Obama : la grande désillusion

Publié le 08 août 2011 par Labreche @labrecheblog

À un an désormais des présidentielles américaines, Obama n'en finit pas de décevoir les Américains qui ont voté pour lui. Plus encore, empêtré dans une stratégie bipartisane qui ne sert que les Républicains, il se met les Démocrates à dos. Sans un sérieux retournement de situation, Obama se dirige vers une terrible débâcle électorale en 2012.

2009 : premiers avertissements

Les premiers mois de la présidence Obama, après son investiture du 20 janvier 2009, étaient très attendus. Car au-delà du message d’espoir de la campagne historique du candidat Obama, les États-Unis attendaient concrètement beaucoup d’un président qui avait tout fait, depuis ses premiers pas de candidat aux primaires démocrates, pour se présenter comme l’exact opposé de son prédécesseur George W. Bush.

Or, face à la situation catastrophique de la crise de l’automne 2008, Obama avait avant tout promis de relancer l’économie américaine en récession et d'éviter qu’une telle débâcle se reproduise. Le plan de relance américain fut donc, logiquement, l’une des premières lois promulguées sous le mandat Obama, le 17 février 2009. Vu de France, où le plan de relance fut pour ainsi dire inexistant, les 787 Md$ de l’American Recovery and Reinvestment Act (566 Md€) peuvent passer pour un effort gigantesque. On était pourtant loin du New Deal de Roosevelt, auquel Obama s’était ouvertement référé pendant la campagne. Malgré des investissements répartis entre des travaux d’infrastructures, des programmes consacrés à l’éducation, la santé et l’environnement, des baisses d’impôts et des augmentations des aides sociales et des allocations chômage, les avis exprimés par les économistes les plus réputés comme les prix Nobel Joseph Stiglitz et Paul Krugman furent assez sévères. En résumé, si l’ARRA limitait les dégâts (la majorité des économistes sérieux s’accordent sur le fait que l’économie américaine se serait bien plus mal portée sans plan de relance), il était toutefois insuffisant pour remettre les États-Unis sur le chemin de la croissance.


Surtout, le plan proposé initialement par l’administration Obama arrivait à l’état de loi sous une forme profondément modifiée, sous l’influence des Républicains. En fait, face au risque de le voir insuffisamment soutenu au Congrès, Obama avait préféré rabaisser ses prétentions, ne pas mettre trop l’accent sur une relance keynésienne par la dépense, et qui plus est, pour obtenir l’assentiment de l’opposition, accepter au cours de l’examen que le projet soit encore plus orienté vers les baisses d’impôts, et que celles-ci bénéficient principalement aux plus riches. De façon plus directe, comme le disait alors Paul Krugman : « les Démocrates ont plié devant la rigidité idéologique de l’administration Bush, en laissant de côté les financements qui auraient aidé ceux qui en ont le plus besoin. Et ces financements se trouvent être ceux qui auraient pu permettre au plan de relance d’avoir un effet ».  En réduisant la voilure du projet, Obama n’a pas seulement réduit son effet, (en juillet 2011 le taux de chômage américain est toujours à un niveau exceptionnel, à 9,1 %) mais aussi sa rentabilité économique.

Yes We Can But No We Don’t

La stratégie déployée par Obama à l’occasion de l’ARRA est donc totalement gagnante pour les Républicains. Ceux-ci obtiennent ce qu’ils veulent lorsqu’ils l’exigent, critiquent malgré tout la politique de la Maison blanche comme trop dépensière et, ayant dénaturé le projet, peuvent déjà prévoir de retirer tous les bénéfices de l’échec de mesures en réalité sous-dimensionnées et mal ciblées. Un épisode qui aurait pu servir de leçon au Président américain, penserait-on. Et pourtant, ce dernier se révèle obsédé par une ambition bipartisane qui fait le jeu des Républicains et pousse l’administration à souvent critiquer les « gauchistes » démocrates au lieu de l’opposition.

Même la grande réforme du système de santé du 23 mars 2010 est entachée de concessions à la droite la plus conservatrice, en particulier sur la question de l’avortement. La modification réclamée par les Républicains pour qu’un fonds particulier soit créé pour le financement de l’avortement, qui exclut ainsi toute subvention fédérale, est ainsi conservée dans la loi finale et permet d’exclure l’avortement de la couverture médicale. Et à la fin de l’année 2010, défait aux élections de mi-mandat, et désormais confronté à des Républicains majoritaires à la Chambre des représentants, Obama accepte de prolonger les mesures de réduction fiscale votées sous Bush en 2001 et 2003. Un choix cette fois très mal pris par les démocrates.

Quant à la politique étrangère de l’administration Obama, l’échec de la fermeture de Guantanamo, le renoncement sur les questions environnementales affiché au sommet de Copenhague de la fin 2009, paraissent plus révélateurs que les retraits annoncés, d’Irak et d’Afghanistan, qui faisaient l’unanimité dans la classe politique américaine. Même la mort d’Oussama ben Laden en mai dernier (et les quelques jours de tranquillité qui en découlèrent à Washington) semble symboliquement, et de façon ironique, inscrire Obama dans l’héritage de George W. Bush plus qu’en rupture. Surtout, comme tous les autres pays occidentaux, les États-Unis ont paru désemparés face à la vague des révolutions arabes, qui a clairement réduit la portée des bonnes intentions du discours délivré par Obama au Caire, le 4 juin 2009 : là où le président prônait des progrès démocratiques concédés en douceur dans un monde d’inquiétudes, le peuple a donné à l’homme du « Yes We Can » une leçon de volontarisme et d’optimisme. D’autres échecs enfin, tels le manque d’implication du Président Obama lors de la marée noire dans le golfe du Mexique, ou le veto contre une résolution condamnant les colonies israéliennes en territoire occupé (en complet désaccord avec les principes auparavant affichés), ont renforcé l’image désormais prégnante d’un président faible et peu volontaire, incapable de joindre l’acte à la parole.

