Manuel Valls : objectif 2017 pour le plus lisse des jeunes lions

Publié le 09 août 2011 par Sylvainrakotoarison

Au Parti socialiste, il y a les "éléphants", qui concourent dans la cour des grands (aujourd’hui : Hollande, Aubry et Royal)… et les "jeunes lions", selon l’expression d’Arnaud Montebourg réélu de justesse député en juin 2007 et prêt à rénover le PS de l’intérieur.

Depuis qu’il est dans la "politique active" sur le plan national (2001), j’ai toujours "suivi" avec beaucoup d’intérêt le parcours du député-maire d’Évry, Manuel Valls. Je ne dis pas "jeune" député-maire, car on peut imaginer qu’à presque 49 ans (le 13 août prochain), on n’est plus tout jeune même si c’est une génération qui doit attendre que la précédente arrive au pouvoir, celle des François Hollande, Martine Aubry ou Ségolène Royal.

Cette génération, c’est celle de Vincent Peillon, Arnaud Montebourg ou encore Harlem Désir. Elle est en attente de responsabilités mais leurs aînés, privés de pouvoir depuis dix ans, en sont au même point. En cas d’échec du PS en 2012, un saut de génération va se faire inévitablement. D’autant plus qu’en face d’eux, ils auront affaire à des François Baroin, des Jean-François Copé, des Bruno Le Maire, des Xavier Bertrand qui ne seront pas inactifs dans le prochain quinquennat, quelle que soit l’issue de 2012.

Mais dès aujourd’hui, Manuel Valls est candidat à la primaire des socialistes pour l’élection présidentielle de 2012. Ce n’est pas rien !

Une ambition très précoce

Manuel Valls s’est engagé au PS dès l’âge de 17 ans pour soutenir la Nouvelle gauche de Michel Rocard. C’était l’époque du fameux congrès de Metz qui vit la victoire de François Mitterrand sur Michel Rocard.

S’il n’a pas voté pour François Mitterrand le 10 mai 1981, c’est surtout parce qu’il n’a acquis sa nationalité française qu’en 1982. Notons en passant que si la primaire socialiste de 2011 avait eu lieu en 1979 ou 1980 pour départager Mitterrand et Rocard, Manuel Valls, bien que de nationalité espagnole, aurait pu participer au vote.

Cette citoyenneté très récente ne l’a pas empêché de s’investir politiquement au sein du Parti socialiste. Attaché parlementaire de 1983 à 1986 du député rocardien Robert Chapuis (PS) qui fut ensuite nommé dans le gouvernement Rocard de 1988 à 1991, Manuel Valls fut élu conseiller régional d’Île-de-France à l’âge de 23 ans et a été membre de cette instance pendant plus de vingt ans, de mars 1982 à novembre 2002, ce qui lui a assuré un revenu pour son activité politique. De 1998 à 2002, il fut d’ailleurs nommé premier vice-président du Conseil régional auprès de Jean-Paul Huchon, ancien directeur de cabinet de Michel Rocard à Matignon.

Son implantation dans le Val-d’Oise ayant échoué (il a été adjoint au maire d’Argenteuil de 1989 à 2000 et a été laminé dès le premier tour aux législatives de juin 1997 pourtant favorable au PS), il intégra les coulisses du pouvoir en devenant le conseiller en communication de Lionel Jospin à Matignon.

Ce qui lui a permis de rebondir dans la ville d’Évry par un parachutage plutôt réussi même s’il était sans trop d’incertitude : élu maire en mars 2001 puis député en juin 2002, il a été réélu en juin 2007 et en mars 2008 avec de bons scores, cumulant aux dernières municipales la présidence de la communauté d’agglomération de Évry Centre Essonne.

En avril 2002, il s’était tu par égard pour Lionel Jospin et regrette aujourd’hui de ne pas avoir suivi Vincent Peillon et Arnaud Montebourg dans leur demande de "rénovation" du PS.

Ce n’est qu’à partir de 2007 qu’il a adopté également cette attitude de défiance vis-à-vis d’abord de François Hollande puis de Martine Aubry, tous les deux successivement à la tête du PS. En 2006, il avait fait campagne en faveur de Ségolène Royal et l’a soutenue également pour le congrès de Reims en novembre 2008, jusqu’à menacer de déposer plainte contre ses camarades pro-Aubry soupçonnés de fraudes massives.

Animal politique et solitaire

Comme on le voit, Manuel Valls n’a jamais fait que de la politique comme beaucoup d’autres personnalités politiques très passionnées et très ambitieuses.

Depuis le 13 juin 2009, Manuel Valls roule même pour lui-même, annonçant sa candidature à la primaire socialiste sous réserve que Dominique Strauss-Kahn ne soit pas candidat. Candidature qu’il confirme donc le 7 juin 2011 après le début de l’affaire DSK au Sofitel de New York.

