Maurice Lévy, verre à moitié vide ou à moitié plein ?

Publié le 18 août 2011 par Variae

La France a désormais son Warren Buffet ; il préside l'Association française des entreprises privées et le directoire de Publicis. Le ci-devant Maurice Lévy a ainsi proposé, par voie de tribune dans Le Monde, " une contribution exceptionnelle des plus riches, des plus favorisés, des nantis " dans le contexte actuel de crise de la dette et de panique financière. La sortie étonne, dérange, éveille le soupçon. Guy Birenbaum acquiesce, Piratage(s) y voit du pragmatisme cynique, le blogueur gauchiste CSP crie à la supercherie. Au fond, toujours la même vieille histoire, celle du verre à moitié vide, à moitié plein.

A moitié vide ? Les raison de voir ce qui manque dans le verre pour qu'il nous donne vraiment envie ne manquent pas. Oui, ce texte étale à longueurs de paragraphes toute la doxa libérale-conservatrice, s'épouvante du " déclassement " des pays et de la " descente aux enfers des valeurs boursières ", prêche " le nécessaire rappel à l'ordre, brutal et impératif, de remettre de l'ordre dans nos finances publiques ", condamne dans une même phrase " Etat-providence " et " assistanat ", pleure le refus de la gauche de soutenir la " ", appelle à une réduction " brutale, immédiate " du déficit public. Oui, encore, on a toutes les raisons du monde de se méfier de la charité de dame-patronnesse qui ne se manifeste qu'en ultime recours, et qui voudrait encore se voir décerner les palmes académiques de la morale quand elle ne fait que reconnaître - enfin - la réalité. Oui, enfin, si un Warren Buffet ou un Pierre Bergé parlent clairement d'augmenter les impôts de façon structurelle pour les riches, Maurice Lévy est bien moins clair : " Une contribution exceptionnelle [...] [participer] à l'effort national. [...] Tous ceux qui peuvent par leurs moyens participer à ce nécessaire effort national. ". Ne faut-il pas lire, un bémol en dessous de ce que l'enthousiasme général a compris, que Lévy préconise une contribution supplémentaire le temps de réduire les déficits, avant de revenir au statu quo ante ?

Le verre n'est pas plein : personne ne le conteste. Mais tout de même. Il y a des mots, qui dans la France d'aujourd'hui et sous cette plume, font date. " il me paraît indispensable que l'effort de solidarité passe d'abord par ceux que le sort a préservés. [...] je considère avec la même force qu'il est normal que nous, qui avons eu la chance de pouvoir réussir, de gagner de l'argent, jouions pleinement notre rôle de citoyens en participant à l'effort national. ". Lier citoyenneté, impôt, progressivité de l'impôt pour les hauts revenus ? N'oublions pas que nous vivons sous la présidence d'un homme qui s'est fait élire, d'une certaine manière, contre l'impôt, en étant capable de déclarer dans un discours de campagne : " si je suis élu président de la République, je proposerai l'inscription dans la Constitution d'un bouclier fiscal à 50% du revenu car il me paraît raisonnable qu'au-delà de 50% de son temps, chacun soit libre de travailler autant qu'il le veut en franchise d'impôts. ". On ne rappellera pas les péripéties de la loi TEPA et du bouclier fiscal. Mais force est de constater que, en partie pour des raisons compréhensibles (de faible " retour sur investissement " du côté des services publics notamment), l'idée même de l'impôt est devenue insupportable en France, jusque dans les newsletters de libraire :

Même Piketty, dans son ouvrage sur la révolution fiscale, prend bien soin de préciser que personne n'aime payer des impôts. Comme s'il fallait le rappeler ! Mais il y a un fossé entre ne pas débourser de l'argent de gaité de cœur, et entendre rabâcher dans les médias une idéologie anti-impôts ; or c'est de ce côté du fossé que nous sommes actuellement. De ce point de vue, toute brèche, toute contestation de ce consensus libéral est la bienvenue, d'où qu'elle vienne, et je dirais même plus surtout si elle vient de ceux qui ont le moins à en profiter. Il y a une bataille idéologique à regagner et on ne gagne rien sans alliés.

Verre à moitié vide, à moitié plein ? C'est un peu, ici, la différence entre sociaux-démocrates pragmatiques et gauchistes théoriques. Bien sûr que non, la tribune de Maurice Lévy n'est pas de gauche, mais elle mérite d'être prise au mot, pour la partie qui nous intéresse. Demandons à tous les " " et autres " nantis " de se positionner clairement par rapport à elle. Un verre ne se remplit pas en un jour.

Romain Pigenel

This was written by . Posted on Jeudi, août 18, 2011, at 11:54. Filed under En route pour 2012, Ils cassent nos grèves et le code du travail, L'air du temps. Tagged 2007, 2012, AFEP, bouclier fiscal, bourse, charité, crise, CSP, déficit, dette, favorisés, finances publiques, François Hollande, Gibert Joseph, Guy Birenbaum, Idéologie, imposition, impôts, Le Monde, Maurice Lévy, nantis, Nicolas Sarkozy, Piratage(s), Publicis, riches, Ségolène Royal, taxe, TEPA, Vogelsong, Warren Buffet. Bookmark the permalink. Follow comments here with the RSS feed. Post a comment or leave a trackback.