La Prisonnière du désert

Par Tepepa

The Searchers
1956
John Ford
Avec : John Wayne, Jeffrey Hunter, Ward Bond, Harry Carey Jr. Nathalie Wood
Tout a été dit déjà sur ce film. Il n’y a qu’à lire les commentaires sur Western Movies ce mois-ci, le film est intouchable. Sa réussite tient au mystère des personnages, à la mysticité des lieux, à son message anti-raciste, à la beauté de ses plans, de ses non-dits, de toutes les qualités intrinsèques, extrasèques, archisèques, sous-textuelles, sur-textuelles, intra-textuelles, pré-textuelles, post-textuelles, bi-textuelles, constructivistes, déconstructivistes et post-modernistes de sa réalisation. Pourtant, passé la première demi-heure, l’ennui pointe et tire, le rythme s’affadit, ça devient barbant. Ce qui fonctionne en littérature (cette sensation du temps qui passe) ne marche pas aussi bien au cinéma : vertige de la quête, l’ellipse cinématographique anéantit la temporalité. Le début est formidable, haletant, tendu, fort bien tous ces non-dits, ces regards, ces caresses sur des vareuses, ces personnages cadrés dans des portes. OK, c'est du beau cinéma, mais ensuite? Deux fantômes errants, changeant de saisons, de pays, de costumes pour toujours revenir au même point ? On croirait presque par moment, un road movie des années 70, dont le but serait plus le cheminement en lui-même que le but à atteindre, avec Monument Valley en personnage à part entière. Alors oui c’est vrai, le final est magnifique, le mythique « Let’s go home Debbie », puis la porte qui se referme sur l’outcast Ethan, où le Duke vient de faire – cerise sur le gâteau – son petit hommage à Harry Carey, oui superbe, plus belle scène du septième art tout ça OK, je veux bien, n’empêche qu’avant ça on a eu une de ces abominables chansons que John Ford ne pouvait s’empêcher de placer ça et là dans ses films, on a eu une horripilante mexicaine avec ses castagnettes, on a eu l’exécrable séquence avec Look, la grosse indienne pataude, séquence sauvée in extremis par la découverte de sa mort qui remet du drame dans la grosse farce, on a eu un interminable mariage avorté qui retarde l’échéance, désamorce beaucoup de choses pour faire avancer des intrigues secondaires qui finalement n’ont pas tant d’importance que ça, bref on a eu du Ford de chez Ford comme on n’aime pas trop, à part chez les inconditionnels amoureux du vieux borgne.
Et pourtant dans tout ça, il y a toujours cette ambivalence, l’attaque finale qui s’apparente plus à un massacre (on voit peu de morts, mais on se rend bien compte que le campement est surtout composé de femmes et d’enfants, le Duke qui scalpe son homologue indien, pourtant tué par un autre, et Ward Bond, qui se fait féliciter au final alors qu’il n’a perdu apparemment aucun de ses hommes et que sa troupe hétéroclite a tout de la bande de mercenaires pas vraiment officiels), Ethan, le personnage du Duke, totalement perfide dans ses actes et sa froideur (Ne laisse-t-il pas le personnage joué par Harry Carey Jr. courir droit vers la mort, sans rien faire pour le retenir, ne risque-t-il pas sciemment la vie de Martin (Jeffrey Hunter) pour abattre ses poursuivants dans le dos ?) mais qui a ses sursauts d’humanité et d’amour pour son prochain, il y a ces blanches captives des Comanches, devenues folles – scènes glaçantes – et en même temps les morts indiennes, les scalps de Scar, vengeant ses fils, toute la richesse du cinéma de Ford qui prend l’Homme comme il est, et qui l’aime, dans toute la richesse de ses contradictions.