Son objectif, évidemment, n’est pas d’être le candidat socialiste en 2012 (les sondages lui donnent peu de chance de gagner la primaire, autour de 5%) mais d’être celui qui conduira les couleurs de la gauche gouvernementale en 2017. Une ambition assez parallèle à celle de Jean-François Copé et dont la "providence" proviendrait plus facilement de… l’échec de leur propre camp en 2012 !

Manuel Valls et l’Europe

Manuel Valls pourrait apparaître comme le symbole de l’aile droite du PS, la strauss-kahnienne, celle de Delors et de Rocard, celle qui est raisonnablement pro-européenne et favorable à l’économie de marché. Pourtant, paradoxalement, il avait pris position contre le Traité pour une Constitution européenne lors du référendum interne au PS du 1er décembre 2004. Une position d’ailleurs transformée en campagne référendaire pour le "oui" par discipline au parti.

Tant sa position d’origine (contre le TCE, ce qui semble assez étonnant) que son retournement complet (campagne en faveur du TCE pour le 29 mai 2005) montrent apparemment que Manuel Valls ne semble pas avoir une colonne vertébrale très affirmée sur un corps d’idées politiques même si son positionnement s’est stabilisé clairement en faveur de la construction européenne.

Le 4 février 2008, en tant que parlementaire, Manuel Valls a voté favorablement au Traité de Lisbonne et dès le 16 mai 2010, il a souhaité plus de gouvernance européenne, celle que propose la règle d’or budgétaire : « Dans le monde tel qu’il est, qui a besoin de grands ensembles, on a besoin davantage d’intégration de nos politiques économiques, davantage de coordination, c’est vrai sur le plan monétaire, c’est vrai sur le plan budgétaire et c’est vrai sur le plan fiscal. ».

Discipliné par ambition, capable de changer diamétralement de position, Manuel Valls a considéré que le sujet du TCE était mineur, probablement par rapport à ses objectifs personnels. Entre conviction et ambition, la balance paraît avoir déjà confirmé son penchant.

Manque de lisibilité

Et c’est sans doute sur ce registre que Manuel Valls est le plus critiquable. Certes, on peut dire qu’il a le courage de mettre sur la table quelques (bons) sujets politiques (un peu à la manière de Nicolas Sarkozy et de Jean-François Copé). Mais j’ai l’impression qu’il ne s’agit, chaque fois, que de quelques coups politiques, de singularités socialistes, dont le seul but, à peine caché, est de faire parler de lui.

Ainsi, il a tout un catalogue à la Prévert de positions qui détonent dans le paysage socialiste.

Favorable à la réforme des retraites (en tout cas, au principe du rallongement de la durée des cotisations et à la fin des régimes spéciaux), Manuel Valls n’hésite pas se référer à Bill Clinton ou à Tony Blair pour essayer d’entraîner ses amis socialistes dans le refus de l’assistanat, la remise en cause des 35 heures, et la convergence avec la pensée libérale tout en prônant l’augmentation de la TVA (impôt généralement considéré comme injuste pour les bas revenus).

Partisan du tout nucléaire, des expérimentations OGM et de tout ce que la technologie peut apporter à l’humain et à l’économie (Évry accueille depuis une dizaine d’années le Génopole, premier bioparc en génie génétique), Manuel Valls n’a cessé de prendre des positions plutôt conservatrices. Ainsi, il est totalement contre la dépénalisation du cannabis comme le proposent ses amis socialistes Daniel Vaillant et Julien Dray.

Très ambiguë également, sa position sur la laïcité : Manuel Valls a ferraillé contre une supérette pour qu’elle ne propose pas uniquement des aliments hallal (dans un quartier où il y avait beaucoup de demande hallal) mais il souhaite une révision de la loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité. Même Nicolas Sarkozy n’avait pas osé le proposer mais visiblement, pour Manuel Valls, rien non plus n’est tabou. Il a donc dû être heureux que l’UMP ait organisé un débat sur l’islam qui est devenu un débat sur la laïcité après de vives protestations internes à l’UMP.

Son point de vue peut se comprendre mais risque d’être un peu trop naïf par rapport à un sujet ultra-brûlant : « Voilà un beau moyen de remettre l’idéal laïc au cœur de la société française et d’en faire une valeur partagée ! ». Même si elle a ses imperfections, la loi de 1905 est devenue une référence quasi-sacrée et ouvrir la boîte de Pandore serait, à mon sens, une véritable faute politique qui enflammerait une fois encore, et tout aussi inutilement, un pays qui a toujours eu beaucoup de mal à trouver un équilibre entre les cultes et l’État.

