RUMEUR – Pourquoi est-ce aussi taboo?

Publié le 12 août 2011 par Labasoche


La sexualité intéresse, interroge, intrigue. “Une culture de la confession où les gens pensent que les histoires qui en valent la peine sont celles qui ont trait à la sexualité des célébrités”, résume Larry Gross, directeur de l’école de communication de l’université de Californie du Sud et auteur de l’essai “Contested closets: the politics and ethics of outing”. Outing, coming-out, homosexualité, le mot est dit. On dit, “sortir du placard” en français. Les rumeurs foisonnent, agissent comme une clé cherchant à ouvrir ce dit placard, qu’il soit virtuel ou non.

Les rumeurs sur l’homosexualité de célébrités ou personnalités politiques sont souvent insistantes. Et nier les spéculations ne fait qu’amplifier les “on-dit”.

La “véritable vie” des célébrités

Dès les années 1920, les majors de l’industrie cinématographie américaine ont commencé à vendre la vie privée des acteurs, “comme des biens séparés”, nous explique Larry Gross. Cette impression de “consommer la véritable vie des célébrités” a assuré l’essor d’une presse people, “bien qu’une majorité de ces histoires étaient construites par l’industrie de masse hollywoodienne”.

Ainsi, le moteur de recherche de Google apparaît comme un moyen de traçabilité des rumeurs relayées sur le Web. L’orientation sexuelle, comme la judeité d’une personne, font partie de ces questions que les internautes se posent. Les suggestions de Google sont faites en fonction de la récurrence des termes recherchés sur le moteur de recherche, hiérarchisant ainsi la possible utilité des informations. Un épiderme du Web, des rumeurs qui vous collent à la peau. Google permet, en ce sens, de mesurer l’ampleur statistique de la rumeur. Google serait-il devenu un “gaydar” efficient, d’après le sixième sens que certains attribuent aux homosexuels pour se détecter – comme un radar – mutuellement ?

“Cet intérêt pour l’homosexualité des personnalités s’est développé parallèlement avec la visibilité des homos”, explique Gilles Wulus, rédacteur-en-chef du magazine Têtu. La visibilité de personnalités avouant être homosexuelles peut avoir un impact sur des personnes qui ne sont pas encore sorties du placard ou une jeunesse encore mal à l’aise avec son orientation ou effrayé du regard des autres. La visibilité s’est accompagnée d’une acceptabilité de l’homosexualité.

Faire son coming-out, un enjeu stratégique

Le système hollywoodien semble mieux s’ajuster aux coming-outs de ses célébrités, mieux il apprend à les mettre en scène à coup d’exclusivités médiatiques. Le coming-out de l’acteur T.R Knight, plus connu pour jouer le docteur maladroit George O’Maley dans la série “Grey’s Anatomy”, en constitue un exemple. Dans un communiqué envoyé au site américain People, il entend “calmer des rumeurs déplaisantes qui traîneraient ça et là. Même si je préfère que ma vie privée le reste, j’espère que découvrir que je suis gay n’est pas la seule chose qui me rendra intéressant”.

Pour autant, quand il s’agit de coming-out, la relation entre médias et célébrités peut être tendue. La frappe d’attaque des médias, qui ajoute de la crédibilité et la visibilité aux rumeurs, peut intimider. Ainsi, le bloggueur américain influent Perez Hilton, avait décidé de confirmer la rumeur de l’homosexualité de l’ancien chanteur du groupe américain N’Sync, Lance Bass. Un coming-out “forcé” en avait suivi bien que Perez Hilton se défendait de toute mauvaise intention. “Si vous savez que quelque chose est un fait, pourquoi ne pas écrire à son sujet? Pourquoi est-ce aussi taboo?”. “Et je si dois sortir des célébrités du placard alors qu’elles sont en train de crier, je le ferais. Je pense que beaucoup de célébrités ont une peur archaïque qu’être gay nuirait à leur carrière, mais regardez Rosie, regardez Ellen”, ajoute t-il en faisant référence à Rosie O’Donnell et Ellen DeGeneres, deux célébres animatrices de télévision aux Etats-Unis qui ont décidé de révéler leur homosexualité.

Le blogueur a depuis également révélé en 2007 que l’acteur Wentworth Miller, qui campe le rôle du beau Michael Scofield dans la série Prison Break, était en couple avec un homme. Une orientation sexuelle qu’il continue de dénier après s’être montré au bras de plusieurs conquêtes féminines. En dépit des rumeurs, “on ne peut pas prouver qu’on n’est pas homo”, souligne Gilles Wullus, se référant aux ficelles d’Hollywood dans les années 1950 pour organiser des mariages en grande pompe des acteurs supposés gay pour éteindre le feu des rumeurs. Par ailleurs, “quand on apporte un démenti, on se sent surtout en train de créditer les rumeurs qui circulaient”.

Comment faire face à la rumeur?

L’opération risquée des médias, qui prennent le relais des rumeurs sur l’orientation sexuelle d’untel, apparaît tentante d’un point de vue économique pour la presse people. Sur le plan déontologique, tant la presse française qu’américaine se refuse de révéler cette information, estimant que ceci relève de la vie privée, protégée par la loi et la jurisprudence. “En tant que magazine identitaire à destination des homos, le premier principe est ne pas chercher à faire sortir quelqu’un du placard si elle n’a pas décidé d’évoquer son orientation sexuelle”, avoue Gilles Wullus. “C’est aussi la peur d’endosser le rôle de gay de service, à qui on ferait souvent appel ou référence pour aborder la question”, affirme Yannick Barbe, cofondateur du média LGBT Yagg, créé en 2008.

Ainsi, le staff des célébrités encadre leurs interviews de manière à ce que ce thème ne soit jamais abordé, menaçant le media en question de ne plus jamais leur accorder la primeur d’interviews. “Ils ont investi sur cette personne et attendent un certain retour sur investissement, si nous considérons les célébrités comme des biens économiques”, commente Larry Gross. “L’effet de surprise est avant tout proportionnel au positionnement de la célébrité et à son influence”, estime Gary A. Fine, sociologue à l’université de Northwestern et expert sur les rumeurs et la réputation.

Le droit à l’information s’arrêterait à la porte du placard. A l’exception de certains hommes politiques qui pourraient avoir tenu des propos homophobes ou dont l’opinion à ce sujet influerait les décisions de vote des électeurs. L’hypocrisie est alors aussitôt condamnée; cela est d’autant éloquent pour les personnalités du parti républicain aux Etats-Unis qui prône des valeurs fidèles à un électorat conservateur. Néanmoins, “dans la révélation de l’homosexualité d’une personne, alimenté par une rumeur ou non, l’intérêt financier et commercial a pris le pas sur la dénonciation d’une hypocrisie politique”, reconnaît Katheleen Guzman, directrice associée de l’école de droit de l’université d’Oklahoma.

Source, Le Nouvel Observateur

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