste au Nouvel Obs : « [Sarkozy] n'a pas arrêté de faire passer certains messages qui n'avaient rien à voir et qui même polluaient le débat. [...] Sa méthode est d'être partout et d'occuper le terrain, surtout le terrain médiatique [où] il emmène toujours pleins de journalistes ».

On peut reprocher à cet ouvrage sa densité. Le choix de la Bande dessinée est censé synthétiser l'information et la rendre plus ludique, mais ici et comme en témoigne la longueur de ce résumé, on est dans une approche d'un livre classique. Il ne faut donc pas s'imaginer le lire comme un Tintin. En revanche, il est très instructif sur le projet directions politiques choisit ses trente dernières années. Que ce soit le PS ou l'UMP au pouvoir, toutes les lois créées sont allées dans le même sens : faire fructifier le capital détenu par une minorité d'individus. La révolution de 1789 avait renversé la monarchie et ses nobles. Bien que la bourgeoisie n'a jamais cessé d'être au pouvoir, on remarque ces dernières années, surtout durant l'ère Sarkozy, qu'elle affirme sa domination. Le vote a-t-il encore un intérêt ou devons-nous faire une seconde Revolution pour rétablir la liberté, l'égalité et la fraternité ?