Obama est-il Républicain ?

La passion du Président Obama pour le consensus bipartisan ne cesse pourtant pas, alors même que le Parti Républicain est renforcé dans ses revendications les plus conservatrices par le Tea Party. Le 25 janvier 2011, dans le discours annuel sur l’état de l’Union, Obama affirme une nouvelle fois  : « Les nouvelles lois ne seront votées qu’avec le soutien des Démocrates et des Républicains. Nous avancerons ensemble, ou pas du tout, pour répondre à des défis qui nous sont posés et sont plus grands qu’un parti, et plus grands que la politique. » Mais la parole présidentielle semble  bien creuse : la vérité est que désormais, les Républicains disposent d’un pouvoir de blocage réel et n’hésitent plus à en user, quelles que puissent être par ailleurs les conséquences pour les États-Unis ou le reste du monde.

C’est bien dans cette erreur stratégique fondamentale d’Obama que réside le nœud du récent débat sur le plafond de la dette américaine. Alors que le plafond avait été élevé maintes fois sous George W. Bush pour financer les dépenses militaires, les Républicains se découvrent aujourd’hui une passion pour la rigueur comptable. Or, là encore, les économistes sont les premiers à dénoncer l’hypocrisie du parti conservateur, comme Paul Krugman : « les leaders républicains n’ont en vérité rien à faire du niveau de la dette. En fait, il utilisent la menace d’une crise de la dette pour imposer leur programme idéologique. […] Donc ce qui se passe actuellement est de l’extorsion pure et simple. » Et, citant le très keynésien Mike Konczal, Krugman compare les Républicains à une bande de hooligans usant de menaces à peine voilées : « c’est une jolie économie que vous avez là, ce serait bien dommage si quelque chose devait lui arriver ».

Pourtant Obama a encore plié en acceptant le 2 août, la veille de la date de défaut, les demandes des Républicains. Cette fois, les choses sont claires : le projet négocié deux jours auparavant par la Maison blanche est passé grâce au soutien des Républicains, car chez les Démocrates près de deux représentants sur trois se sont opposés au projet. Le rêve bipartisan d’Obama aboutit donc à ce que le Président prépare des projets soutenus par les Républicains contre les Démocrates, ce qui finit par poser une question bien simple : Obama est-il encore Démocrate, ou bien serait-il devenu Républicain ?

Un président couard

Une telle absurdité a surtout de quoi faire douter du courage politique réel de l’actuel Président américain. Un président poltron : voilà aujourd'hui ce pour quoi passe Obama, lorsque l’agence de notation Standard & Poor’s, tristement connue pour son manque de discernement en 2008 (elle avait défendu le AAA de Lehman jusqu’au plus fort de la tourmente), dégrade la note de la dette américaine ; voilà également pour quoi il passe lorsque la République populaire de Chine se permet un discours au bord de l’insulte, « exigeant » des réformes économiques et la mise sous « surveillance internationale » du dollar, c’est-à-dire d’un attribut de souveraineté fondamental de l’État fédéral.

Dans une telle situation, un Président américain courageux réagirait avec vigueur. En réaction à la dégradation de la note par S&P, il répéterait que le déficit est mieux contrôlé aujourd’hui que dans les années 2000, et que le budget américain avait été déclaré en défaut de paiement sans dommage durable sous Bill Clinton. Il pourrait même montrer en quoi les jugements contestables d’une agence de notation n’ont de toute façon aucune incidence directe sur la richesse du pays, à commencer par la vie de l’ouvrier ou de l’employé américain, qui ne cessera pas pour autant de se lever le matin pour travailler. Face aux menaces de la Chine, un Président américain courageux aurait au moins la présence d’esprit de se servir des énormes réserves en dollars sur lesquelles repose aujourd’hui le rayonnement financier de Pékin (2 400 $) comme d’un levier politique : la moindre menace d’une dévaluation atténuerait sans nul doute l’agressivité du discours chinois.

Mais si Obama tranche finalement dans l’histoire des États-Unis, c’est peut-être en cela : Washington a connu de nombreux présidents, certains passèrent pour incapables ou franchement imbéciles, d’autres pour des démagogues sans vergogne ou des idéologues fascisants, mais tous donnèrent des signes de courage politique. Une qualité dont Obama semble totalement dépourvu. Mais les électeurs américains n'ont jamais aimé les politiciens trop mous : en 1980, Jimmy Carter n'avait pas survécu aux revendications de l'aile gauche démocrate menée par Ted Kennedy, et avait perdu face au discours très agressif de Reagan. En 2012, avec un si faible soutien dans son propre camp, on peut désormais se demander si Obama passera le stade des primaires et, dans ce cas, s'il aura la moindre chance face au candidat républicain.

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