Villarica, « La casa del Diablo »

Publié le 09 août 2011 par Keimuta
Article écrit par Damien
Je ne me considère pas comme un sportif. Tout au moins pas comme un sportif au sens commun du terme. Je fume un peu plus d'un paquet de cigarettes par jour et monter une dizaine de marches d'escalier m'essouffle. Néanmoins, je suis un aventurier. Si si !! C'est à dire que j'aime vivre des expériences rares. Je ne supporte pas l'idée qu'il puisse se passer quelque chose quelque part, sans moi. Alors tout naturellement, lorsque je suis arrivé dans la ville de Pucon et que je suis tombé né à né avec l'immense volcan Villarica, surplombant la ville et qui me regardait d'un air hautain, une lueur a brillé au fond de mon œil et un sourire narquois s'est dessiné sur ma bouche : « Tu ne me regardes pas comme ça ! Je vais te refaire la côte moi ! » lui ai-je lancé.   Le lendemain matin, tôt, trop tôt, je suis équipé de chaussures aussi lourdes que mon sac à dos, d'un piolet, d'un casque jaune, d'une combinaison antiatomique fluo et de tout ce qui peut nourrir et tenir chaud. Et je pars vaillant, sifflotant super mario (rapport à ma combinaison). Ma vaillance est néanmoins de courte durée car une fois le chemin balisé menant au pied de la montagne atteint avec légèreté, il faut s'atteler au flanc raide de ce monstre blanc, dont la tête laisse s'échapper une fumée épaisse. Oui, ce volcan fait partie des vingts volcans en activité sur la centaine que compte le pays et est le second plus actif du continent … Ce jour là il ne faisait que cracher de la fumée … mais régulièrement il se met en rage et rejette laves et roches … Peu importe : je profite de la première pause pour avaler goulument les deux sandwichs que je me suis préparé. La montagne, ça creuse ! La montée est longue … longue … si longue … si abrupte. Chaque pas semble m'éloigner du sommet dont l'air goguenard ne cesse de me narguer. J'ai la sensation d'avoir troqué mes jambes sveltes contre celles d'un éléphant d'Afrique, et très vite mon piolet qui m'avait semblé inutile jusqu'ici s'avère être un ami fidèle. Je dévore les deux barres de céréales prévues durant un court instant de répit que me laisse le guide … La troisième et quatrième pause me semblent terriblement longues tant la faim m'assaillit … je regarde avec pitié Miguel, mon guide, qui savoure une banane avec un érotisme qui me fait tressaillir.   La neige, puis la glace craquent sous mes pieds, dans le silence de la montagne. J'accompagne chacun de mes pas d'un mouvement puissant de mon bras pour planter mon piolet dans une glace parfois impénétrable et laissant un profond trou azur derrière moi. Je supplie José, le guide, de me céder un peu de sa galette salée lors de notre cinquième pause, mais mon souffle court fait de ma voix un filet inaudible. Il semble ne pas m'entendre … Je mange une poignée de neige.   Paolo, mon guide, marche vite, vérifiant régulièrement que je tiens le rythme … Je doute de ma capacité à le garder jusqu'au sommet, mais je veux faire baisser les yeux de cette montagne prétentieuse, alors je tiens le coup. Je règle mon pas sur celui de mon souffle, prenant soin de remplir mes poumons du plus d'air possible … Les sixième, septième et huitième pauses me pousseront à désirer ne serait-ce qu'une carotte. En vain. Encore une poignée de neige … Après 4h30 d'une montée infernale José, le guide, se tourne vers moi et dit : « plus que 20 minutes … » . Je perçois au dessus de moi les contours du cratère immense, crachant impunément sa fumée sulfureuse et je le défie du regard. « J'arrive ! » lui dis-je dans un souffle profond. Le sommet est sublime. Un trou noir descend vers les abysses, cerclé d'un blanc vierge : le cratère au fond duquel mijote une lave menaçante … Puis tout autour, le monde qui se dessine à l'infini. Montagnes et lacs créent un patchwork immense qui s'étale jusqu'aux confins de l'horizon. Je suis au croisement du centre et du contour de la terre. Des fumées sortent de différents orifices et laissent présager le chaos que doivent être les éruptions. L'odeur de souffre qui s'en dégage brûle mes poumons et la faim me harcèle mais la splendeur fait oublier la douleur.         Puis vient le temps de la descente. Comme je vous l'ai dit je ne suis pas sportif, ni très à l'aise avec mon corps. Alors lorsque Juan m'annonce que nous allons descendre la pente abrupte qui s'élance sous mes pieds, aussi raide qu'un mur des lamentations, avec une luge-pelle, j'entends la montagne dans mon dos, telle une maîtresse jalouse, qui rit : « tu ne crois tout de même pas que je vais te laisser repartir ainsi ?! Tu ne me quitteras pas sans y laisser un peu de ton corps et de ton âme !! »   - blablabla, la luge comme ça, blablabla, la luge comme ci, blablabla, les jambes ici (c'est à peu près comme ça que je comprends l'espagnol) … bref … j'ai rien écouté, je suis fatigué, je veux pas descendre …   - Finalement il fait pas si froid ici … on peut peut-être rester encore un peu non ? … Il n'y aurait pas une autre solution pour descendre ? Vous auriez pu me prévenir avant … - Allez ! La luge c'est comme le vélo, ça s'oublie pas ! me lance Pablo en me donnant une tape franche dans le dos, m'élançant ainsi à la vitesse de Jean-Claude Killy dans cette pente qui me jette dans des tourments abyssaux …     La terre ne tourne pas sur elle même, c'est un mensonge ! Elle tourne autour de moi ! Je bondis, je défie l'apesanteur, les dieux se rient de moi … Puis vient le temps de l'ultime saut, celui qui me fait quitter le sol quelques interminables secondes et retomber sur une plaque de glace plus dure que le diamant… je sens le bas de mon dos se réduire en poussière, je perds la possession de mon corps, mes jambes ne répondent plus qu'au rythme saccadé des bosses qui se succèdent, la neige percute mon visage comme le fouet d'une diablesse enragée et mes lèvres se fissurent sous les assauts des morceaux de glace qui les giflent … Je plante mon piolet violemment dans la neige tentant de freiner ma course infernale, mais la montagne ne se laisse pas faire et mes efforts sont vains … je glisse dans cette pente sans fin … Je jette un regard furtif sur le sommet qui s'éloigne et perçoit qu'il fait des ronds de fumée en riant à gorge déployée. Mon salut viendra dans la douleur lorsque, dans le bas de la pente, je vois un monticule de neige dont j'espère qu'il freinera ma course … mais la montagne gonfle son ventre pour me faire voler une dernière fois. Les membres de mon corps s'étirent, se rétractent, se tordent, se plient, tandis que je ricoche sur le sol tel un vulgaire galet. Mes compagnons et Antonio le guide, après avoir ri de mon inhabileté, sont partis, disparaissant, ombres dans la brume blanche, rejoindre le pied de la montagne. Boitant, hagard, tel un chien mouillé errant dans des rues désertes et froides, je suis leurs traces.   A l'heure où je vous écris, mon corps me fait mal. Et dans ma poitrine résonne encore le rire profond de la montagne qui me rappelle qu'on ne viole pas « La casa del Diablo » sans y laisser un peu de soi … Quant à mon guide, j'ai oublié son nom et son visage, et je me demande parfois s'il n'est pas l'ombre de la mort ..   Aide aux routards: Hotel Backpacker à Pucon. 5000 pesos Ch / pers avec cuisine et internet. Agence Backpacker pour l'ascension, demandez Enrique comme guide ! 35000 pesos Ch / pers