Guéguerre avec la direction du PS

Toutes ces positions très tranchées semblent avoir énervé entre autres Martine Aubry qui, du coup, a osé lui envoyer le 14 juillet 2009 une missive très désagréable pour lui dire de rentrer dans le rang ou d’en sortir complètement. La première secrétaire du PS a eu effectivement des mots assez durs : « On ne peut utiliser un parti pour obtenir des mandats et des succès, en s’appuyant sur la force et la légitimité d’une organisation collective, et s’en affranchir pour exister dans les médias à des fins de promotion personnelle. On n’appartient pas à un parti pour s’en servir mais pour le servir. ».
La logique aurait dû être sa démission du PS et la mise en place d’un nouveau parti, un équivalent de droite de ce qu’a fait Jean-Luc Mélenchon. Mais c’est oublier un peu trop vite à quel point le PS est une famille sociale très forte qui lie très solidement ses membres : ni Ségolène Royal (qui avait pourtant les moyens de transformer ses "Désirs d’avenir" en parti politique), ni Dominique Strauss-Kahn (qui aurait eu intérêt à quitter le PS pour proposer une union avec le centre et la gauche) n’ont jamais songé à quitter le PS.
Évidemment, ce n’est pas le soutien de Jean-Noël Guérini au sein du PS qui pourrait lui être d’une grande aide. Depuis ces deux années d’électron libre (alors qu’avant, il était l’apparatchik discipliné), Manuel Valls a critiqué autant Martine Aubry que Ségolène Royal ou encore François Hollande, un peu comme l’enfant insolent incapable de s’assagir.
Manuel Valls va même plus loin en proposant de changer l’appellation du Parti socialiste, qui date de 1969 et qui ne correspond plus aux perspectives d’avenir.
Pourtant, sa fidélité au PS est louable si on compare avec un Éric Besson. En 2007, Nicolas Sarkozy aurait proposé à Manuel Valls d’entrer au gouvernement et ce dernier l’aurait refusé.
Singularité collective ?

Manuel Valls adopte pourtant une combine qui est bien connue de la classe politique : pour se distinguer, se faire connaître, le cas échéant se faire apprécier, il faut toujours faire de la casse dans son propre camp : Philippe de Villiers, Charles Pasqua, Christine Boutin, Pierre Juquin, Jean-Luc Mélenchon, Bruno Mégret, Jean-Pierre Chevènement etc. l’ont déjà expérimenté.
Sa difficulté sera de rester coûte que coûte au PS et de le conquérir (car c’est nécessaire pour des raisons de financement) tout en réussissant à continuer sa stratégie d’électron libre.
Le problème, c’est que les Français se moquent un peu des querelles intestines. Il était
frappant d’écouter parler Manuel Valls dans l’excellente émission de "Public Sénat" animée par Hélène Misser "Déshabillons-les" diffusée le 9 novembre 2010 où l’on voit un homme qui est candidat à l’élection présidentielle et donc, qui veut s’adresser à l’ensemble des Français (il a même été responsable des institutions dans le projet socialiste) et passer la majeure partie de son temps à parler de ses difficultés avec le PS, à s’autojustifier dans des querelles internes dont tout le monde se moque.


Fort potentiel dans la danse des ego
Le potentiel politique de Manuel Valls est évidemment très élevé : spécialiste de la communication politique, il sait y faire ; mais il lui manque encore, à l’évidence, une véritable colonne vertébrale de conviction, un prêt-à-penser en toute cohérence, une vision globale de la société qui reste encore un peu floue dans ses petites phrases souvent assassines. En ce sens, ses aînés du PS sont beaucoup plus crédibles.
Ce qui est remarquable, c’est que Manuel Valls aussi souhaiterait rassembler dans sa
"mouvance" non seulement le PS mais des personnalités comme François Bayrou, Dominique de Villepin ou Corinne Lepage. Comme Ségolène Royal. Comme François Bayrou également. Le hiatus, c’est que chacun accepte de faire ce rassemblement sans bouger de son assise, et en demandant aux autres de venir vers eux. Conclusion, ce fameux grand centre, qui devrait être au gouvernail, celui de Raymond Barre, celui de Jacques Delors, celui de Michel Rocard, celui de François Bayrou… reste en jachère à cause de la danse trop excitante des ego.
Manuel Valls, en ce sens, même si son avenir est prometteur, ne déroge pas à la règle : il ne travaille pas pour un projet pour le peuple, mais bel et bien pour lui-même, et c’est dommage car il est l’un des rares socialistes (avec DSK) à comprendre ce qu’est une entreprise.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (9 août 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
"Déshabillons-les : Manuel Valls, rebelle ou bon élève" (9 novembre 2010).
Le PS en primaire.

Les trois visages du PS.





http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/manuel-valls-objectif-2017-pour-le-98731